Le Service de l’artillerie avait, jusque vers 1850, appliqué de façon très restreinte les procédés nouveaux dus au progrès du machinisme dans l’industrie. Le Comité était pris entre le désir du Service de se trouver au niveau de l’industrie civile et le souci, exprimé à maintes reprises, de ne pas nuire à l’instruction des compagnies d’ouvriers d’artillerie pour le temps de guerre, le machinisme n’étant pas transportable sur le champ de bataille à cette époque.
Cependant l’avance de l’industrie privée, constatée par les officiers du Service des forges, est telle que, en 1832 les fonderies de Strasbourg et de Toulouse, en 1867 les arsenaux de Douai, Strasbourg et Rennes, ainsi que les ateliers de construction de Puteaux et Tarbes, sont ou vont être équipés de machines à vapeur. La fabrication des fusils rayés, celles du canon-obusier modèle 1853 et du matériel rayé modèle 1858, celle du fusil modèle 1858, celle du fusil Mle 1866 Chassepot (dont le gouvernement veut faire fabriquer 1 200 000 de 1866 à 1870), imposent ces mesures.
Cela oblige à construire de nouveaux ateliers, à y installer des machines et à instruire le personnel dans leur emploi, leur entretien, leur réparation. Cela coûte cher et, dans les dernières années du Second Empire, les dépenses d’armement de l’armée de terre, qui étaient de 3,5 millions en 1865, montent à 39 millions en 1868, avec une moyenne de 31 millions par an de 1867 à 1870. Malgré cette augmentation, l’importance des dépenses engagées dans ces investissements et dans la fabrication du fusil modèle 1866 oblige à restreindre les crédits affectés aux améliorations du système d’artillerie La Hitte ainsi qu’aux études sur les fusées d’obus.
Le Comité de l’artillerie avait souvent réclamé le déplacement des établissements situés trop près de la frontière. Malgré des résistances locales et électorales, l’idée prit corps de situer à Bourges, au centre de la France, un arsenal auquel s’adjoindrait une fonderie remplaçant celles de Strasbourg, Douai et Toulouse. On y transporterait aussi l’École de pyrotechnie de Metz. La décision, prise en 1860, était réalisée au début de 1870.
Ces déplacements posaient des problèmes sociaux. Le Comité s’en préoccupa : il fit construire des cités ouvrières, créa dès 1843 une « masse de secours » financée par une retenue mensuelle sur les salaires. Cette masse alimentait le remboursement des frais de maladie et l’allocation de secours. La masse de secours jouait aussi le rôle de caisse d’épargne avec un intérêt annuel, important pour l’époque, de 4%.
L’instruction technique du personnel civil et militaire était organisée dans chaque établissement sous la responsabilité du directeur. Ces mesures favorisaient l’avancement et la promotion sociale du personnel. Le Service de l’artillerie fut, sur beaucoup de ces points, un précurseur.
Le Comité, qui étudiait les projets d’invention, fut souvent accusé de favoriser les officiers d’artillerie. Il a certainement commis des erreurs ; mais pas à sens unique. Une idée d’invention peut être ingénieuse sans que sa réalisation technique soit encore possible.
Ce fut le cas du frein de bouche de Treüille de Beaulieu, des premiers obturateurs de culasse du capitaine de Bange, du pointage au miroir du lieutenant (futur général) Deloye, et de bien d’autres.
L’inventeur, s’il est bon technicien, cherche alors un mode de réalisation de son idée adapté aux possibilités du moment ; d’autres se bornent à se croire victimes d’injustice.
Quand l’ingénieur Prou proposait en 1872 un canon à tube conique de 88 mm à la chambre et 55 mm à la bouche, lançant ainsi un projectile de 55 mm à très grande vitesse initiale, c’était le principe des canons antichars Gerlich que les Allemands mettront en service plus de soixante ans plus tard et qui donneront une vitesse initiale de 1 500 m/s.
On avait proposé en 1853 un projectile contenant un gaz empoisonné. Le Comité expliqua les raisons de son refus : « L’idée d’envoyer le poison dans des projectiles creux n’est pas neuve... mais de tels moyens de destruction répugnent aux nobles et généreux sentiments qui caractérisent l’esprit militaire. »
En 1861, un projet de « fort ambulant avec rempart en fil de fer » est refoulé ; le même projet présenté à nouveau en 1867 sous le nom de « fort cuirassé roulant » est à nouveau refusé car, « avant qu’on ait résolu d’une façon satisfaisante le problème depuis fort longtemps posé des locomotives routières, peut-on se bercer de l’illusion qu’on arrivera à la locomotion par la vapeur sur des terrains mouvementés, labourés, plantés, entourés de clôtures et de fossés » ?
Un ingénieur anglais présente en 1863 un projet de « matériel d’artillerie sur voie ferrée ». Le Comité doute que, même avec un corps élastique entre l’affût et la voie ferrée, l’effet du recul sur le truck et la voie puisse être annulé. Un projet de matériel du même genre présenté plus tard par le capitaine d’artillerie Peigné aura le même sort.
Ces idées intéressantes seront mises en œuvre plus tard, lorsque les circonstances et la technique permettront la réalisation du canon conique, de l’obus à gaz, de l’artillerie d’assaut et de l’artillerie sur voie ferrée.
La commission de Metz, dite « des principes du tir », établissait les tables de tir qui donnaient, pour les différents matériels et d’après la distance de l’objectif, les éléments principaux du tir, en particulier l’angle de tir et l’angle de chute. La commission, qui comptait parmi ses membres Piobert, Morin et Didion, traitait plus généralement des questions de balistique et des effets des projectiles à l’impact. Lorsqu’elle eut, en 1850, terminé ses travaux sur les tables de tir et l’aide-mémoire de l’officier d’artillerie, elle fut dissoute. L’étude des nouveaux matériels la fit rétablir en 1855. Neuf ans plus tard elle sera fondue avec la Commission permanente créée en 1862 au Camp de Châlons.
Le problème du réglage du tir qui, à cette époque, doit précéder le tir d’efficacité sur l’objectif avait été étudié par l’artillerie française, mais dans des conditions difficiles. Aux écoles à feu, on utilisait généralement des obus d’exercice plutôt que des obus de guerre, et peu des fusées percutantes, qui d’ailleurs n’étaient pas au point. De plus les lunettes et jumelles étaient rares, et le capitaine d’artillerie de Lamothe racontait qu’il avait fait beaucoup d’envieux quand, pendant la campagne de 1870, il utilisa des jumelles de théâtre sur le champ de bataille.
Il était difficile, avec des obus d’exercice munis de fusées fusantes (dont on a vu qu’elles n’avaient que deux évents) et tirés à ricochet, de déterminer le point où la trajectoire rencontrait le sol, ce qui est à la base des méthodes de réglage. La valeur du tir résultait uniquement de l’évaluation correcte de la distance par le capitaine et de la visée précise du pointeur : on étudia donc des appareils de mesure des distances, les télémètres, et des méthodes de formation des pointeurs ; mais il ne pouvait pas y avoir de réglage efficace tant qu’une fusée percutante correcte ne serait pas réalisée.
On conseilla aux officiers « d’observer attentivement la marche du projectile à partir de la batterie ». C’était possible pour un tir à faible vitesse initiale ; mais c’était bien difficile sur un champ de bataille.
Comme on l’a vu, la monarchie de Juillet avait, en 1834, porté à 14 le nombre des régiments d’artillerie. En 1841, elle avait transformé en 15e régiment d’artillerie-pontonniers le bataillon existant depuis 1815.
En 1854, un régiment à cheval de la Garde impériale est créé. En même temps les régiments d’artillerie sont dissociés pour reconstituer des régiments homogènes en matériel. Les cinq premiers sont des régiments à pied. De plus, un régiment à pied de la Garde impériale est formé en 1855. Le numéro 6 est attribué aux pontonniers, les régiments du 7e au 14e sont montés et les 15e, 16e et 17e sont « à cheval ».
En 1857, sont mis en place cinq « Commandements supérieurs des Divisions militaires » confiés à des maréchaux, pour préparer l’entrée en ligne des corps d’armée dans la campagne d’Italie de 1859. Ces corps d’armée sont conservés en temps de paix (six en métropole, un en Algérie et un de la Garde), et chacun d’eux est doté d’un commandement de l’artillerie qui coiffe les troupes et services de l’artillerie stationnés sur le territoire du corps d’armée.
En 1860, après la campagne d’Italie qui a vu les succès de l’artillerie avec son matériel modèle 1858, de nouveaux régiments montés prennent les numéros 15 et 16. Les régiments à cheval (dont un nouveau) prennent les numéros 17, 18, 19 et 20. Le régiment à pied de la Garde devient régiment monté.
En 1867, nouvel avatar : les régiments à pied deviennent régiments montés ; le régiment de pontonniers, qui portait le numéro 6, prend le numéro 16 et le 16e monté prend le numéro 6. Mais comme on a toujours besoin d’artillerie à pied (l’expédition du Mexique vient de le confirmer), les quinze régiments montés comprendront chacun 4 batteries à pied, ce qui rétablit l’hétérogénéité des matériels dans le régiment, sauf dans l’artillerie à cheval.
Le train des parcs, dissous en 1854, avait alors formé des compagnies de conducteurs rattachées aux régiments à pied créés à cette date. Reconstitué en train d’artillerie à 6 escadrons en 1860, il est en 1867 regroupé en deux régiments.
Le nombre des régiments était toujours de 20 ; mais la réforme de 1867 a, en fait, supprimé environ 45 batteries d’artillerie. L’Empire libéral, pour compenser l’augmentation des dépenses d’armement nécessitées par la fabrication du Chassepot et les transformations du Service de l’artillerie, a rogné sur le nombre des batteries de l’Arme à un moment qui se révélera bien mal choisi.
Ces modifications trop fréquentes, qui ramènent à peu près à l’organisation de 1829, provoquent des perturbations importantes dans l’instruction des corps de troupe.
On notera que ces problèmes d’organisation ont été réglés sans que le Comité ait été consulté. Cependant, en mai 1864, il a eu à donner un avis (défavorable) sur l’augmentation du nombre des cantinières dans les régiments d’artillerie. Il aura encore à se pencher sur le sort de ces précieuses auxiliaires en juin 1869 pour demander « que leur soit affecté le matériel dont elles ont besoin ».
Le régiment d’artillerie de la marine a, depuis 1830, subi de continuelles variations d’effectif ; il augmente en période de tension pour tomber brusquement lorsque le danger est passé. En 1842, les difficultés avec l’Angleterre s’étant éclaircies, il tombe de 40 à 32 compagnies. Mais il reçoit un drapeau ; il n’en avait plus depuis 1830, alors que les autres corps avaient reçu le leur en 1831.
L’artillerie de la marine, qui portait déjà le même uniforme que l’artillerie de terre, prend en 1860 les appellations et applique le service intérieur des troupes à cheval. Le régiment aura non plus un drapeau mais un étendard.
En 1861, le régiment passe à 28 batteries, une section de fuséens et une compagnie de conducteurs. L’ensemble du Corps comprend alors : deux officiers généraux et un état-major particulier, le régiment, six compagnies d’ouvriers et un service du matériel comportant les directions d’artillerie de la marine et des colonies.