Bonaparte, Premier Consul, rétablit le poste de Premier inspecteur de l’artillerie. Les réorganisations reprennent, les charrois sont militarisés, et le système de l’An XI est élaboré.
Une des premières décisions de Bonaparte, Premier consul, fut le rétablissement du poste de Premier inspecteur général de l’artillerie, supprimé depuis 1790. Auprès du titulaire fut placé non plus le comité central, mais un conseil comprenant tous les inspecteurs généraux. Ceux-ci étant le plus souvent en inspection ou aux armées, le conseil ne se réunit plus dès janvier 1803. Le Premier inspecteur général assura donc seul la direction de l’artillerie.
Bonaparte nomma à ce poste le lieutenant général d’Aboville, celui de Yorktown et de Valmy. En 1802, âgé , d’Aboville fut nommé sénateur et le poste fut donné à Marmont.
Cet ancien aide de camp de Bonaparte n’avait que vingt-huit ans. Ambitieux et ardent, il se heurta rapidement à Berthier, ministre de la Guerre, qui lui rappelait la base de ses fonctions : « les mots : surveillance, inspection, projet ». Marmont, qui estimait que l’artillerie n’était pas pour lui la bonne voie pour arriver à la « grande gloire » dont il rêvait, demanda et obtint en 1804 le poste de Colonel général des chasseurs. Il fut remplacé par Songis, après lequel Napoléon nomma successivement Lariboisière, Éblé et Sorbier. Sur les six personnages nommés à ce poste jusqu’en 1815, un seul, Marmont, n’était pas issu de l’armée royale.
Dès les premiers jours de son entrée en fonctions comme Premier consul, Bonaparte écrit au Comité central de l’artillerie pour lui demander un compte rendu de son activité. Elle n’a pas été négligeable. En particulier, quelques jours avant le 18 brumaire le comité avait approuvé un projet de militarisation des charrois.
Depuis longtemps beaucoup jugeaient nécessaire cette militarisation. Dès 1793, la Convention avait résilié les contrats passés avec les entrepreneurs de charrois et créé une régie. Ce système n’avait pas donné satisfaction et on avait donc eu recours à nouveau aux entreprises, dont les charretiers reçurent le sobriquet de « houzards de Lenchère », du nom du principal entrepreneur. En mars 1795, on donna à ces charretiers un uniforme ; mais les inconvénients de ce système ne pouvaient que réapparaître. Éblé, alors commandant de l’artillerie de l’armée du nord-est, écrivait en 1796 au ministre de la guerre pour se plaindre que les « employés des équipages d’artillerie » échappaient à son autorité. Il signalait des prévarications et des « abus monstrueux... qui ont ruiné la République » et qu’il n’avait pas pouvoir de réprimer. Il concluait à la nécessité de militariser ces personnels. Bonaparte avait, on l’a vu, partiellement réalisé cette militarisation au cours de la campagne d’Italie en 1796, puis en Egypte.
Mais tous les esprits n’étaient pas préparés à cette réforme. Certains estimaient encore, écrivait Lespinasse, que ce serait « ravaler le soldat » que de militariser les charretiers. Le Premier consul, épaulé par Lespinasse et par Marmont (à l’époque Conseiller d’état), balaya les oppositions ; un arrêté consulaire du 13 nivôse an VIII (3 janvier 1800) créa les « bataillons du train d’artillerie ». Chaque bataillon était composé de cinq compagnies, l’une d’élite à 80 hommes « de préférence attachée au service de l’artillerie à cheval », les quatre autres à 60 hommes. Les compagnies étaient commandées par des sous-officiers, les bataillons par des capitaines, parce que, a écrit Marmont, « ce service est essentiellement secondaire et subordonné » ; mais il ajoutait : « on reconnut plus tard que l’administration de 150 chevaux exigeait un grade plus élevé et l’on fit commander les compagnies par des lieutenants ».
La mise sur pied de ces bataillons incomba aux généraux d’artillerie : reprise des chevaux aux entreprises, organisation du service vétérinaire, reconstitution presque complète du harnachement, choix des personnels. Les cadres furent recrutés autant que possible parmi les employés des entreprises, à condition qu’ils eussent participé à la guerre.
Ces personnels mirent du temps à se faire accepter comme combattants : malgré les protestations d’Éblé, on refusait aux officiers le port de l’épaulette. Ce n’est qu’au cours des campagnes, et sous l’impulsion du futur maréchal Valée, nommé Inspecteur général du train d’artillerie en 1805, que ce train d’artillerie fut reconnu comme véritablement militaire, ce qui conduisit Napoléon à militariser en 1807 les autres formations de transport de l’armée.
Encore cette solution n’emporta-t-elle pas l’adhésion de tous. Gouvion Saint-Cyr, dans ses Mémoires sur les campagnes des armées du Rhin et de Rhin-et-Moselle, regrettait le temps de ces charretiers qui « étaient pour la plupart des fils de fermiers, ou tout au moins des gens de la campagne, accoutumés à conduire et gouverner les chevaux ; de sorte qu’à leur arrivée on n’avait presque rien à leur apprendre... Ils sont remplacés aujourd’hui par les soldats du train ; la plupart sont recrutés dans les villes et n’ont jamais conduit de chevaux... Il faut plus de temps pour les instruire et leur donner une tournure militaire ».
Une loi du 18 vendémiaire an X (10 octobre 1800) modifia les dispositions de la loi de floréal an III en organisation. Elle fixait les effectifs du temps de paix et ceux du temps de guerre.
L’artillerie à pied conservait ses huit régiments à deux bataillons et dix compagnies. Mais l’effectif des compagnies était réduit, il comptait 64 hommes en temps de paix et 92 en guerre.
L’artillerie à cheval voyait diminuer le nombre de ses régiments : six au lieu de huit. Mais ils restaient à six compagnies, dont l’effectif passait de 42 hommes à 64 pour le temps de paix, et 97 en guerre.
Les douze compagnies d’ouvriers devenaient quinze, avec un effectif réduit en temps de paix (63 hommes au lieu de 83) porté à 96 en temps de guerre.
Le corps des pontonniers ne comprenait plus que 16 compagnies groupées en deux bataillons. L’effectif de chaque compagnie était en temps de paix de 63 hommes (au lieu de 75) porté en temps de guerre à 96.
Les huit bataillons du train comptèrent six compagnies (au lieu de cinq). L’effectif « paix » de ces compagnies était de 76 hommes, porté en temps de guerre à 98. Ces bataillons furent dédoublés en temps de guerre dès 1802.
En outre .
Marmont, commandant l’artillerie de l’armée d’Italie de 1800, alla passer deux mois à Paris lorsque Masséna prit la tête de cette armée et revint lorsque Brune en reçut le commandement. Il recommença alors à renforcer son artillerie avec du matériel étranger, principalement avec des canons piémontais fabriqués à l’arsenal de Turin.
Dès la fin de juin 1800 il avait chargé le colonel Allix d’y « préparer un équipage de soixante canons de 6 et de quarante obusiers suivant un modèle nouveau. Il fallait en même temps couler les pièces et construire leurs affûts et leurs caissons » (Griois). Rentré en France, Marmont présenta un mémoire où, fort de ses essais, il préconisait certaines simplifications du système Gribeauval. Outre des modifications dans la construction des voitures (diminution du nombre de modèles de roues, par exemple), il proposait l’adoption d’un obusier de 5 pouces 5 lignes et surtout la substitution, aux deux canons de 4 et de 8, du seul calibre de 6, qu’il estimait presque aussi puissant que le 8 et presque aussi mobile que le 4.
A la suite de ce rapport un arrêté consulaire (8 nivôse an X - 29 décembre 1801) créa une commission chargée de préparer les bases d’un nouveau système d’artillerie à soumettre à l’expérimentation. Présidée par d’Aboville désigné en tant que Premier inspecteur général, cette commission comprenait des artilleurs de qualité : La Martillière, Marmont, Andréossy, Éblé, Songis, Faultrier, Gassendi. Certains de ces membres, mais non tous, faisaient partie du comité central.
La commission proposa un système comprenant :
Ces propositions n’avaient pas recueilli l’adhésion de tous les membres de la commission. Gassendi y était franchement opposé, disant : « On n’a rien simplifié ni perfectionné, mais au contraire mal inventé. » Éblé, Songis et Andréossy n’y semblaient pas favorables. On reprochait à l’opération son coût élevé, alors qu’on disposait de 2 700 canons de 4 et de 8, avec 3 millions de boulets.
Mais le Premier consul en était partisan. Il disait à Sainte-Hélène avoir substitué la pièce de 6 à celle de 4 et de 8 parce que « l’expérience lui avait démontré que les généraux d’infanterie faisaient usage indistinctement des pièces de 4 ou de 8, sans avoir égard à l’effet qu’ils voulaient produire ». Quant au remplacement de l’obusier de 6 pouces par celui de 5 pouces 6 lignes, il en donnait pour raisons le poids de la munition (la cartouche du second ne pesant que les 2/3 de celle du premier) et le fait que « l’obusier de 5 pouces 6 lignes se trouve avoir le même calibre que les pièces de 24, qui sont si communes dans nos équipages et dans nos places fortes ». Il déclarait que ces modifications au système de Gribeauval étaient faites « dans son esprit... Il a beaucoup réformé, il a beaucoup simplifié... il faut encore simplifier, uniformiser, réduire jusqu’à ce que l’on soit arrivé au plus simple ».
Grâce à ce puissant parrainage, il fut décidé que les propositions de la commission seraient soumises à l’expérimentation. On fit à Strasbourg quelques expériences pour déterminer les longueurs des bouches à feu envisagées ; on fit des essais sur quelques affûts et on commença à lancer la fabrication. Mais les opposants à ce système ne désarmaient pas. Ils se sentirent plus libres de se manifester quand Marmont, l’instigateur et partisan le plus déterminé du système, quitta en 1804 le poste de Premier inspecteur général de l’artillerie. Dès lors, durant tout l’Empire le système de l’an XI fut en discussion.
En février 1806, Gassendi, alors responsable de la division de l’artillerie au ministère, écrivait à son ministre : « Le premier inspecteur de l’artillerie fit les nouvelles tables de construction sans en parler à la division de l’artillerie qui n’en eut jamais connaissance... Les nouveautés n’avaient été éprouvées... que sous les yeux de gens prévenus ou dont on avait gêné les opinions. »
A la fin de 1808 une circulaire indique que jusqu’à nouvel ordre il ne sera plus coulé de pièces de 6 de campagne du modèle de l’an XI « attendu qu’il en existe déjà un nombre assez considérable pour les équipages de campagne ». Cette richesse en canons de 6 provenait en partie des nombreuses prises de guerre des campagnes précédentes, ce genre de matériel étant très répandu dans les artilleries étrangères.
Un rapport de janvier 1809 indiquait à l’Empereur qu’il ne restait, du nouveau système, que les canons de 6, le canon de 3 de montagne et l’obusier de 5 pouces 6 lignes. Une commission fut créée, le 16 janvier 1810, pour proposer une solution. Présidée par Songis, alors Premier inspecteur général, elle comprenait les généraux Andréossy, Lariboisière, Ruty et d’Aboville (l’un des fils de celui de Valmy). Elle émit un avis défavorable à ce système.
Finalement, du système de l’an XI, ne furent guère construits que le canon de 6 et l’obusier de 5 pouces 6 lignes. Le 6 supplanta le 8 et le 4 dans les armées. D’après Gourgaud, alors aide de camp de l’Empereur, la Grande Armée est partie pour la campagne de Russie avec plus de 260 pièces de 6, une trentaine de 4 et aucun canon de 8.
Mais presque tous les canons de 6 furent perdus au cours des campagnes de 1812 et 1813. Le général Ruty écrivait en décembre 1814 qu’il y avait davantage de pièces et de projectiles de 4 et de 8 que de 6. « Aussi ne faut-il pas s’étonner, écrit le général Challéat dans son Histoire technique de l’artillerie de terre en France, que le système de l’an XI, d’ailleurs exécuté seulement en partie, ait disparu en 1815 sans laisser de traces. »