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L’artillerie de position au Tonkin (3ème partie)
 

Les heures passent. 21 heures. 22 heures, 23 heures, minuit ; le contact radio est pris régulièrement avec Thu Nat qui ne signale rien.

Minuit quarante-cinq - Thu Nat appelle : des bruits suspects sont entendus, des points lumineux vus dans les villages nord-ouest du poste. La batterie doit se mettre sur les tirs de protection "mandarine 2 et 3" prête à ouvrir le feu.

Un coup de magnéto sur le réseau téléphonique des pièces et tout le personnel saute des abris de repos dans les alvéoles ; les lampes des piquets de repérage s’allument et les quatre tubes prennent la direction voulue. Deux minutes ne sont pas écoulées quand Long Thanh annonce "batterie prête".

Minuit cinquante - Dans la direction du nord-est apparaît une série de lueurs, puis arrive le bruit lointain d’une fusillade, dense, entrecoupée de nombreux coups sourds. Presque, en même temps la radio annonce : "nous sommes attaqués de toutes parts. Déclenchez tous les tirs d’arrêt".

Ce n’est sans doute pas exact ; il est peu probable que le point d’appui soit attaqué simultanément de toutes parts ; mais ce n’est pas le moment de discuter. Pour commencer la batterie envoie seize coups sur chacun des quatre tirs d’arrêt.

0h58 - "Exécuter tirs 1 et 2" commande Thu Nat. Vingt-quatre coups sont aussitôt envoyés sur chacun de ces tirs. Mais Thu Nat est devenu silencieux, cependant que dans l’intervalle du départ des coups, les bruits lointains de la fusillade, mêlés aux arrivées des projectiles et sans doute à celles des coups de mortiers s’entendent distinctement.

La batterie achève ses tirs ; mais elle ne peut rester inactive ; les tirs d’arrêt sont donc maintenus chacun à la cadence d’un coup par minute.

1h10 - Un, deux, trois claquements guère plus bruyants que de lointains pétards, des sifflements suivis de brutales explosions qui font résonner les abris ; les Viets ne veulent pas laisser la batterie, travailler en paix et cherchent à la neutraliser avec leurs mortiers. Les armes automatiques de notre poste se mettent aussitôt à cracher dans la direction hypothétique des mortiers, celles des Viets ripostent aussitôt et un beau charivari se déclenche ; il ne gêne ni les mortiers qui continuent l’arrosage, ni les canons qui poursuivent leurs tirs.

1h15 - Enfin, Thu Nat reprend ses émissions. Le chef de poste a pris le micro. Le commandant de batterie en fait autant à Long Thanh. L’attaque est menée sur les blockhaus nord et nord-est.

Les Viets sont dans les fils de fer, peut-être même les ont-ils franchis ?

Il faut rapprocher les tirs au ras des ouvrages.

Plan du poste en main, le commandant de batterie, par bonds de cinquante ou vingt-cinq mètres place ses tirs au plus près, puis les exécute à cadence maximum.

Pendant ce temps, après quelques minutes d’interruption le tir des mortiers sur la batterie a repris avec une violence accrue et surtout une bien meilleure précision. Un projectile tombé dans une alvéole de pièce vient de mettre trois servants hors de combat. Mais les guetteurs ont pu localiser l’emplacement de deux mortiers. Mettant à profit un moment où la situation à Thu Nat paraît se calmer, une section est retirée de l’appui du poste pour faire taire ces maudits mortiers, Quelques coups bien ajustés et l’affaire est faite.

1h45 - Après une nouvelle période de silence, le chef de poste de Thu Nat reprend la parole "Les Viets ont enlevé le blockhaus nord et sont à l’intérieur du dispositif. Tirez sur le poste".

Et l’artillerie exécute. Elle ratisse l’ensemble du point d’appui par un tir fusant en fusées pozit sur trois cents mètres de large et autant de profondeur.

Ce tir est maintenu et renouvelé pendant plus d’une heure.

Pendant tout ce temps la situation de Thu Nat demeure angoissante. Le chef de poste soumis à un feu violent d’armes automatiques et de mortiers est coupé de toutes communications avec ses blocs extérieurs ; il ne sait pas au juste quels sont ceux qui tiennent encore. Le poste est rempli de blessés et de morts.

3h00 - "Le bloc central est attaqué sur sa face sud-est. Déclenchez tir d’arrêt n° 3 ".

C’est un tir dans l’axe, il peut donc être collé au bloc lui-même, entre barbelés et le bloc, quarante- huit coups sont envoyés en moins de deux minutes puis un tir fusant est lancé à la demande ; peu à peu l’étreinte semble se desserrer.

Il faudra encore lancer deux fois un ratissage fusant sur tout l’ouvrage. Mais le Viet a eu trop de casse, il renonce à enlever Thu Nat.



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L’artillerie de position rassure par sa présence et donne confiance



Les derniers tirs demandés, peu avant que le jour ne se lève, sont les tirs de protection sur les éléments qui se retirent ; les abords de la route, les lisières des villages, le pagodon reçoivent chacun quelques coups.

Mais la nuit a été chère en munitions ; plus de mille obus ont clé consommés ; il convient, maintenant que le péril est passé, de ménager les approvisionnements qui restent.

Car il en faudra encore : le secteur vient de passer un message annonçant qu’une opération est montée pour dégager, ravitailler et relever la garnison de Thu Nat. Cela ne se fera sans doute pas sans peine, ni sans obus.

Aussi, sa tâche de la nuit à peine achevée, la 172e batterie doit songer à celle, du lendemain.

Le commandant de batterie partira en D.L.O. avec le bataillon de tête ; il veut être parmi les premiers à voir les résultats de son travail.

Mais déjà, il a eu sa récompense quand après cette nuit angoissante, la première pensée du chef de poste de Thu Nat a été de lui dire "Merci et bravo" .

Colonel DURAND.

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