L’artillerie prussienne aborde donc la campagne de 1870 avec un matériel, une instruction et une doctrine correctes. Elle sait se pousser vers l’avant, souvent de sa propre initiative, pour préparer l’attaque de l’infanterie, s’engageant non plus par batteries isolées mais par groupe de 4 batteries ou par régiment. On voit même à Saint-Privat l’artillerie du corps de la Garde s’avancer au trot à hauteur de l’infanterie, se mettre en batterie et prendre sous son feu l’infanterie française. A Sedan toute l’artillerie allemande est engagée au plus tôt et en masse, comme elle l’avait été à Rezonville.
Avec la portée plus grande des canons rayés, une « réserve d’artillerie » est considérée comme un moyen périmé. « L’artillerie n’est plus obligée de se déplacer pour tirer ailleurs » ; on manœuvre les feux. L’artillerie de corps, qui a remplacé la réserve, agit en masse sur le point d’effort. [1]
L’artillerie française, elle, s’engage, comme elle l’avait fait en Italie, par batteries isolées tirant droit devant elles, sans aucune idée de manœuvre des feux. Les difficultés de réglage du tir sont plus grandes encore qu’au champ de tir.
Les divisions disposent normalement de 3 batteries (venant le plus souvent de 3 régiments différents) dont une est parfois armée du « canon à balles », matériel mal connu qui sera mal employé. Les batteries divisionnaires sont disposées en profondeur et l’artillerie de réserve sera généralement engagée trop tard. La liaison avec l’infanterie est peu et mal assurée.
On a dit que la supériorité du fusil Chassepot prédisposait notre tactique à la défensive. Il est vrai que l’obsession de la défense sur les « belles positions » existait aux échelons supérieurs, peut-être en souvenir de la guerre de Crimée. Elle était aussi la solution de facilité évitant la manœuvre que le manque d’entraînement du temps de paix tendait à écarter. Cependant, l’infanterie, où prédominait le souvenir des charges victorieuses d’Italie, se lancera souvent à l’attaque d’un ennemi bien instruit. Or, le fusil Dreyse, inférieur au Chassepot aux distances moyennes, lui était comparable aux distances plus rapprochées et il n’avait pas été neutralisé par l’artillerie française.
Enfin, et surtout, cette artillerie avait seulement 2,5 pièces pour 1 000 fantassins alors que les Allemands (d’ailleurs plus nombreux) en avaient près de 4 pour 1 000 fantassins. Les Français avaient moins de 1 000 pièces (de 4, de 12 et en « canons à balles »), qui disparurent pour la plupart à Sedan et à Metz ; l’armée allemande disposait d’environ 2 000 bouches à feu.
A Froeschwiller, l’artillerie française, luttant avec 107 canons et 24 « mitrailleuses » contre 312 pièces allemandes, subit de lourdes pertes. Les quelques batteries restantes protègent la retraite et se retirent les dernières, comme elles le feront à Forbach et à Vionville. Cependant, à Gravelotte comme à Saint-Privat, l’artillerie française infligera de très fortes pertes à l’ennemi. Sur son rôle à Sedan on ne peut que répéter ce qu’a écrit le général Ducrot : « L’artillerie ne se montra pas moins admirable que la cavalerie » et « l’héroïsme déployé par l’artillerie, sûre d’avance d’être écrasée, est bien audessus de ce que nous pourrions exprimer ».
La deuxième partie de la guerre, menée par le gouvernement de la Défense nationale, montre un gros effort de reconstitution de l’artillerie. Dès novembre 1870, sont mis sur pied les 21e et 22e régiments formés par les dépôts. Le Service de l’artillerie fait rayer les pièces lisses des arsenaux et fabriquer les canons de 7 dont les plans lui ont enfin été remis. L’Atelier de Meudon, transféré à Nantes, reprend la fabrication des canons à balles. Le Creusot livre 23 batteries de canons de 7 en bronze et 16 batteries de canons à balles. Saint-Chamond fournit 200 canons de 7 en acier. A Paris même sont fabriquées 8 batteries de canons à balles (et 4 canons de 7) par le Service, plus quelques batteries de 7 par des firmes civiles.
L’artillerie de la marine avait à Sedan 2 batteries de 4, une de 12 et une de canons à balles. Sa participation fut plus importante dans la défense de Paris et dans l’encadrement des armées de la Défense nationale. A Paris elle arma, avec ses artilleurs et les canonniers-marins, plus de 16 batteries, et son service participa à l’effort d’armement.
Une commission civile d’armement avait acheté aux Etats-Unis 50 batteries Parrott et en Angleterre 50 batteries Whitworth. Elles arrivèrent trop tard et furent d’ailleurs refusées par le ministre de la guerre ; elles étaient défectueuses et la fabrication de leurs munitions était très difficile.
Dans les armées de la Défense nationale, qui comportent une infanterie improvisée, l’artillerie reprend un rôle important, s’engageant en totalité au début de la bataille, en particulier à Coulmiers, qui est un des rares succès de cette campagne. Le rapport officiel du général d’Aurelles de Paladines en témoigne : « L’héroïsme déployé par l’artillerie mérite les plus grands éloges : elle a dirigé son feu et manœuvré sous une grêle de projectiles avec une précision et une habileté remarquables » ; et Chanzy, après le combat de Villepion, écrira : « L’artillerie a été d’une audace et d’une précision que je ne peux que louer. »
[1] On racontait en riant, dans l’armée prussienne, que le général commandant le corps d’armée, lorsqu’il recevait un renseignement qui l’obligeait à monter à cheval s’écriait aussitôt : « Mes bottes ! ... et mon artillerie de corps ! »