Il s’agit de se doter d’obus chargés d’un explosif brisant, capable de fournir des éclats en plus grand nombre et de les projeter à une plus grande distance.Les progrès réalisés par le chimie devrait permettre d’atteindre cet objectif.
En 1878, le ministre confie au chimiste Berthelot [1], la présidence d’une Commission des substances explosives chargée d’étudier la question. L’urgence d’une solution devient évidente lorsqu’on apprend que les Allemands auraient réalisé des obus contenant un explosif puissant donnant, sur les fortifications, des effets très importants.
L’explosif français fut trouvé non pas par un savant ou un spécialiste des poudres et salpêtres, mais par un personnage original nommé Turpin, apprenti dentiste, ayant suivi des cours du soir de chimie ; il fabrique des jouets en caoutchouc.
François Eugène Turpin (1848- 1927) découvre en 1881 le premier explosif panclastique (mélange stabilisé de nitrobenzène et de peroxyde d’azote), alors qu’il tente de perfectionner la vulcanisation du caoutchouc ; il découvre les propriétés explosives de l’acide picrique qu’il arrive à stabiliser par pressage dans du coton. Breveté en 1865 cet explosif est adopté en 1887 par le gouvernement sous le nom de mélinite [2] pour remplacer la poudre noire dans les obus.
Ce produit très sensible au choc et à la chaleur, dans sa forme cristalline, est fondu puis coulé ensuite dans les corps d’obus. Pour obtenir l’explosion il faut amorcer à l’aide d’un relais d’acide picrique pulvérulent, incorporé entre la fusée et l’explosif fondu. Ce détonateur est réalisé par l’Ecole de pyrotechnie. les essais sont faits en 1884 par le Direction des poudres.
Turpin avait rédigé un mémoire sur l’« acide picrique et ses utilisations militaires [3] ».
On expérimenta, de 1886 à 1888, des obus chargés en mélinite sur des ouvrages de fortification, et ces tirs prouvèrent leur grande efficacité. Ce qui, par ailleurs et en réaction, amena à modifier l’usage de l’artillerie sur ces ouvrages [4].
L’adoption d’obus en acier à grande capacité permit d’augmenter encore la charge en explosif. On trouva aussi des produits de substitution, crésylite et nitronaphtaline, ayant des effets équivalents.
Les essais sur les objectifs du champ de bataille ont montré que ces obus explosifs auraient une efficacité très grande sur le personnel à découvert ou abrité derrière les murs ou dans les maisons, mais moindre s’il était abrité derrière des épaulements.
Le général Langlois, éminent tacticien, estime que l’obus explosif a une action trop énergique dans une zone d’action trop étroite ; il lui oppose l’obus à balles, qui a une zone efficace plus étendue. Il admet cependant que cette infériorité de l’obus explosif disparaîtrait lorsqu’on aurait réalisé un canon à tir rapide arrosant une large surface en peu de temps.
Le canon à tir rapide devient la priorité du moment.
[1] Pierre Eugène Marcellin Berthelot (1827-1907) (extraits de Wikipédia). Né à Paris d’un père médecin et républicain convaincu, il fait ses études au Lycée Henri IV, puis à la Faculté des sciences à Paris et à la Faculté de pharmacie. Il étudie les composés organiques de nature complexe. Il obtient son doctorat en 1854, avec une thèse sur la structure et la synthèse des graisses et sur la combinaison du glycérol avec les acides. En 1959 il est nommé professeur à l’École supérieure de pharmacie. En 1865 il est professeur de chimie organique au Collège de France. Outre la chimie, il s’intéresse aussi aux explosifs. En 1870, il participe à l’effort de guerre et est nommé au Comité scientifique de défense ; il est membre puis président du comité consultatif du Service des poudres et salpêtres de France, puis président de la Commission des substances explosives. Il encadre la fabrication de canons et expérimente de nouvelles poudres... Par la suite il aura une carrière plus politique tout en s’intéressant aux sciences...
[2] en raison de sa couleur qui le fait ressembler à du miel (melinos en grec)
[3] Il fut emprisonné en 1891 pour avoir publié un ouvrage donnant des renseignements intéressant la Défense nationale et avoir proposé le brevet de son explosif à divers gouvernements étrangers, dont l’Allemagne. Il fut gracié en 1893.
[4] L’artillerie des ouvrages de fortification, tirant à ciel ouvert derrière des épaulements, aurait été la première victime d’obus de ce genre. On décida donc de la sortir des forts en l’installant dans des batteries enterrées sans relief, entourées de défenses accessoires et flanquées par les feux de l’ouvrage. La fraction d’artillerie laissée dans l’ouvrage serait placée sous tourelle et dotée d’observatoires cuirassés. Les forts devraient être renforcés par des dalles de béton, particulièrement au-dessus des magasins à munitions. C’était un programme de travaux longs et coûteux : on l’appliquera seulement aux ouvrages Séré de Rivières les plus importants de Verdun, Toul, Épinal et Belfort.