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3- Le général Treuille de Beaulieu et les avancées technologiques
 

Le général Treüille de Beaulieu

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Antoine, Hector, Thésée Treüille de Beaulieu, né à Lunéville en mai 1809, est entré à l’École polytechnique en 1829. Lieutenant d’artillerie en 1833, capitaine en second en 1840, il sert alors à la manufacture d’armes de Châtellerault. Ses études de dispositifs nouveaux indiqués plus haut le signalent à l’attention ; mais dans un mémoire adressé en juin 1842 au Comité de l’artillerie, il préconise avec insistance le chargement par la culasse de canons rayés. Traité d’esprit chimérique, mal noté, écarté des services techniques, il va faire son temps de commandement.

Affecté ensuite à l’Établissement de Bourges puis à l’Atelier de précision, il aura sa revanche : il est en 1852 décoré pour son étude d’une carabine rayée. Chef d’escadron en 1854, il relance ses idées sur les canons rayés. Il est chargé de la construction des pièces de 24 rayées prévues pour la Crimée, puis des canons de campagne rayés modèle 58 du système La Hitte. Nommé lieutenant-colonel en 1857 et directeur de l’Atelier, il est colonel en 1859.

Il avait, pendant sa collaboration avec l’artillerie de la marine, constaté les possibilités de la commission de Gâvres. Il en profita pour lui présenter quelques idées personnelles dont celle du « canon à trous ». La Commission reconnut que le recul de la pièce était passé de 6,08m à 1,74m. Mais peut-être Beaulieu fut-il considéré comme un peu trop envahissant ; il y eut quelques heurts, le préfet maritime s’en mêla, et les essais furent suspendus.

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La Marie-Jeanne
Canon à trou pour freiner le recul.

En 1867, le général de brigade de Beaulieu commandait l’artillerie de la 7e division militaire ; en 1870, il organisa les batteries de l’armée du Nord, fut nommé général de division en 1871, passa au cadre de réserve en 1874 et mourut en 1886.

Dans une lettre à l’un de ses adjoints il donnait, sur les fabrications, un conseil trop souvent ignoré : « Il ne faut exiger la précision que là où elle est indispensable ou peut être obtenue en peu de temps. »

Les avancées technologiques de l’époque

Les avancées technologiques sont nombreuses et importantes mais ne seront pas toujours intégrées avant le guerre de 1870.

Le chargement par la culasse

Une culasse à vis à filets interrompus de Treüille de Beaulieu avait été admise par la marine, à la suite d’essais imposés en 1859 par l’Empereur qui avait une grande confiance dans les idées du directeur de l’Atelier de précision. Les matériels construits sur les tracés de Beaulieu furent expérimentés à Gâvres, où l’obturation fut améliorée sans être entièrement satisfaisante. Le système arma les canons d’un bâtiment nouveau.

La culasse de l’artillerie prussienne à cette époque était une culasse à coin, s’ouvrant par un mouvement perpendiculaire à l’axe du tube et amenant alors, en face de l’âme du canon, un orifice qui permettait le chargement. A la fermeture la partie pleine du coin prenait la place de la partie creuse et assurait l’obturation. La culasse Krupp à coin unique donnant une obturation insuffisante, la culasse Kreiner à deux coins coulissant en sens inverses lui avait été préférée.

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La vis à culasse de Beaulieu était une grosse vis à filets interrompus dont l’écrou correspondant était ménagé à l’arrière du tube. Pour fermer la culasse on plaçait les secteurs filetés de la vis face aux secteurs lisses de l’écrou, et on enfonçait la vis culasse. Avec une rotation de la vis, la fermeture était effectuée. L’ouverture se faisait par la rotation inverse et la vis, tirée vers l’arrière, venait reposer sur une console qui se rabattait sur le côté pour le chargement.

Le Comité fit exécuter en 1869 des essais comparatifs entre la culasse à vis de Beaulieu et une culasse à coin suédoise Wahrendorf : elles furent jugées toutes deux convenables dans leur principe mais laissant encore à désirer du point de vue de l’obturation.

On s’est demandé pourquoi l’artillerie de terre n’avait pas adopté la culasse de Beaulieu alors que la marine l’utilisait déjà sur un navire. Comme l’a écrit l’ingénieur général Patard, de l’artillerie navale : « L’artillerie de terre ne peut, pour des raisons tactiques, se départir du principe de l’unité d’armement. Elle doit donc, lorsqu’elle veut changer de système de matériel, le changer en bloc ainsi que les stocks de munitions. Une telle opération, très coûteuse, peut avoir lieu seulement lorsque le système nouveau est tout à fait au point. Ce n’était pas le cas en 1869. »

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Par ailleurs le capitaine de Reffye, aide de camp de l’Empereur, avait été nommé en 1861 directeur de l’Atelier de Meudon. Il travaillait avec un groupe restreint dirigé par le général Favé, artilleur éminent et conseiller de l’Empereur, lequel suivait de près les réalisations. Reffye mit à l’étude en 1863 un « canon à balles », souvent nommé « mitrailleuse », dont le premier exemplaire sortit en 1866.

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Le canon à balles se composait d’un ensemble de 5 rangées parallèles de 5 tubes rayés entouré d’une enveloppe de bronze. La pièce, sur affût de 4, tirait des balles de plomb de calibre 13mm. Chaque charge de poudre était contenue dans une douille métallique légère portant au culot une amorce à percussion. Les 25 cartouches, engagées dans un bloc formant culasse, s’introduisaient dans les 25 tubes et la mise de feu s’exécutait par 25 percuteurs actionnés successivement au moyen d’une manivelle. La précision était bonne jusqu’à 1 000m en tir tendu. La cadence pouvait atteindre plus de 100 coups à la minute.

Le capitaine de Reffye étudia également des canons de 7 et de 4 se chargeant par une culasse du type Beaulieu portée par un volet qui assurait, avec une douille contenant la charge, une bonne obturation. Quelques matériels de 7 étaient construits au début de 1870.

Le secret qui avait couvert ces études fit que ni la troupe ni même les officiers n’avaient été instruits sur ces matériels, et cela fut fort préjudiciable à l’emploi en guerre des 200 canons à balles mis en service dans les unités.

Le Service des poudres

La fabrication de la poudre à canon fait des progrès. On n’en est plus au temps où un balisticien réputé estimait que ce qu’il y avait de plus certain dans cette poudre, c’était son incertitude.

Depuis 1800, le Service des poudres est aux ordres du ministre de la guerre et placé sous l’autorité de l’Inspecteur général de l’artillerie. Les personnels sont civils, mais les inspecteurs sont des officiers d’artillerie. En mai 1815, il est confirmé que les commissaires des Poudres seront recrutés parmi les polytechniciens et, en 1817, les quatre administrateurs civils sont remplacés par des officiers généraux issus de l’artillerie.

On. cherche d’abord à déterminer une poudre type pour que les produits des différentes poudreries soient de même composition et de même effet dans un même matériel. La charge était la moitié du poids du boulet avec le matériel Vallière, le tiers avec le système Gribeauval, moins d’un tiers avec le système Valée. Avec le système La Hitte qui est rayé, donc avec une forte diminution du vent, la charge est du dixième du poids de l’obus alors que celui-ci, étant oblong, pèse environ le double du boulet pour le même calibre.

On tenta, vers 1832, de remplacer la poudre noire par le coton-poudre ou « poudre-pyroxyle ». Aux essais, les fusils et canons furent rapidement détériorés, un canon de 12 éclata après 56 coups, des obus éclatèrent dans l’âme, et le Comité rejeta l’emploi du pyroxyle dans « les armes de guerre et les projectiles creux ».

En 1865, la Direction des poudres est supprimée [1]. Le Service de l’artillerie conserve les poudreries du Bouchet, de Saint-Chamas, du Ripault, de Metz et de Constantine.

Les fusées d’obus

Les fusées d’obus (fixées à la tête de l’obus) peuvent être fusantes. Elles donnent alors l’éclatement au bout du temps correspondant à la durée de combustion du pulvérin à partir de l’évent débouché.

  • Elles sont percutantes si elles fonctionnent au choc à l’impact.
  • Elles sont dites mixtes ou à double effet si elles possèdent les deux modes de mise à feu.

A partir des fusées Parizot on avait mis en service un certain nombre de fusées fusantes.

Les obus sphériques ordinaires étaient munis de fusées en bois d’une seule durée ; les obus sphériques à balles avaient des fusées Maucourant, en bois, donnant trois durées différentes en débouchant l’évent correspondant à la durée voulue. Mais les obus oblongs chargés de poudre noire sont devenus les projectiles normaux. Avec ces obus tirés dans des canons rayés se chargeant par la bouche, le vent, quoique diminué, permet encore à la flamme de la charge d’allumer le pulvérin de la fusée. Leur fusée fusante, due au capitaine Desmarets et réalisée à l’École de pyrotechnie, donne 6 durées possibles grâce à des évents obstrués par des rondelles de cuir. Pour les obus à balles, les fusées fusantes sont métalliques à 3 canaux.

Au cours de la campagne d’Italie on remarqua qu’il était difficile au servant de reconnaître l’évent à déboucher. La solution trouvée fut éminemment simpliste : on dissimula sous une couche de peinture quatre des évents. Cette simplification évitait les erreurs mais elle laissait le choix entre seulement deux durées de combustion (à 1 500 et 2 800 m), dont on espérait qu’elles suffiraient grâce au tir à ricochet. Pourtant, on savait bien que des extinctions de pulvérin se produisaient souvent lorsque l’obus touchait le sol en ricochant.

Les artilleurs réclamaient des fusées percutantes pour leurs obus oblongs explosifs, et de nombreux types en avaient été expérimentés. On en fit de longs essais. Certaines de ces fusées se montrèrent très sensibles mais avec une sécurité au départ insuffisante ; d’autres étaient moins sensibles mais donnaient des ratés au point d’impact. En 1859, une fusée percutante Desmarets fonctionnant par refoulement d’un rugueux sur une amorce avait été adoptée ; mais elle n’était pas au point et ne fut fabriquée qu’en faible quantité. Finalement, on garda seulement, pour les obus oblongs, les fusées fusantes à deux durées en espérant qu’elles suffiraient. Ce fut une grande faiblesse de l’artillerie française en 1870.

Le lieutenant-colonel d’artillerie Laroque avait présenté une fusée à plateau réglée par rotation d’un plateau mobile sur un plateau fixe gradué. Craignant une rotation accidentelle du plateau mobile, le Comité écarta cette formule [2].

En 1867, un membre du Comité remarqua que, jusqu’alors, « on avait trop recherché la perfection absolue », et il formula ce sage conseil : « Il vaudrait mieux adopter celle des fusées qui satisfait au mieux à l’ensemble des conditions et la conserver jusqu’à ce qu’on en ait trouvé une meilleure. » Une fusée mixte, due au capitaine Maucourant de l’École de pyrotechnie de Metz, ayant donné de bons résultats en 1869, le ministre l’adopta en février 1870, mais trop tard pour qu’elle fût fabriquée en nombre durant la guerre par l’École de pyrotechnie transférée à Bourges.

[1] Ses attributions pour les poudres vendues dans le commerce passent au ministère des finances, et les personnels correspondants sont rattachés aux Manufactures de l’Etat.

[2] Adoptée en Allemagne, elle se révéla excellente.


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