Chapitre 14 - 1970-1989 : La Défense sol-air à moyenne portée
Plan
1) Particularités des régiments Hawk français.
2) Modifications des rattachements.
3) Les améliorations successives du système d’arme.
1) Particularités des régiments Hawk français
À la différence de ce qui se pratique dans bien d’autres pays où il fait partie de l’armée de l’air, le Hawk français est affecté à l’Armée de Terre. De plus, deux de ses trois régiments ont une structure quaternaire. Dans leur genre, les formations Hawk françaises sont donc originales.
Le "401" se distingue notablement des régiments "402" et "403" par sa mission "École", mais les trois ont en commun des particularités qui résultent pour l’essentiel de la nature de leur système d’arme et des missions opérationnelles qui leur sont attribuées.
Depuis leur création, les dix batteries de tir Hawk opérationnelles sont identiques ; elles ont été organisées très rationnellement en s’inspirant de près du modèle américain.
Les trois régiments Hawk sont stricto sensu des régiments interarmes : chacun possède une unité de soutien spécifique (Détachement de soutien direct) fournie par l’Arme du Matériel, co-localisée et intégralement soumise à l’autorité du chef de corps du régiment auquel elle appartient. Il en résulte une coopération interne très étroite et marquée du meilleur esprit. À cause de cette situation, les régiments Hawk sont régulièrement inspectés par et soumis à l’autorité morale des généraux Inspecteurs de l’Artillerie et du Matériel.
Dans le dispositif opérationnel des forces terrestres, le "402" et le "403" appartiennent Eléments Organiques dont le niveau - armée ou corps d’armée - varie au fil des réorganisations ; ils dépendent du Chef Artillerie de cet échelon pour ce qui touche à la discipline et au financement de leurs activités d’entraînement spécifique. De façon générale c’est le niveau Armée (COMASA) qui décide de leur emploi, celui du Corps d’armée (ACA) conduisant leur mise en œuvre.
La présence de moyens très performants de commandement, de communications internes et externes, de coordination et de conduite des tirs, et de soutien logistique font du régiment sol-air Hawk l’unité d’emploi type, capable d’allier continuité et autonomie dans ses missions sol-air.
Le très grand nombre de véhicules tactiques (dont 200 camions poids lourds à châssis allongé) tractant ou portant ses matériels spécifiques, emportant la totalité de ses munitions initiales (36 missiles par batterie) en font aussi un régiment de transport routier à l’aptitude tous chemins.
Le parc très important de ses équipements hertziens et radio est équivalent à celui d’un régiment de transmissions.
Ainsi se trouvent combinées les différentes aptitudes requises pour être capable de remplir en totale autonomie les missions générées par l’emploi du Hawk français en Défense Aérienne ou au sein du Corps blindé-mécanisé
Chaque régiment possède un très fort pourcentage de cadres technico-opérationnels indispensables à la mise en œuvre des équipements du système d’arme et à son maintien en condition, tâches diverses et spécialisées qui réclament des compétences rares, complexes et d’un niveau technique très élevé.
Pourtant les superviseurs, dépanneurs, opérateurs ou simple servants du Hawk ne sauraient se considérer comme étant seulement des techniciens puisque, en campagne, les régiments Hawk français doivent pouvoir se déplacer quotidiennement, assurer par eux-mêmes leur sûreté, leur logistique, leur vie sur le terrain. Les spécialistes du Hawk ont donc la particularité d’être à la fois des soldats très entraînés à leur fonction et des techniciens hautement qualifiés.
La sélection et la formation des conducteurs tient une place importante dans l’instruction initiale des militaires du contingent ; elle est effectuée par les régiments eux-mêmes, qui doivent pourvoir chacun à la formation et à la confirmation des quelques 300 conducteurs confirmés (la plupart chauffeurs de poids-lourds tracteurs de remorque) qui leurs sont indispensables en permanence.
La professionnalisation des militaires du rang a commencé en 1986 avec l’opération Épervier qui a exigé la présence en plus grand nombre d’engagés volontaires (une centaine au "402" et autant au "403").
Dans les régiments SAMP, l’entraînement technique est mené en statique et le plus souvent en mode décentralisée (entraînement des batteries Hawk sur site), ponctué par des exercices régimentaires dynamiques de transmissions et de service en campagne et par la participation régulière aux grands exercices de Défense aérienne. Avec l’amélioration HIP, en permettant la simulation de situations aériennes complexes, la présence dans chaque batterie d’un simulateur appelé OTS accroît notablement les possibilités d’entraînement réaliste des équipes de tir.
Le déploiement en campagne du régiment Hawk est malaisé car la position de chaque entité majeure (PC-CCR, TC2 et DSD, batteries de tir) requiert pour chaque « pion » une surface de 10 à 12 hectares d’un terrain assez plat, totalement accessible aux camions poids-lourds, offrant pour d’excellentes possibilités de surveillance antiaérienne donc quasiment dépourvu d’obstacles importants et de toute nature.
Le déploiement d’une batterie en exercice statique est possible sur quelques emprises militaires peu éloignées des cantonnements (terrains de La Folie à Châlons-en-Champagne, Base de Semoutiers à Chaumont, terrain des Garrigues à Nîmes), mais cela ne suffit pas. Pour déployer le régiment en entier et pour s’entrainer à manœuvrer dans des conditions réalistes, la difficulté de trouver des terrains ad hoc est très importante, ce qui conduit à accepter des compromis qui ne sont supportables qu’en temps de paix.
Cette forte gêne aurait persisté et même se serait probablement amplifiée en période de conflit, avec des conséquences opérationnelles prévisibles mais très pénalisantes : cohérence insuffisante des dispositifs, possibilités de détection (donc de tir) réduites dans certains secteurs, ralentissement de la manœuvre en raison de l’accroissement des délais d’occupation et de sortie de position, exécution contrariée de la logistique propre au Hawk entraînant des indisponibilités prolongées d’équipements majeurs, etc.
Le risque non-négligeable de baisses de qualité et d’amplitude de la protection antiaérienne ainsi accordée aurait justifié - au minimum - qu’une priorité absolue dans le choix des positions et dans l’utilisation des points hauts soit attribuée aux unités chargées de la couverture antiaérienne du champ de bataille, et que des reconnaissances très approfondies en soient effectuées dès le temps de paix.
Dès leur création et sans cesser depuis, les unités de tir Hawk ont été soumises à des contrôles techniques normés. Ces tests notés, hérités des usages américains, sont restés longtemps une originalité absolue dans les armées françaises.
Se sont développées ensuite des épreuves calibrées permettant de mesurer uniformément et en vraie grandeur la qualité des unités de tir : contrôle d’aptitude technique en position, contrôle d’aptitude au tir, contrôle "manœuvre", écoles-à-feu. Elles ont par la suite été étendues à toute l’ASA ; dans le Hawk, elles ont toujours été réussies.
L’obligation de disponibilité liée à la mission de défense d’objectifs nationaux de première importance se traduit par la désignation permanente, au "402" comme au "403", d’un demi-régiment Hawk pour la tenue de l’alerte : il s’agissait d’être prêt à réagir sans délai, à quitter le quartier en moins de six heures, ce qui astreint la moitié des personnels du régiment à être en permanence présente et joignable dans la garnison. Être capable d’effectuer de tels déploiements-réflexes impose naturellement de se livrer à des exercices fréquents d’alerte, de ramassage des cadres et de mise sur pied des unités.
Le maintien de l’aptitude des matériels à faire campagne est une exigence permanente. Consacrées par l’usage et pratiquées couramment en période normale, la solidarité entre formations Hawk et leur aptitude aux liaisons techniques de grande amplitude et au soutien mutuel d’urgence permet d’y obtenir continuellement une disponibilité technique du meilleur niveau. L’attention soutenue portée au Hawk au sein de la Direction centrale du matériel de l’Armée de terre (DCMAT) assure aux unités un soutien central (spécifique du système d’arme) des plus efficaces.
Le Hawk est le seul armement majeur des forces armées françaises à avoir tiré avec succès en situation de conflit contre un aéronef adverse.
Sa réussite tchadienne - preuve indiscutable de sa valeur - résulte de plusieurs facteurs essentiels parmi lesquels doivent d’être soulignés :
L’esprit de disponibilité et la faculté d’adaptation de ses personnels,
Le sérieux et la régularité avec lesquels leur entraînement a toujours été conduit, dans un parfait esprit de coopération interarmées,
La valeur intrinsèque du système d’arme Hawk, maintenue en dépit des rigueurs budgétaires à un niveau exceptionnel de performances.
Ces caractéristiques propres n’ont pu être acquises et conservées que par un très bon entraînement d’Arme et de Spécialité. C’est là que réside l’originalité et la singularité majeures des unités Hawk ; leur force vient du fait qu’elles y ont été astreintes en permanence et en vraie grandeur.
2) Modifications des rattachements
Dans la période considérée, les régiments Hawk connaissent une certaine stabilité. Bien que leur système d’arme soit mis régulièrement à hauteur de la menace par des programmes d’améliorations multinationaux importants, leurs missions génériques restent les mêmes : participation à la défense aérienne en priorité, puis défense d’ensemble au profit de forces terrestres. Leur organisation globale interne ne change pas.
Leur première (et seule) participation significative aux opérations extérieures (Tchad, 1986-1989) met à l’épreuve leurs aptitudes opérationnelles.
En 1976, le 402°RA s’installe à Châlons-en-Champagne ; il y succède à l’École d’Application de l’Artillerie (EAA) qui a été transférée à Draguignan et il reste affecté à l’Artillerie du 1er Corps d’armée (ACA 1) dont le PC est à Mercy-lès-Metz.
Le 1er août 1977, la réorganisation de l’Armée de terre se concrétise par le rattachement du 403°RA à l’Artillerie du 2ème Corps d’armée (ACA2), PC à Offenburg (RFA).
Jusqu’en 1978, les recrues du "402" et du "403" sont instruites au "403". Des éléments du "403" destinés à former la batterie d’instruction du 402°RA rejoignent Châlons-sur-Marne le 1/8/1978, entrainant la dissolution du Groupement d’instruction du 403°RA et de sa 12°Batterie.
Au cours de l’année 1983, l’EAA reprend les missions de formation de l’EAASA, dissoute ; logiquement le 401°RA est déplacé à Draguignan en 1984 et il y passe sous les ordres du commandant de l’EAA.
Par directive du CEMAT en date du 9/2/1984, les régiments "402" et "403" sont mis pour emploi aux ordres de la 1ère Armée mais restent affectés pour le temps de paix aux ACA1 et ACA2. Le 22/10/1984, le "403" rejoint l’ACA1.
Le 1er juillet 1990, les régiments Hawk "402" et "403" deviennent des Éléments Organiques de la 1ère Armée.
3) Les améliorations successives du système d’arme
Alors qu’ils conservent toujours le même aspect général, les matériels Hawk français reçoivent les mêmes modifications que leurs homologues européens, en adoptant et adaptant des programmes d’amélioration conçus aux États-Unis. Par des modifications quasi invisibles pour un œil non exercé, leurs radars, leurs conduites de tir et leurs missiles sont ainsi maintenus au plus haut niveau d’efficacité opérationnelle.
La version « Hawk de base » est restée en service en France de 1964 à 1976. Quoique son efficacité ne soit pas mise pour autant en défaut, son évolution est rendue possible par des progrès d’odre technique.
Aux États-Unis, une étude d’améliorations du Hawk est lancée dès 1964 ; elle aboutit au HIP (Hawk Improvement Program) qui commence à s’appliquer aux matériels américains en 1972.
En 1974, un programme européen appelé HELIP est mis sur pied avec pour objet de faire bénéficier des améliorations HIP les équipements des nations européennes ; il leur est appliqué progressivement entre 1976 et 1982.
La modification HIP n’entraine pas de transformation majeure de l’organisation des régiments SAMP. Au sein des batteries Hawk, on procède seulement à une répartition différente du personnel et des matériels avec la création de deux sections dites de « couverture à haute altitude » et de « couverture à basse altitude » qui se substituent aux anciennes sections de conduite de tir et de lancement.
Les programmes PIP
Dès 1973, l’introduction de technologies avancées pouvant permettre d’améliorer une nouvelle fois les performances du système d’arme, l’US Army lance l’étude d’un concept d’évolutions progressives appelé PIP (Product Improvement Program).
Le PIP phase I (PIP I) remplace le radar de couverture basse (CWAR) par une nouvelle version améliorée et dote le radar de couverture haute (PAR) d’une meilleure capacité d’élimination des échos fixes. Il est appliqué en France entre 1978 et 1980. Un nouveau simulateur : l’OTS (Operator Training System) entre également en service, mis en dotation dans chaque batterie de tir.
Par ailleurs, l’application du PIP I introduit un nouveau calculateur de tir (ADP) accompagné d’un nouveau protocole d’échange de données (ATDL) assorti de la stricte obligation de protection de son format au niveau Confidentiel Défense. Bien que les conséquences en aient été peu perçues au départ, elles vont obliger à introduire ultérieurement des modifications très importantes, au niveau régimentaire.
Développé à partir de 1978 et appliqué à partir de 1983 sur les matériels US, le PIP phase II (PIP II) est consacré à la modernisation de l’électronique des radars illuminateurs sur lesquels il devient également possible d’installer un système de poursuite électro-optique appelé TAS (Target acquisition system).
Ce programme appelé RAM-EMCON est appliqué aux équipements français entre 1988 et 1990 (sauf l’adjonction du TAS qui n’est pas retenue). La capacité d’action et la résistance aux contre-mesures adverses s’en trouvent ainsi notablement accrues.
Un nouveau système régimentaire de commandement, contrôle et communication
L’obsolescence du Centre de contrôle régimentaire AN/TSQ-38 provoque son remplacement par un matériel américain, l‘AN/TSQ-73, choisi en 1980 par la France (en 5 exemplaires) et par l’Italie. Il est fabriqué sous licence en Europe et sa livraison est prévue initialement à partir de la mi-84.
Comme indiqué plus haut, l’introduction de l’ATDL par le PIP impose, sans attendre l’arrivée du TSQ-73, de trouver une solution de chiffrement des liaisons qui permette de continuer à utiliser le TSQ-38 et qui soit compatible des faisceaux hertziens régimentaires QR-MH-109. Or ces matériels de transmissions sont aussi condamnés à être retirés du service à courte échéance, en raison de l’abandon de leur gamme de fréquence par les armées.
Une solution transitoire est d’abord trouvée, par l’acquisition aux USA de crypteurs monocanal KG84, compatibles du TSQ-38 et du QR-MH-109.
Nécessité faisant loi, il est ensuite choisi par l’EMAT de doter le Hawk du système de transmissions et de chiffrement de masse RITA. C’est ce qui conduit à faire adapter le RITA aux régiments Hawk et, en parallèle, à concevoir et faire réaliser en cinq exemplaires une station de communication spécifique du Hawk appelée SICLOP (Système d’interface et de chiffrement des liaisons opérationnelles), couplée à chaque TSQ-73 et contenant un central RITA et un équipement de cryptage des échanges avec l’Armée de l’air appelé AL-73 (Automatisation des Liaisons du TSQ 73).
Grâce à cela, au 402° et au 403°RA, vers la fin des années 80, se trouve progressivement mis en place un nouveau concept de manœuvre régimentaire qui repose sur l’existence de deux modules identiques de commandement, de communication et de contrôle, constitués chacun d’un PC tactique régimentaire, du nouveau CCR AN/TSQ-73, de sa station SICLOP et d’un radar de surveillance AN/TPS-1E.
4) Le fait d’armes tchadien
Après un très court préavis, le 28/2/1986, le 403°RA projette par voie aérienne au Tchad un Détachement Hawk destiné à s’intégrer, au sein de l’Opération Épervier, à la Défense aérienne de la capitale N’Djamena.
L’ensemble envoyé en plein milieu de l’Afrique est constitué essentiellement des matériels d’une batterie Hawk dont l’effectif est renforcé en personnel de tir, d’une équipe triple de liaison auprès de la CETAC (Cellule tactique gréée par l’Armée de l’air française, chargée de la conduite des opérations dans la 3ème dimension) de N’Djamena et d’un élément de soutien émanant du DSD du régiment, et il allégé de la plupart des véhicules organiques et de leurs conducteurs.
Pendant les presque trois années de présence continue d’un Détachement Hawk au Tchad, les rotations de personnel s’y effectuent tous les quatre mois, assurées à tour de rôle par le "402" et le "403", avec un renforcement occasionnel mineur fourni par le "401".
Cette mission de défense aérienne est assurée par l’ASA sans aucune interruption, 24 heures sur 24, jusqu’à ce que le Hawk soit renvoyé en France, en septembre 1989. Elle trouve sa pleine justification le 7 septembre 1987.
Ce matin là,sur ordre du chef-contrôleur français de la défense aérienne locale [1], une équipe de tir [2]du 5ème Détachement Hawk Épervier [3](composé principalement par la 1ère Batterie du 403ème RA) effectue un tir réussi contre un bombardier libyen de type Tupolev-22 qui attaquait directement la capitale tchadienne et le dispositif français qui s’y trouvait.
C’est la première et la seule fois, depuis la fin du second conflit mondial, qu’une unité des Armées française intercepte par le feu un aéronef hostile. Ce fait de guerre est donc exceptionnel mais, bien que son mérite en soit partagé, cette réussite de l’ASA est assez peu goûtée dans l’Armée de l’air.
[1] Chef d’équipe : lieutenant (Air) Duhayon assisté du sergent-chef Bouvier, officier de liaison sol-air : sous-lieutenant Orlandi.
[2] Composition de l’équipe de tir : lieutenant Aznar, adjudant Tédesco, maréchaux-des-logis Haen et Pentel, brigadier-chef Laville.
[3] Chef de détachement : chef d’escadron Arnaud, commandant de batterie : capitaine Madec.