Le lieutenant commandant la 172e Batterie de position jette un regard plein de fierté sur sa position. Il n’y a guère plus de trois mois qu’il est à Long-Thanh avec son unité fraîchement constituée au Centre d’Instruction d’Hanoï. Ce n’était pas sans appréhension qu’il abordait alors cette installation ; tout était à faire en même temps, les reconnaissances, les constructions, le travail topographique, la mise en place des tirs. Il ne s’en est pas si mal tiré et sa 172e batterie est à coup sûr la mieux installée de la zone. Accoudé à la visière de son observatoire recouvert d’une dalle de béton, il voit ses quatre pièces placées sur un vaste arc de cercle.
Ou plutôt, il voit les quatre bouches à feu et les têtes de quelques servants occupés à des travaux d’entretien. Car elles sont toutes solidement enterrées dans leurs alvéoles bétonnées
encadrées de part et d’autres par les abris à personnel et les
soutes à munitions. Il ne voit rien d’autre, le sol est net, parcouru seulement par les réseaux bas qui entourent les pièces
et cloisonnent la position.
Mais sous cette nudité courent les tranchées couvertes qui permettent d’aller partout sans se montrer et aboutissent au-dessous de lui à son P.C. Il se retourne et, descendant quelques marches, se trouve dans ce P.C., pièce carrée bien protégée où se trouvent l’âme et le cerveau de la batterie.
On y entend grésiller le poste radio 608 de la liaison artillerie qui a pris tout à l’heure l’écoute pour sa vacation horaire et qui ce soir se mettra pour la nuit à l’écoute permanente, pour que le canon soit toujours prêt à intervenir sans délai pendant les heures où le Viet redouble d’activité dans l’obscurité complice.
Non loin, les téléphones, l’un en intercommunication avec les pièces, l’autre qui assure les liaisons avec le secteur. Et à côté le bouchon du bigophone ; un drôle de tuyau acoustique ce bigophone avec tous ses containers emboîtés les uns dans les autres et qui lui permet de parler avec tous ses chefs de pièce en cas de défaillance du téléphone.
Et puis voilà ses planchettes, l’une bien nette, blanche avec son quadrillage et ses points reportés avec soin, l’autre recouverte de la carte au 1/25.000e et où figure sa zone d’action : sa zone d’action est bien facile à définir, c’est un cercle ayant l’emplacement de sa batterie pour centre et la portée de son 105 HM.2 pour rayon.
Et là-dedans, il compte dix-sept postes ou ouvrages à protéger : il y a bien ceux du nord et de l’est que la batterie voisine, la 128e de position, peut appuyer ; mais il en reste onze qui ne peuvent compter que sur lui.
Et poursuivant le coup d’œil sur son P.C. il voit sur les murs ses courbes de préparation théorique, ses dossiers de postes soigneusement rangés dans des casiers et tous les cahiers où s’enregistrent ses tirs, ses consommations, ses contrôles, etc... Mais l’établissement de ces dossiers de postes a vraiment été un de ses plus gros soucis ; vingt et un postes, vingt et un plans, plus de deux cents tirs préparés. Il est allé dans chaque poste, il en a levé le plan où figurent tous les ouvrages, les réseaux de fil de fer et les points caractéristiques du terrain avoisinant.
Il a longuement débattu avec le chef de poste pour fixer remplacement des tirs d’arrêt et des tirs de protection. Il a fallu batailler car les chefs de poste voulaient des tirs partout. Il leur a fait comprendre qu’en utilisant les plans dont ils gardaient un double, ils pourraient faire déplacer les tirs prévus ou en demander de nouveaux, au moment du besoin, en utilisant les tirs préparés comme références. Il a ensuite, dans presque tous les postes, vérifié la mise en place sur un but témoin dont il avait déterminé les coordonnées.
Le Chef de poste l’a vu faire et pourra le cas échéant vérifier la valeur des éléments de la préparation. Bien sûr il y a quelques postes éloignés ses tirs.
Il est sûr de pouvoir dans toute sa zone apporter un appui efficace et puissant à tout poste attaqué. Mais à condition d’être prévenu à temps, donc à condition d’avoir de bonnes liaisons.
Ah, si, comme dans le secteur de S,., tous les postes d’infanterie étaient dotés de postes 509 alignés sur la fréquence d’artillerie, il n’y aurait pas de problème. Mais dans le quartier de Long Thanh où il se trouve il n’en est pas ainsi et il faut passer par le réseau d’infanterie.
Heureusement, de son P.C. il n’a que quelques pas à faire pour se trouver au P.C. du quartier d’où il peut parler directement à tous les postes.
La défense des postes est sans doute sa mission essentielle, mais ce n’est pas la seule. Sa carte des tirs le montre bien ; elle est, en dehors des tirs d’appui immédiat des postes, piquetée de numéros qui correspondent à des tirs qu’il a pu régler et mettre en place.
Leurs éléments dépouillés sont soigneusement enregistrés sur un cahier spécial et grâce au sondage, qu’il reçoit deux fois par jour de l’A.D,, il peut par transport de tir, coiffer instantanément tout objectif qui lui est signalé avec une précision suffisante.
Il se remémore les conditions dans lesquelles quelques-uns de ces tirs ont été accrochés : le numéro 48, la maison de cantonnier de La Xao, le 53. le coude de la digue du Song-Lay.