La bataille de Castillon est la première bataille de France où l’artillerie joue un rôle majeur et permet d’emporter la victoire. Cette bataille met fin à la guerre de Cent Ans et le chef des troupes anglaises, John Talbot, meurt, la tête emportée par un boulet.
A partir de 1429, après les coups d’arrêts portés à l’invasion anglaise par Jeanne d’arc, le royaume de France se redresse peu à peu. En effet, l’annonce de la levée du siège d’Orléans puis le couronnement du roi Charles VII (1422-1461) dans la cathédrale de Reims redonne espoir aux sujets du roi. La conquête du royaume est alors amorcée et les Anglais perdent peu à peu pied sur le continent.
En 1451, la conquête de la Guyenne anglaise (actuelle Aquitaine) est achevée suite à une courte campagne. Les mesures prises par Charles VII engendrent rapidement une révolte de la part des Aquitains. En effet, après trois cents ans d’occupation étrangère, les nouveaux sujets de Charles VII regrettent vite les Anglais qui ménageaient leurs droits communaux et leur autonomie. C’est ainsi que les Bordelais demandent l’aide du roi d’Angleterre Henri VI (1422-1471) qui envoie 3000 hommes en Aquitaine sous le commandement de John Talbot, un vieil homme de guerre ayant beaucoup combattu les Français. Ce corps expéditionnaire débarque le 20 octobre 1452, entre en triomphe à Bordeaux et reçoit le soutien des seigneurs gascons. Un second renfort de 2000 hommes arrive alors d’Angleterre, sous le commandement du propre fils de John Talbot, le seigneur de l’Isle. Les Français et leurs alliés bretons lancent une contre-attaque dès l’été suivant. En particulier, un corps d’armée descend la vallée de la Dordogne. Il est commandé par Jean de Blois, le comte Dunois et les frères Gaspard et Jean Bureau. Ils choisissent de ne pas marcher tout de suite sur Bordeaux et se retranchent non loin de Castillon.
La bataille qui s’ensuit se solde par une victoire décisive pour les Français grâce à un emploi judicieux et novateur de l’artillerie. Les Anglais écartés, les troupes royales se dirigent vers Bordeaux, où les seigneurs gascons se sont retranchés. Les Français, qui souhaitent en finir rapidement, mettent leur puissante artillerie en batterie devant la ville. Les Bordelais comprennent rapidement que si l’assaut est donné, les murs de la ville ne résisteront pas longtemps aux canons français. La ville se rend le 17 octobre 1453. De leurs possessions françaises, il ne restait alors plus aux Anglais que la ville de Calais : le tonnerre des canons de Castillon marquait ainsi la fin de la Cent Ans.
Si l’artillerie à poudre voit son usage se généraliser dans les guerres de siège en Occident grâce à sa puissance de feu et sa simplicité de mise en œuvre, et ce dès sa première apparition au siège de Metz en 1324, son utilisation dans une bataille rangée reste rare et le plus souvent inefficace. La raison en incombe principalement à sa très faible cadence de tir et à sa faible manœuvrabilité. Ainsi, l’artillerie bourguignonne déployée pour le siège de Maastricht entre le 24 novembre 1407 et le 7 janvier 1408 tire un total de 1514 boulets soit une moyenne de trente-trois boulets par jour seulement. Il est aussi rapporté que les pièces turques utilisées lors du siège de Constantinople en 1453 ne peuvent tirer plus de sept coups par jour. Le recul n’est pas maitrisé : les canonniers sont obligés d’effectuer des travaux de terrassement afin d’ancrer le socle de bois supportant le tube dans le sol, technique limitant fortement la réactivité face à un adversaire manœuvrier. Pour mémoire, l’un des rares exemples connus d’utilisation de canon dans une bataille rangée au XIVème siècle est la bataille de Crécy en 1346, où le roi d’Angleterre Édouard III aligna trois bombardes face aux Français, bombardes qui n’ont par ailleurs eu qu’un effet psychologique mesuré.
Ainsi, la majeure partie de l’artillerie constituée par les Grands de cette époque est essentiellement utilisée pour faire tomber des murailles.
Dans la deuxième moitié du XVème siècle, sentant le moment venu de profiter du sursaut français initié par Jeanne d’Arc pour reprendre plusieurs places fortes, Charles VII, tirant profit des dernières avancées techniques de l’époque, se dote de canons mobiles, plus légers et montés sur roues. Ces améliorations permettent à son artillerie de se déplacer plus rapidement et de reprendre notamment plus de soixante places fortes en Normandie en seize mois de campagne (1449-1450).
L’armement fourni par les frères Bureau à la solde du roi est très hétéroclite. Les calibres des pièces varient de deux à soixante-quatre livres, le calibre étant déterminé par le poids du projectile en livre, soit 500 grammes environ. L’artillerie légère comprend des fauconneaux et des couleuvrines, et aussi des canons à mains, appelés « haquebutes ». L’artillerie lourde, quant à elle, est dotée de bombardes, de canons et de ribaudequins et comprend également des pièces utilisant la torsion comme des catapultes. Démontées pour les transports, remontées pour les sièges, il est fréquent de voir ces dernières cohabiter avec les armes à poudre en cette fin de Moyen-âge. Le nombre total d’armes à feu à Castillon est estimé à environ trois cents (artillerie portative, légère et lourde), ce qui est considérable pour l’époque. Il y avait en effet, selon Jean Chartier, un chroniqueur de cette fin de Moyen-âge, « tant de grosses bombardes, de gros canons, de veuglaires, de serpentines, de crapaudines, de ribaudequins et de couleuvrines, qu’il n’était mémoire d’homme, que jamais on ait vu à roi chrétien si grosse artillerie, si bien garnie de poudre, et de toute autre choses pour approcher et prendre châteaux et villes, ni si grant’foison de charrois pour les mener, ni tant de manouvriers pour servir cette artillerie » .
Voici comment Jean Chartier conte la furie de ce
combat :
« Talbot fut fort ébahi quand, de ses yeux,
il vit les belles fortifications qu’avaient faites les
Français [...]. Cependant Talbot et sa compagnie
arrivèrent droit à la barrière, croyant forcer d’emblée
l’entrée du parc [...]. Alors commença grand
et terrible assaut, où se passèrent de grandes
vaillances de part et d’autres ; où il fut merveilleusement
combattu, main à main, à coup de hache,
de guisarme, de lance et de traits, moult vaillamment. Ce chaplis dura l’espace d’une heure ; car les Anglais y revenaient toujours avec grande ardeur, et aussi les Français ne s’épargnaient pas à bien les recevoir »
Cependant, tandis que l’affrontement fait rage du côté de la palissade, les frères Bureau ont le temps de préparer leur artillerie et de la mettre en batterie. Profitant que Talbot est occupé à galvaniser et à redonner courage à ces
troupes pour un énième assaut, l’ordre est alors donné à toutes les pièces à feu de tirer ensemble sur les Anglais. L’effet « boule de feu » ainsi créé les foudroie. Les Français assiégés profitent alors du carnage pour lancer une contre-attaque. Alertée par le bruit de la canonnade, la troupe de cavaliers bretons stationnée non loin de là fond sur ce qui reste des Anglais. C’est alors la débandade
pour les troupes adverses qui repassent tant bien que mal la Dordogne du côté du gué du pas de Rauzan. Ils laissent derrière eux plus de 4 000 morts, blessés ou prisonniers, dont leur chef, Talbot, qui périt dans les combats.
Cette bataille scelle le retrait des Anglais et permet d’asseoir l’autorité du roi de France. Pour l’Aquitaine, les conséquences sont bénéfiques. Les Castillonnais perdent leurs privilèges qui sont reconstitués petit à petit. En 1474, Jean de Foix Candale leur accorde une charte dont les dispositions sont confirmées et élargies par Gaston II en 1487. Mais cette défaite des Anglais bouleverse surtout l’économie de la région. Les échanges assurés pendant deux siècles et la prospérité de l’Aquitaine sont modifiés. Dans le domaine militaire, cette victoire, fruit d’une stratégie nouvelle, met en valeur le rôle important de l’artillerie ou l’action de la cavalerie, quand elle est utilisée au moment opportun. Toute une conception médiévale de la guerre s’écroule et montre son insuffisance devant les armes nouvelles.
Pour retrouver l’intégrale de ce texte, lisez : Au son du canon, vingt batailles de l’artillerie, ouvrage collectif sous la direction de Gilles AUBAGNAC, EMCC Lyon 2010, 144 p.(Disponible à la boutique du Musée de l’artillerie)
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