Article rédigé par le lieutenant-colonel (er) Jean-Paul PAILHES.
Pendant cette période, l’artillerie sol-sol classique donne naissance à une artillerie nucléaire, au pouvoir de destruction jusqu’alors jamais atteint. Mais dans le même temps elle démultiplie sa gamme de système sol-sol classique avec, en prolongement des canons et/ou obusiers, l’adoption de la roquette et du missile. Il s’agit d’aller frapper l’ennemi au plus loin en atteignant ses échelons de réserve, son artillerie, ses moyens de commandement, de franchissement et l’échelon logistique. Aux lanceurs il faut conjuguer toute une panoplie de capteurs modernisés ou nouveaux qui eux mêmes sont parfois regroupés en systèmes d’arme. Pour gérer ce système de systèmes il faut en assurer une coordination d’emploi.
L’ARTILLERIE FRANÇAISE CLASSIQUE DE 1945 A 1990 (LES PIÈCES ET LEUR ENVIRONNEMENT)
A- LES PIECES
A la fin de la deuxième guerre mondiale, l’artillerie de campagne française va devoir se réorganiser au niveau des matériels dans un contexte d’urgence, avec des moyens financiers réduits et des usines d’armement détruites, et un problème humain lié à la démobilisation.
Pour cela elle va agir simultanément sur trois axes d’efforts, qui dureront, chacun, plusieurs années, et qui aboutiront à un succès indéniable en 1990.
Premier axe d’effort :
A noter : la présence d’un canon sans recul de 75 M20, qui sera utilisé par l’artillerie parachutiste en Indochine, et le fait que c’est le 105 HM2 qui représente la grosse part quantitative.
A l’exception de ce dernier, tous ces matériels auront quitté le service actif avant la fin des années 1970, remplacés par les nouvelles pièces françaises.
Il faut faire un cas particulier de l’obusier 105 HM2 : il est l’image symbolique d’une artillerie dynamique en Indochine et en Algérie. De plus il a été très utilisé par l’artillerie parachutiste, l’artillerie de montagne et l’artillerie coloniale jusque vers les années 1990, et sera alors remplacé par le mortier Mo 120mm pour effectuer les missions particulières qu’il assurait. Enfin, il a été jusqu’en 1990 la pièce d’instruction de base pour tous les artilleurs sol-sol et même nucléaires. Presque un demi siècle en service, il n’y a que le 75 mle 1897 qui dise mieux !
Deuxième axe d’effort :
Compléter, à moindre coût , cette artillerie américanisée, pour faire face, en particulier, aux menaces naissantes aux colonies. Pour cela :
Troisième axe d’effort :
La création de pièces d’artillerie française, par des moyens français.
Dès la fin de la guerre, nos ingénieurs vont tout reconstruire : bureaux d’études, usines, etc. C’est ainsi qu’en 1950 ils vont proposer trois nouveaux matériels d’artillerie sol-sol :
L’automoteur 105 AU 50 : 337 seront mis en service vers 1955. Les derniers quitteront le service en 1985.
Ces pièces françaises auront remplacé les pièces américaines en 1975, soit 30 ans après la fin de la guerre.
Elles seront-elles même remplacées par des pièces françaises, avec un seul calibre de 155mm, en l’occurrence le Canon automoteur 155 AUF1 et le canon tracté 155 TRF1, à partir de 1985.
Et, pour compléter le tout, dès 1990, une arme de saturation, nouvelle dans notre artillerie, va se mettre en place : le lance roquettes multiples ou LRM.
En 40 ans , et en prenant en compte l’environnement au tir de ces pièces, l’artillerie sol-sol française sera devenue, avec de seuls moyens nationaux, la plus moderne du monde.
B- L’ENVIRONNEMENT DU TIR
Dans l’artillerie française cet ensemble englobe des actions, des moyens et des principes généralistes indépendants du type de pièce utilisée. Ce n’est que dans la mise en œuvre que l’on prend en compte les éléments particuliers de la pièce, si nécessaire. Considérons les sous-ensembles et leurs évolutions.
L’observateur terrestre d’après guerre reste conforme à ses prédécesseurs : des moyens simples, jumelles, binoculaire, boussole, compas, cartes, et des règles de tir bien connues.
Il agit, en général, au sein d’un détachement de liaison et d’observation (DLO) sur VTT X13 ou camionnette tactique, auprès des troupes appuyées, comme dans l’artillerie américaine. A noter que les unités de repérage diverses (SRA-SRE) d’avant guerre ont disparu.
Ces moyens ne se moderniseront radicalement qu’au milieu des années 80, avec l’arrivée du télémètre laser, du véhicule d’observation d’artillerie, le VOA, sur VTT AMX puis sur VAB et de son intégration au système ATILA.
Après 1985 apparaitront les Equipes d’observation dans la profondeur (EOP), petites équipes type commando, travaillant isolées, parfois sur les arrières de l’ennemi.
L’observateur radar : au début des années 1970 les régiments vont recevoir les RATAC, d’abord sur VTT puis sur VAB, en complément des moyens des DLO.
L’observateur aérien, pas mieux équipé que le terrestre, se montrera particulièrement efficace en Algérie, grâce à son aviation d’observation puis au développement de l’ALAT. L’avion sera d’abord utilisé, puis plus tard, l’hélicoptère.
« A ce niveau on observe et on renseigne »
Pour assurer la permanence de ses feux l’artillerie doit assurer la permanence de son renseignement. Elle va donc faire évoluer ses moyens dans deux domaines :
Le domaine des radars avec :
Le domaine des engins volants ou drones : Les années 1980, partant de l’engin de type avion à réaction, comme le R 20 en service de 1972 à 1976, verront émerger deux sortes d’engins que l’on qualifiera de drones :
Les informations ainsi recueillies alimentent la chaine renseignement et permettent de déclencher des tirs immédiats sur des objectifs repérés avec précision, grâce aux réseaux de transmission performants établis avec les moyens de traitement (boucles courtes).
Ces deux phases sont menées suivant deux méthodes :
La conduite peut être menée à partir de règles diversee, et complexes, qui seront dans la pratique de moins en moins utilisées au profit du « tir en grille » graphiqué.
Ces pratiques, héritières d’un long passé, seront remplacées par l’informatisation, d’abord avec le calculateur CETAC mis aux PC tir des régiments vers 1975, ensuite remplacé par le système plus complet que le précédent qui ajoute à la fonction calculateur une gestion automatisée des liaisons, le ATILA (aide au tir et liaisons de l’artillerie) au cours des années 1980. Ce système centralisé est harmonieusement complété au niveau de chaque batterie par un petit calculateur CADET (qui permet notamment de rendre une batterie autonome, sauf en liaison).
L’arrivée de l’informatique est l’élément majeur de l’évolution de l’arme dans la période considérée. Le système associé au lanceur de roquettes multiples (LRM), le système ATLAS, sur lequel on reviendra plus loin, confortera cette avancée technologique pour aboutir à un système multi - lanceurs, l’ATLAS CANON, interfaçable avec les moyens d’acquisition des objectifs, comme les drones, et avec tous les systèmes équivalents alliés.
Ces aides visent à améliorer la précision du tir et comprennent :
La prise en compte des éléments aérologiques avec une station météorologique complète et mobile, comme la station à radio théodolite française MEDOX, des années 1950, jusqu’à la station de sondage SIROCCO, mise en service en 1975.
La prise en compte des variables mécaniques liées aux obus, aux poudres, aux canons, etc., par l’arrivée d’un appareil de mesure des vitesses initiales des obus, le MEDOVIC , remplacé par le MIRADOP en 1975.
Cet élément majeur de la précision du tir, déjà bien maitrisée depuis longtemps, ne connaitra pas de spectaculaire évolution jusqu’aux années 1990.
Le théodolite simplifié, le télémètre optique, la chaine et la stadia, le compas M2 puis MK1, resteront les outils de base avec les carnets de points géodésiques.
Un progrès important à noter, cependant, l’arrivée du gyrothéodolite WILD, en fin des années 1970, qui assurera la précision des directions et, par là, la synchronisation des tirs simultanés de plusieurs unités. L’arrivée des calculatrices de poche, à la même époque, fera grandement gagner des délais.
Mais 1990 va marquer un tournant dans ce domaine avec l’arrivée du navigateur terrestre NSM 20, directement sur les pièces, comme sur l’AU F1 CTI, ou sur des véhicules d’implantation topographiques (VIT). L’arrivée consécutive du GPS va apporter une autre souplesse dans le positionnement et la navigation, mais il faut le coupler avec un système d’orientation.
C’est bien connu il n’y a pas d’artillerie sans liaisons, et tout progrès dans ce domaine augmente l’efficacité de l’arme. Trop faible dans ce domaine en 39-40, l’artillerie sol-sol va prendre ce problème en compte dans sa réorganisation en s’appuyant sur un principe toujours en vigueur : ne pas avoir de matériels spécifiques, mais utiliser ceux employés par les autres armes, tout en se réservant des fréquences propres.
Comme tout le monde elle utilisera d’abord des matériels radio d’origine américaine, qui seront remplacés par des matériels français dans les années 1970, les « postes de la série 13 » auxquels succéderont les postes à évasion de fréquence PR4G, plus aptes à la transmission de données.
Ces moyens radio vont devoir couvrir les besoins d’un régiment d’artillerie pour le tir, la manœuvre et le renseignement et les liaisons internes aux unités. Le schéma de l’organisation de base des transmissions du RA est accessible en cliquant ici.
La révolution dans ce domaine va commencer dans les années 1980 avec l’arrivée du système ATILA, qui intègre les liaisons entre tous les pions du régiment (avant, arrière), d’une part, et la prise en compte du réseau artillerie dans le système de transmissions interarmées RITA, d’autre part. Arrivera ensuite le système ATLAS CANON, profitant de l’exemple de l’ATLAS LRM, qui permettra d’intégrer tous les systèmes sol-sol et les moyens d’acquisition dans une sphère coordonnée, tout en apportant une souplesse d’emploi dans la modularité des moyens, ainsi que des passerelles vers les artilleries aliiées.
C’est un sujet très technique, souvent oublié, et pourtant l’arme de l’artilleur "c’est l’obus, pas le canon". Ce sujet mériterait à lui seul une étude plus complète.
En simplifiant, on peut retenir :
CONCLUSION GENERALE Pour la période 1945 à 1990 l’artillerie sol-sol française est marquée :
Références utiles : ouvrage de l’ingénieur de l’armement TAUZIN, tome 9,
Sites internet AMAD et BASART
[1] que l’on va de plus en plus intégrer sur les drones et les munitions