Histoire de l’Artillerie, subdivisions et composantes. > 1- Histoire de l’Artillerie > A- Histoire de l’artillerie terrestre au travers de l’Histoire de la France >
3- Un long et lent parcours (suite) :
 

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Au début du XVIIème, l’artillerie marque le pas technologiquement et tactiquement, elle est toujours un corps de spécialistes séparé du reste de l’armée, dotée d’une administration qui lui est spécifique. Le siècle de Louis XIV relance en France la dynamique de l’artillerie avec le "canon classique français" et la véritable organisation de l’artillerie en tant qu’Arme spécifique. En France, en 1671, le corps des fusiliers [1] du roi est chargé de la garde et du service de l’artillerie royale. Ce corps donne naissance en englobant d’autres formations au Royal Artillerie en 1693. Les officiers d’artillerie, contrairement à l’infanterie et à la cavalerie, sont formés dans des écoles.

Dans le premier tiers du XVIIIème, les Suédois révolutionnent la fabrication des canons, en fondant des tubes plus légers qui se déplacent ainsi plus facilement sur le champ de bataille. Ceux-ci sont munis d’une vis de pointage qui permet d’assurer des tirs précis et rapides en donnant au tube l’angle de site voulu. Mais ce procédé suédois n’est guère copié en Europe du fait du poids des habitudes. En France l’ordonnance de 1732, dite de Vallières, tente d’uniformiser, sans s’inspirer de la révolution suédoise, les canons eux-mêmes. En revanche, il n’en est pas de même pour tout ce qui gravite autour du tube : les caissons, les charrois, les forges, etc. Il n’y pas encore de vision d’ensemble.

Au milieu du XVIIIème siècle, les nouveautés viennent de Prusse : Frédéric a rendu parfaitement indépendantes les Artilleries de campagne et de siège, mais il a surtout créé une Artillerie à cheval capable de manoeuvrer et de soutenir les actions de la Cavalerie et de l’Infanterie. Ce XVIIIème siècle est une période d’effervescence. C’est l’époque des Lumières, des esprits libres et novateurs, de Voltaire et de Rousseau. C’est l’époque de l’Encyclopédie et des grandes révolutions techniques. L’armée en général et l’artillerie en particulier, n’y échappent pas, bien au contraire. Choderlos de Laclos est ainsi, à la fois, officier d’artillerie et écrivain.

Le comte de Guibert, s’inspirant des actions du maréchal de Broglie durant la campagne de Bohème en 1757 lors de la guerre de Sept Ans et des écrits de Bourcet, commence à théoriser le principe divisionnaire : il s’agit du juste emploi dans un cadre tactique défini de l’Infanterie et de la Cavalerie (les armes de mêlées, dirions nous aujourd’hui) et les appuis avec surtout l’Artillerie. Le but est de disposer sur le terrain des moyens complets pour emporter le sort de la bataille en conjuguant les efforts des divers moyens. Guibert publie un Essai général de tactique en 1772 qui inspire la grande réforme du comte de Saint Germain, ministre de la Guerre, en 1776. Pour Guibert, l’artillerie doit jouer un rôle global dans la bataille et cela est rendu possible par les innovations dues à Jean Baptiste Vaquette de Gribeauval . Il s’agit d’un saut technologique majeur dont le concept est, aujourd’hui encore, d’actualité.

Gribeauval s’est engagé au Royal Artillerie en 1735. Officier, il trouve, peu à peu, que les idées novatrices qu’il tente de propager sur l’utilisation de l’artillerie ne reçoivent pas l’écho qu’il espère. Il quitte la France en 1757 et s’engage en Autriche. Il étudie les diverses artilleries européennes. Son action sur le champ de bataille est appréciée par l’Impératrice qui le nomme Maréchal de Camp. Il rentre alors en France et le souverain le réintègre dans l’armée royale. A partir de 1765, il développe un système qui porte son nom. En 1776, il est nommé inspecteur de l’Artillerie. Son concept se résume à une phrase, révolutionnaire pour l’époque :

"Tout se tient dans un système d’artillerie : calibre, longueur du tube, système de pointage, affût, munitions, voitures de réapprovisionnements et une lacune dans l’une des parties compromet le fonctionnement de l’ensemble."

Cette notion de système est totalement neuve. Pour parvenir à mettre en oeuvre son principe, Gribeauval doit bousculer les habitudes, les corporations et les arsenaux. Son système repose sur quatre piliers :

  • unicité des mesures dans toutes les provinces de France pour les fabrications d’armements ;
  • interchangeabilité de toutes les pièces et accessoires entre eux ;
  • définition chiffrée et normée d’un seuil de tolérance pour toutes les pièces usinées ;
  • contrôle absolu de toutes les fabrications suivant un cahier des charges strict et grâce à des boîtes de contrôle, identiques dans tous les arsenaux, permettant avec des gabarits de vérifier les pièces.

Gribeauval est ainsi le père de toutes les industries modernes [2]. Son système, défini pour l’artillerie, est aussi appliqué à d’autres armes comme en particulier le premier fusil réglementaire français en 1777, réglementaire parce qu’il répond à un règlement ; tout comme l’arme d’ordonnance qui est fabriquée suivant une ordonnance du roi.

Napoléon, qui a d’abord été un officier d’artillerie brillant et qui s’est fait remarquer, en tant que tel, au siège de Toulon en 1793, est celui qui a le premier compris le potentiel de l’emploi de l’Artillerie dans un système Divisionnaire. Il utilise des pièces Gribeauval qui n’ont alors pas d’égal en Europe et fait manoeuvrer l’Artillerie au rythme de la bataille. Ceci est particulièrement vrai lors de la bataille de Wagram où, le 6 juillet 1809, il fait aligner 100 pièces sur un front de 1400 mètres. L’Artillerie française qui tire ce jour là, de l’ordre de 90000 boulets soit environ douze tonnes de poudre, décide du sort de la bataille. Mais tout autant que la qualité des tubes, c’est la manœuvre de l’artillerie, le savoir-faire des artilleurs, et la logistique pour employer un mot anachronique, qui décident du sort de la bataille. L’Artillerie est bien un véritable système tel que l’avait préconisé Gribeauval quelques décennies plus tôt.

Napoléon fait école très vite puisque dès 1813, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume peut écrire : "Faisons comme Napoléon, il faut ménager les forces et nourrir le combat jusqu’à ce que nous passions à l’attaque principale ; puis, lorsque l’attaque principale se produit, il faut la pousser très vigoureusement avec une grande masse d’artillerie et d’infanterie, pas avec 10 ou 12 canons, mais avec 100 pièces".

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[1] Ils portent ce nom car ils sont armés d’un fusil et non d’un mousquet.

[2] Voir l’influence de Gribeauval sur l’industrie aux États Unis aux XIX° dans Nouvelles approches de l’artillerie, op. cit.


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