Le régiment d’artillerie de la Garde royale est dissous ; ses effectifs, renforcés par des éléments d’autres corps, forment le 11e R.A. En 1834, sont mis sur pied les 12e, 13e et 14e R.A. ; le numéro 15 est attribué en 1841 au régiment des pontonniers. Ces régiments sont coiffés par dix commandements d’artillerie couvrant les vingt divisions militaires. Un lle commandement d’artillerie sera mis en place en Algérie (21e division militaire).
L’artillerie de la marine continue à subir les à-coups des difficultés budgétaires de son département qui répercute sur le budget de fonctionnement de son artillerie les économies à effectuer.
Avant les guerres du Second Empire (Crimée, Italie, Mexique), s’effectuent la conquête de l’Algérie et quelques expéditions outre-mer. Des tensions se produisent, en particulier avec l’Angleterre.
Cette situation changeante amène, dans les budgets d’armement, des pointes bientôt compensées par des creux, maintenant la moyenne annuelle à 6 millions de francs, de 1830 à 1854, pour l’armée. Mais rien ne presse, et le Service de l’artillerie peut se consacrer aux études et expérimentations qui permettront à l’artillerie française de réaliser, à la fin du siècle, des progrès décisifs.
Le Comité de l’artillerie y jouera un rôle notable quoique les mesures prises à son égard au début du règne de Louis-Philippe n’aient pas été favorables : renvoi du maréchal Valée, suppression du poste de Premier inspecteur général, présidence du comité par « le plus ancien » de ses membres.
Le premier président fut le général d’Anthouard qui, en 1814, avait regretté lé rôle effacé et même « l’incurie » du comité. Il eut quelques velléités d’initiative, et son ministre, le maréchal Soult, le lui fit observer : « Le Comité est institué pour me donner, quand je le lui demande, son avis - auquel je ne suis nullement astreint à me conformer. » La rebuffade de Soult prolonge celles de Berthier à Marmont et de Clermont-Tonnerre à Valée : le comité traitera seulement les sujets indiqués par le ministre, qui décidera.
Le général d’Anthouard sera remplacé par Doguereau (1841 à 1845), puis par Gourgaud, l’ancien compagnon de Napoléon à Sainte-Hélène. Mais celui-ci étant devenu l’aide de camp de Louis-Philippe, sera, pour cette raison, remplacé en 1848 par Ducos de la Hitte. Ce dernier, sauf dans la période où il fut ministre des Affaires étrangères (1849-1851), tint ce poste jusqu’en 1864.
Pendant cette période, le Service de l’artillerie réduit les tolérances de fabrication et rend les conditions de recette plus sévères dans ses établissements. Le Service des forges se montre inflexible. Il s’ensuit de nombreux rebuts, ce qui amène les fondeurs travaillant à l’entreprise (à Douai et à Strasbourg) à se plaindre de perdre de l’argent (ils en gagnent moins) et à abandonner le métier. A partir de 1831 ces deux fonderies sont exploitées en régie et les fondeurs sont définitivement remplacés par des officiers.
La comparaison des prix demandés par les fonderies passées en régie avec ceux de la fonderie de Toulouse restée plus longtemps à l’entreprise est favorable à la gestion en régie ; et puis le nouveau mode de gestion permet à l’artillerie de posséder un plus grand nombre d’officiers compétents en matière de fonderie.
Le métal à canons de la marine
La marine française avait, à ses débuts, utilisé des canons de bronze analogues à ceux de l’armée. Elle en vient, en 1680, à la fabrication de canons de fer coulés à partir de fourneaux alimentés au charbon de bois, donc revenant moins cher. Colbert donne l’ordre d’en armer la flotte. Mais les fondeurs coulent les canons de fer aux dimensions des canons de bronze. Aux essais beaucoup éclatent.
Les maîtres de forges augmentent alors empiriquement l’épaisseur des tubes. Tout le monde est satisfait : les fondeurs qui, payés au poids des pièces, gagnent plus et la marine qui obtient ces canons de fer à un prix inférieur à celui de canons de bronze équivalents. Les bouches à feu sont plus lourdes, mais cela n’a pas, pour la marine, les mêmes inconvénients que pour l’armée, car ses canons sont montés sur un affût solide et automoteur : le navire.
Colbert met à contribution de nombreux maîtres de forges, métier que la noblesse pouvait exercer sans déroger. C’est ainsi que le marquis de Montalembert installe à Ruelle une fonderie qui reçoit d’importantes commandes ; mais il se heurte à de grosses difficultés, et beaucoup de ses produits sont refusés. La marine prend alors possession de Ruelle et ces forges reçoivent le nom de « Fonderies et manufactures royales de Ruelle ».
Deux autres établissements travaillant alors pour la marine joueront plus tard un rôle important pour les matériels de l’armée dans cette période d’études et d’expériences pendant laquelle les artilleries de la guerre et de la marine se sont remarquablement entraidées.
Cherchant à profiter de l’essor technique et industriel de l’Angleterre, la marine crée en 1777, sur la Loire en aval de Nantes, la fonderie d’ Indret dont le premier régisseur est l’anglais Wilkinson, spécialiste de la fusion des métaux. Lorsque son contrat se termine, la fonderie devient « Fonderie royale de la marine ». Ignace de Wendel, capitaine au Corps royal de l’artillerie (de terre) et fils d’un maître de forges d’ Hayange, en prend la direction. Autorisé à travailler également pour le commerce, il crée à cet effet la Compagnie de Wendel et acquiert les usines du Creusot pour fournir à Indret la fonte qui lui est nécessaire. Cette compagnie assurera jusqu’en 1793 le forage et la finition de canons pour la marine et pour l’armée. Accusé « d’incivisme », M. de Wendel sera destitué. Le civisme éprouvé d’un nouveau directeur ne suffira pas à maintenir le niveau des fabrications, et celles-ci seront alors confiées à l’artillerie de la marine. Indret deviendra plus tard un chantier de construction de navires, et les fonderies de la marine seront regroupées à Ruelle.
A la même époque, M. de la Chaussade, propriétaire des forges de Guérigny près de Nevers, effectue des voyages à l’étranger pour étudier les techniques industrielles qui y sont en usage. Il applique ces techniques dans ses forges, et le succès est tel qu’elles prennent le nom de « Forges royales de la Chaussade », qui deviendront, en 1794, « Fonderie de canons de Nevers ». Plus tard, sous la direction de l’artillerie de la marine, la fonderie de Nevers construira des pièces de la marine et de côte dues au chef d’escadron d’artillerie (de terre) Treüille de Beaulieu. La fonderie sera transférée à Ruelle en 1880.
Le métal à canons de la guerre
La substitution du fer au bronze fait également l’objet d’études par l’artillerie de terre malgré l’inconvénient majeur de l’augmentation de poids. En 1832, des canons de fer sont commandés en Angleterre et à Ruelle. Après un millier de coups tirés, des fissures apparaissent dans les tubes. On en déduit qu’il n’y a pas lieu de substituer le fer au bronze, même pour les pièces de siège et de place.
L’industriel prussien Krupp propose en 1841 de présenter un obusier de 12 en acier fondu et forgé. Cette offre incite les usines du Creusot, rachetées en 1836 par M. Schneider, et les usines de Rive-de-Gier à fabriquer des canons en fer forgé, ce qui provoque chez les constructeurs français une salutaire émulation.
Des essais, qui durent de 1864 à 1870, sur des canons en bronze à âme d’acier amèneront le Comité de l’artillerie à proposer le tubage en acier des canons en bronze usés. La proposition est du 20 juillet 1870 .
Cependant l’éclatement de canons étrangers venait freiner les essais de canons en acier. Le canon Krupp essayé à Versailles éclatait au 225e coup : son acier n’était pas homogène. De plus sa culasse ne donnait pas satisfaction. Les essais sur les aciers français prouvaient que cette fabrication n’était pas encore au point, et les essais furent suspendus.
Les Anglais avaient utilisé en Espagne un boulet creux à paroi mince, chargé de poudre et de balles de plomb, dit « à la Shrapnel » du nom de l’officier d’artillerie qui l’avait imaginé. A l’éclatement l’obus s’ouvrait et les balles étaient projetées avec la vitesse restante du projectile. Les revers des années 1812 à 1815 avaient fait négliger la question par la France. Ensuite, l’étude du matériel Valée avait occupé les techniciens. De plus, la difficulté d’obtenir l’éclatement de l’obus au point voulu pour que l’objectif fût bien battu faisait penser que ce tir ne pouvait être efficace que dans des cas particuliers.
Cependant, en 1836, le ministre demanda au comité de faire fabriquer des obus « à la Shrapnel » afin de les tirer lors de l’expédition prévue contre Constantine. Le Service de l’artillerie fit préparer de tels obus et les munit d’une fusée Parizot [1] en bois, à canal hélicoïdal de pulvérin percé d’évents correspondant à des durées de combustion de 1, 2, 3 ou 4 secondes. La flamme de la charge qui passait par le « vent » allumait le pulvérin, et l’éclatement se produisait après l, 2, 3 ou 4 secondes de course. Pour armer la fusée il fallait enlever une coiffe de protection et, en tirant sur une ficelle, déboucher celui des évents qui correspondait à la durée de combustion choisie. C’est là l’origine du mot « déboucher » une fusée, opération qui se fera, plus tard, avec un « débouchoir » perçant un trou, un évent, au point correspondant au temps souhaité entre le départ de l’obus et son éclatement.
Les essais furent exécutés avec l’obusier de 12 de montagne ; mais la faible vitesse initiale ne procurait pas une vitesse restante suffisante et l’obus, chargé de plomb, fatiguait exagérément les affûts. L’École de pyrotechnie de Metz, chargée de la mise au point de l’obus, obtint en 1852 de bons résultats en coulant du soufre autour des balles et en complétant le remplissage avec de la poudre. Mais c’est seulement en 1854 que l’obus Shrapnel sera fabriqué en série.
Le ministre avait, en 1822, invité à placer en première urgence le perfectionnement des armes portatives. Le Service de l’artillerie, fournisseur de ces armes pour l’armée, avait, dès 1822, fait adopter un fusil à silex de calibre 17,5 mm dérivant du fusil Mle 1777.
Un fusil de rempart Mle 1831 (calibre 21,8 mm, portée 400 m) se chargeait par la culasse ; la balle de plomb de diamètre légèrement supérieur à celui du canon supprimait le « vent » par le forcement au départ ; mais la culasse donnait de forts crachements.
L’amorce à fulminate était déjà employée dans les fusils de chasse ; mais elle n’avait pas les qualités nécessaires à un fusil de guerre et le Comité l’avait prudemment écartée en 1837, dix ans après le début des essais. Cependant en 1840 un fusil est adopté, dans lequel un « chien » vient frapper une « amorce fulminante » placée dans la lumière.
En même temps, le Service de l’artillerie étudiait une carabine rayée Delvigne. Ce n’était pas un sujet nouveau. Louis XIV avait attribué à ses gardes du corps, et à des compagnies de cavalerie légère, une carabine rayée qui donnait au tir une plus grande précision ; mais, trop souvent, les coups de baguette qui enfonçaient la balle la déformaient, et elle donnait alors des écarts notables.
On entoura d’abord la balle d’un calepin, morceau graissé de cuir ou d’étoffe prenant la rayure sous la pression de la baguette. On en arriva, vers 1830 avec Delvigne, au rétrécissement de la chambre à poudre sur laquelle s’effectuait le forcement.
Le colonel Poncharra plaça sous la balle un sabot empêchant une trop grande déformation et un calepin évitant l’encrassement des rayures. Une carabine Delvigne-Poncharra fut adoptée en 1842. Puis on utilisa une balle oblongue forcée sur une tige, placée au centre de la chambre à poudre, qui élargissait le culot. On eut ainsi la carabine à tige Mle 1846, qui donna de bons résultats.
C’est sous le Second Empire que le fusil se perfectionnera.
On donna à la balle oblongue un culot évidé dont l’expansion au départ du coup provoquait le forcement, et l’on aboutit au fusil rayé Mle 1857 de calibre 17,2mm.
Les techniciens étudient ensuite le chargement par la culasse qui donnerait de la rapidité au tir. Le fusil à aiguille prussien Dreyse de 15,3 mm est présenté : il tire 3 fois plus vite que le fusil Mle 1857, mais sa portée est estimée trop faible et l’obturation de la culasse est insuffisante. Après des essais comparatifs entre de nombreux modèles, le ministre, sur proposition du Comité, adopte le fusil présenté par le contrôleur d’armes des manufactures de l’État Chassepot : calibre 11 mm, à bonne tension de la trajectoire, percussion par une aiguille courte sur amorce au culot de la cartouche, hausse à gradins. La cartouche en papier évite l’emploi d’un tire-cartouche. La fabrication du fusil Chassepot Mle 1866 est aussitôt lancée.
[1] Du nom du lieutenant-colonel directeur de l’Atelier de précision, qui en était l’inventeur.