Par le chef d’escadron Pierre BOYER pour la revue ARTI n°11 (juillet 2008)
L’artillerie est à l’aube d’une ère nouvelle. L’éventail des possibilités actuelles va s‘élargir par l’arrivée d’une génération innovante de munitions. Innovante, elle le sera par plusieurs aspects, tant dans les effets qui seront mis à disposition de l’interarmes, que par les trajectoires, les techniques de mise en oeuvre, les technologies embarquées, mais aussi le coût. Or, comme chacun sait, nous vivons à l’heure actuelle une période de forte contrainte budgétaire, qui d’ores et déjà, se fait sentir sur le niveau des stocks réalisés (3 750 pour le BONUS) et de facto la politique de tir de l’artillerie dans son ensemble.
Par politique de tir, nous entendons celle qui régit l’instruction et l’entraînement de nos formations.
Jusqu’à présent, celle-ci prévoyait les allocations dédiées pour chaque type de munitions et de matériels. Ainsi, chaque régiment dispose d’environ 3 000 obus par an pour parfaire et maintenir ses compétences, tant dans la mise en oeuvre des techniques de tir que d’observation.
Le défi qui se dresse aujourd’hui est donc de penser un nouveau mode de formation et d’entraînement sur ces munitions. Il s’agit de concilier l’efficacité à la fois opérationnelle et la contrainte financière.
L’enjeu est de gagner la confiance simultanément des utilisateurs que nous sommes et celles de nos camarades appuyés.
UNE NOUVELLE POLITIQUE DES MUNITIONS
Les munitions intelligentes ou compétentes sont gérées comme un programme d’armement à part entière, au même titre que le CAESAR ou le VBCI. Cela a des implications importantes qu’il faut bien saisir. Prenons l’exemple du BONUS. Son long développement a conduit à la constitution d’un stock cible déterminé par contrat et qui ne prévoit pas de recomplètement.
La destination principale de ce stock est l’emploi opérationnel.
Sachant que l’obus coûte 25000 €, il convient de s’interroger sur les modalités de l’entraînement au tir de cette munition rare et coûteuse. À l’heure actuelle, le stock constitué ne prévoit pas de dédier certaines munitions à l’exercice. Or, l’enjeu est d’importance : comment proposer à l’interarmes l’effet et le tir d’un obus, dont nous ne maîtriserions pas précisément l’effet, la trajectoire et la mise en oeuvre ?
De plus, dans le continuum des opérations contemporaines, où l’aspect juridique est de plus en plus prégnant, se pose le problème de convaincre l’autorité responsable qu’il est possible d’utiliser une munition à haute létalité sans qu’elle ne la connaisse.
LA SIMULATION
Évidemment, pour de telles munitions, la simulation paraît un point de passage obligé. Ce procédé sera le seul à permettre l’apprentissage sans gaspillage ainsi que la conservation des acquis à bas prix. Cependant, là encore, le chemin est encore long et complexe. Tout ou presque reste à faire en prenant en compte l’arrivée imminente du CAESAR. Les technologies mises en oeuvre dans ce domaine dans le secteur privé ouvrent des perspectives intéressantes en terme de réalisme et de pertinence.
Mais, peut-on gager complètement une politique de tir sur un outil de simulation ? La simulation tend vers la perfection, mais peut aussi tronquer la perception de la réalité. Aussi, si elle paraît un outil fiable pour l’apprentissage et la répétition à l’envie de gestes techniques ou de procédés, elle plonge l’opérateur dans un monde virtuel qui parfois peut être trompeur.
LA CONFIANCE
L’enjeu est donc bien de gagner la confiance, tant de l’artilleur qui en propose l’emploi, confiant dans sa technique de mise en oeuvre et les effets de l’arme maîtrisés, que du chef interarmes qui va porter une partie de la responsabilité de son utilisation sur le théâtre d’opérations.
La manipulation de la munition à l’exercice apparaît donc comme un passage incontournable, mais qui devra être rentabilisé au maximum.
LE PROJET
La solution se dévoile donc bien naturellement à la croisée des chemins entre simulation et manipulation réelle. Si la simulation sera le corps principal et incontournable de la formation et de l’entraînement, l’exercice avec munitions réelles en sera le socle, l’assise indispensable qui emportera la confiance. Lors de ces tirs spécifiques, il sera nécessaire de procéder à des actions d’instruction, au moins vers les acteurs interarmes, afin de leur faire intégrer les capacités et les effets des nouvelles munitions. Au cours de ces exercices, ils pourront apprécier la maîtrise, tant de la mise en oeuvre que des dommages produits par ces armes et pourront ainsi en accepter plus facilement l’emploi sur les théâtres d’opérations. Voir pour croire, cette approche très pragmatique, prônée par Saint Thomas, sera la seule à même d’instaurer une relation de confiance pérenne entre l’appuyant et l’appuyé. La constitution de ce lien est dès aujourd’hui d’une importance stratégique pour l’artillerie.
LA MISE EN PLACE
À l’heure actuelle, il n’est pas encore possible de donner en détail une nouvelle version de la politique de tir.
Comment sera-t-elle séquencée ? Tout peut être imaginé.
En terme de formation, la validation des différents niveaux pourrait être dépendante de l’exécution d’un tir BONUS et autres munitions compétentes. Le cycle d’entraînement pourrait être dérivé de celui de nos camarades sol-air, attaché à celui des projections (chaque équipage tire un ou plusieurs obus spécifiques au cours de la mise en condition opérationnelle). Toutes ces actions pourraient servir de support à des démonstrationsà destination de l’interarmes.
En fait, tout dépendra d’une seule décision. Il faut que l’artillerie arrive à faire accepter qu’une partie de la dotation prévue pour chaque type d’obus doive servir au tir d’exercice. Le volume ainsi dégagé permettra d’échafauder plus finement la politique de tir de l’artillerie.