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Le canon de 40 Bofors dans la campagne de France (1939-1940)
 

Le canon de « 40 » dans la Campagne de France 1939-1940

Bien qu’il se soit retiré aux Etats-Unis, on doit à l’Adjudant-chef (er) Gaston DESSORNES, ex-spécialiste Nike puis Hawk de notre artillerie antiaérienne, de pouvoir bénéficier du fruit des nombreuses recherches et des travaux de Mémoire qu’il effectue, notamment lors de ses séjours réguliers en France. Il a ainsi pu se procurer le compte-rendu rédigé après l’Armistice par un capitaine ayant commandé « au feu » une batterie antiaérienne équipée des nouveaux canons de 40 m/m Bofors qui furent acquis directement et en assez peu d’exemplaires par la France, avant de début du conflit.

Après une très courte mais intense campagne de 23 jours, cet officier de réserve, le capitaine H. MAUDET qui fut placé à la tête de la 183ème batterie du 407° RADCA, témoigna par écrit en mai 1941, de sa brève expérience et présenta ses recommandations. Son unité avait été l’objet d’attaques aériennes répétées, parfois plusieurs fois par jour, et s’était montrée efficace et dangereuse pour l’ennemi qui ne s’y trompa pas : par exemple, le 16 juin 1940, celui-ci s’acharna et tenta, par quatre fois de la détruire, sans succès. Sa batterie fut indemne.

A la lecture du rapport MAUDET, présenté intégralement ci-dessous, on notera que les tirs de moins de cent obus furent suffisants pour atteindre (ou abattre) des objectifs. On est donc loin du ratio moyen des 3.000 coups tirés pour un avion abattu qui fut publié après la guerre. Ces scores exceptionnels ont été obtenus dans des conditions de grande dangerosité : ils démontrent un grand sang froid de la part des canonniers, une parfaite discipline de tir, une bonne maîtrise du commandement. Il convient de se rappeler à cet égard que le « 40 Bofors » avait une faible densité de feu puisqu’il était approvisionné par lame-chargeur de quatre obus et que sa cadence de tir n’était que de120 coups/minute.

Note sur le Matériel de 40 m/m BOFORS DCA du capitaine MAUDET

« Le Matériel de 40 m/m Bofors a été fort peu engagé, donc utilisé pendant cette dernière guerre, et n’a pu faire ses preuves. La 183eme batterie du 407eme DCA fut une des rares à tirer et comme commandant d’unité, je crois utile de composer la présente note.

EMPLOIS DU MATERIEL FIXE
Aucun tir de jour n’a été effectué pour la défense de Paris. Mais la batterie a été désignée par le GQG pour la défense de Creil, où elle est restée en positon du 18 mai 1940 à 6h 15 jusqu’au 10 juin à 3h30. Pendant cette période, l’unité a abattu certainement 5 avions, probablement 3 autres, et 6 ont été atteints. Ces tirs ont gêné l’adversaire au point que du 1er au 8 juin, il a paru éviter le tir de nos canons. Il a recouru au bombardement massif et en piqué, le 9 juin (cf. le résumé des comptes-rendus de tirs, en annexe).

Pendant ce laps de temps, aucun tir antiaérien de nuit n’a été exécuté ; peu d’activité de l’ennemi, absence de projecteurs, ordre de ménager les munitions. A Paris, dans la nuit de 12 au 13 mai, un tir a pourtant été effectué sur avion entendu. Coups tirés : 24. Ce tir, fait sans dispositif spécial (table de tir sous forme de tableau à double entrée), sans appareil d’écoute, était bon, ainsi que nous avons pu le vérifier, l’avion ayant été fugitivement éclairé en fin de tir. Mais le commandant de batterie avait conservé quelques habitudes prises dans la DCA en 1916-18.

Il ressort de ce qui précède que ce matériel est excellent, parfaitement précis pour le tir de jour et peut parfaitement exécuter des tirs de nuits, en lui adjoignant un appareil d’écoute simple et précis. Il faut attacher une grande importance à la télémétrie à moins que le commandant de tir ait une grosse expérience de l’arme, et puisse tirer à l’estime comme cela à été fait avec succès pendant la retraite.

Les TRANSMISSIONS demanderaient à être améliorées puisque rien n’avait été prévu, malgré le bruit du tir. Dès le 27 novembre 1938, à Paris, j’avais réalisé une transmission pour microphone au poste de commandement, et haut-parleur à chaque pièce, qui donnait satisfaction, même avec le port du masque.

EMPLOIS DU MATÉRIEL MOBILE
Étant donné la grande légèreté du matériel, sa stabilité sur route, même aux allures assez rapides, la grande vitesse de mise en batterie, et pensais-je, la possibilité de tirer sur roues (tirs du 9 juin 1940), j’avais suggéré à mon chef direct, dès octobre 1939, pour parer partiellement à la pénurie d’avions, la formation d’un « groupe volant de DCA » avec matériel de 40 m/m. Ce groupe, à la disposition du GQG, aurait été déplacé suivant les besoins, sur un secteur ou l’activité aérienne ennemie aurait été particulièrement vive, ou pour la protection de colonnes de troupes. Dans ce dernier cas, les 3 batteries du groupe pouvaient se diviser en 6 sections de 2 pièces chacune, s’échelonnant le long des colonnes et les accompagnant, en quelque sorte. Je n’ai malheureusement pas été écouté. Pendant la retraite, depuis le 10 juin jusqu’à l’armistice, la batterie a parcouru de grandes distances, effectué de nombreuse mises en batterie, sans incident. Enfin le 16 juin, au passage de la Loire, nous avons exécuté avec succès (deux avions abattus) des tirs à l’estime, sur roues, sans décrocher les trains ; et ceci vient prouver l’excellence de ce matériel, et ses grandes possibilités, en particulier comme DCA volante. Il été fortement question d’adopter l’appareil de conduite de tir anglais, pour tir indirect. Ce procédé serait peu pratique, et contrarierait la mobilité du matériel. Le correcteur « Bofors », d’une manoeuvre simple, permettant aussi bien le tir à l’orientation qu’à l’orientement, devrait être adopté. MITRAILLEUSES
Il y aurait intérêt à adjoindre à ces batteries pour tirs sur avions bas, de bonnes mitrailleuses, et non, comme était notre dotation, des « Saint-Etienne » modèle 1915 d’infanterie, réformées, et qui s’enraillaient immédiatement.

MARCHE EN COLONNE
Le matériel roulant et le personnel d’un tel groupe pourrait-être sensiblement celui d’un groupe de remorques modèle 1917/34, un peu allégé compte tenu de la différence du matériel d’artillerie. Pour pouvoir écouter les avions ennemis, je faisais précéder la batterie en marche d’un side-car, où se trouvait un guetteur muni de bonnes jumelles. Dès qu’il entendait un avion, il s’efforçait de l’identifier et nous alertait. J’arrêtais le convoi et la batterie était en mesure d’ouvrir immédiatement le feu, « sur roues ». Cette façon de déceler l’ennemi pourrait être améliorée si l’on dotait ces colonnes de voitures légères découvertes au lieu de conduites intérieures. De plus la surveillance du convoi serait ainsi grandement facilitée.

MATÉRIEL D’ARTILLERIE
Il devrait comporter des remorques-caissons à munitions, les cartouches s’y trouvant rangées en casiers, ou, au pis-aller, en caisses. Il s’est avéré, en effet, très incommode, à chaque mise en batterie, de sortir du tracteur de pièce les caisses de munitions, et de libérer ce véhicule. Le matériel automobile demande à être homogène, pour qu’une bonne vitesse moyenne puisse être atteinte. Les camions Panhard étaient parfaits de ce point de vue. L’Etat Major du Groupe, ou mieux, chaque batterie, devrait comprendre un tracteur de dépannage, et, naturellement, une équipe de dépannage et d’entretien. L’équipe constituée à la Batterie par des moyens de fortune, disposant d’un camion Panhard et d’un très maigre outillage, a donné les meilleurs résultats : aucune voiture, aucune motocyclette abandonnée. L’autoprotection sur route n’a pas été possible autrement que par les canons eux-mêmes : pas de camion disponible, pas de mitrailleuse fonctionnant normalement. Il faudrait envisager des petites voitures automobiles à plate-forme surélevée, ou mieux, des remorques qui pourraient tirer aussi bien pendant la marche que lorsque les pièces sont en batterie.

CONCLUSION


Le matériel de 40m/m Bofors a fait ses preuves, dans tous les cas par les tirs exécutés par la 183ieme batterie. Les résultats obtenus relatés à l’annexe, auraient été encore améliorés, si l’unité avait été engagée plus longuement, comme je l’avais demandé et si la pénurie de munition pour ce calibre n’avait pas obligé à les ménager.


ANNEXE


Extrait des comptes-rendus de tirs ayant eu des résultats
15 mai : 12h40 : tirs sur LIORE 45, signalé ennemi. Position de batterie Créteil. Coups tirés : 43. Un coup percute sur l’aile droite, s’abat aux environs de Chevrières, 20km NE de Créteil. 13h28 : Tirs sur HEINKEL 111. Coups tirés : 60. Un coup percute en plein milieu de l’avion qui pique et s’abat derrière un bois, vers Liancourt. Fumée noire.

19 mai, 13h06 : tirs sur groupe de Heinkel 111 ou Dornier ( ?) Position de batterie Créteil. Coups tirés : 47. Les derniers coups de la deuxième grappe atteignent l’avion de tête qui s’abat près de Gentilly.

21 mai, 15h05 : tirs sur 100 à 150 bombardiers. Position de batterie Créteil. Coups tirés : 133. 2 avions sont touchés, l’un serait tombé près de Thiverny.

29 mai, 13h27 : tirs sur Dornier 17 Position de batterie Créteil Coups tirés : 32. L’avion touché change de direction, l’un des moteurs a des ratés ; il s’abat près de Chevrière.

9 juin, 12h 27 : tirs sur 15 Junker 86 bombardant en piqué Créteil et la position de batterie Créteil. Coups tirés 152. 3 avions touchés. Sans autres nouvelles.

9 juin, 18h50 : tirs sur 20 avions Junker 86 de bombardement en piqué sur Créteil et position de batterie. Coups tirés 227. 5 avions atteints, 3 auraient été abattus dont un en flammes. La conduite du tir m’a empêché de m’en rendre compte.

16 juin, 4h25 : tirs sur 11 Dornier 17, bombardant et mitraillant la batterie. Position occupée Cloyes‐Montigny (QG de Paris). Coups tirés : 188. 2 appareils atteints en plein fuselage, un autre aurait été abattu. Un de nos canons a été légèrement avarié, mais réparé immédiatement.

16 juin, 18h00 : tirs (sur roues) sur 5 Heinkel 111. Position occupée : rive droite de la Loire, près du pont de Mer‐Muides (Loir et Cher) Coups tirés : 38 Avion touché s’éloigne rapidement. Il s’est abattu direction Sud‐Est.

16 juin, 19h10 : tirs (sur roues) sur Heinkel 111. Position occupée : rive gauche la Loire, près du pont de Mer‐Muides (Loir et Cher). Le long du mur du parc de Chambord Coups tirés : 67 Le groupe d’avions se dissocie, lâche ses bombes sans atteindre le pont ni l’objectif.

16 juin, 19h15 : tirs (sur roues) HEINKELS 111. Même position de batterie. Coups tirés : 36 L’avion est touché, pique avec une épaisse fumée noire et disparaît derrière les bois Nouan, Croucy. Explosion. Pendant ces tirs, l’aviation de chasse française n’a pas donné, et les tirs des 75 DCA quand il y en avait n’étaient pas ajustés.

En résumé : La 183° Bie du 407° DCA a certainement abattu 8 avions (2 le 18 mai, 1 le 19 mai, 1 le 21 mai, 1 le 29 mai, 3 le 16 juin), a probablement abattu 3 autres avions (le 9 juin) et en a touché 7 autres. Total des Coups tirés : 1687.


Document original, détenu au SHD, Château de Vincennes.


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