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1- Les campagnes du directoire
 

Les campagnes du Directoire

Ce qui caractérise l’artillerie des campagnes du Directoire, c’est que, avec les enseignements de la guerre, les commandants de grandes unités, tant en Allemagne qu’en Italie, font un effort pour mieux utiliser cette artillerie. A cette fin ils modifient son organisation pour permettre la concentration des feux.

En 1796, Kléber commande, à l’armée de Sambre et Meuse, un groupement de deux divisions ; c’est déjà un corps d’armée. Il dispose de deux compagnies d’artillerie à cheval et de 12 pièces d’artillerie à pied, sans compter l’artillerie de bataillon. Le 4 juin, à Altenkirchen, il en affecte la quasi-totalité à l’une des trois colonnes qu’il a formées et lui fait exécuter une violente préparation à la suite de laquelle l’infanterie passe victorieusement à l’attaque. Le 19, à Ukerath, il est surpris par les Autrichiens de Kray qui l’attaquent en arrivant d’une direction opposée à celle qu’il prévoyait. Il place toute son artillerie sous les ordres de Sorbier en lui ordonnant « de commencer l’attaque par toute l’artillerie et d’avancer à grands pas sur l’ennemi », soutenu par deux bataillons de grenadiers. Aux dires mêmes de Kléber, Sorbier déploya une activité extraordinaire : « Tour à tour commandant, canonnier, grenadier, il dirige, conduit et encourage tout ce qui l’entoure. » Cette contre-attaque permet au reste des troupes de Kléber de décrocher devant un ennemi très supérieur en nombre.

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A l’armée de Rhin et Moselle, Moreau avait très peu d’artillerie à pied et l’avait répartie dans les demi-brigades. Disposant de huit compagnies d’artillerie à cheval (chacune à quatre canons de 8 et deux obusiers de 6 pouces), il en avait gardé deux en réserve d’armée et attribué deux à chacun de ses trois « corps d’armée ». A Rastadt (5 juillet 1796) c’est l’intervention des compagnies à cheval, arrivées au galop sur le champ de bataille, qui fait perdre sa supériorité initiale à l’artillerie autrichienne et permet l’attaque de l’infanterie française. A Ettlingen (9 juillet) l’archiduc Charles tente de séparer les deux divisions de Desaix par une charge de cavalerie. Moreau y oppose sa cavalerie, numériquement inférieure mais appuyée par son artillerie à cheval dont Gouvion Saint-Cyr dit qu’elle « eut une grande part dans le succès » de cette contre-attaque. A Biberach (2 octobre) Moreau met sa réserve d’artillerie à la disposition de Gouvion Saint-Cyr. Celui-ci pousse en avant les 24 canons dont il dispose et leur fait ouvrir le feu à très courte distance. Les Autrichiens sont ébranlés et l’infanterie française peut alors se lancer à l’attaque, soutenue, au cours de sa progression, par l’artillerie qui se déplace au fur et à mesure de l’avance. La moitié de l’artillerie de l’armée avait été concentrée sur une même mission, décisive.

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En 1797, Hoche, qui avait pris le commandement de l’armée de Sambre et Meuse, força le passage du Rhin le 18 avril à Neuwied. Pour enfoncer la ligne de défense des Autrichiens il concentra sur une des redoutes de cette défense le feu de la quasi-totalité de son artillerie, comme il l’avait fait trois années auparavant à Kaiserslautern. Sorbier, qui commandait cette artillerie, la poussa jusqu’à moins de 200 mètres. Un coup heureux ayant fait sauter la réserve de poudre de cette redoute, la résistance autrichienne faiblit aussitôt et l’infanterie française passa à l’assaut à l’arme blanche.

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Dans sa fulgurante campagne d’Italie, en 1796, Bonaparte manie l’artillerie avec plus de maîtrise encore. Le mérite en revient pour une part notable au commandant de son artillerie, Lespinasse. C’était un vieil officier de l’armée royale qui avait fait ses débuts sous les armes comme mousquetaire en Allemagne en 1759 et servait dans l’artillerie depuis 1763. Lieutenant en premier, il avait été jugé par Gribeauval « très propre pour l’instruction des officiers de ce corps ». Bonaparte l’avait appelé à ce commandement de l’artillerie pour y remplacer Dujard, qu’il trouvait usé.

Il disposait d’assez peu d’artillerie (moins d’une pièce et demie pour 1 000 hommes). Il manquait particulièrement d’artillerie à cheval et ne cessait d’en réclamer au Directoire. Il organisa son artillerie à pied en « divisions » armées de six bouches à feu de calibres différents (à la différence de la « division » de Gribeauval dotée d’un matériel homogène), afin, écrivait Lespinasse, de « donner aux généraux le choix des armes les plus propres à leurs opérations et à la nature du terrain ». Chacune de ces « divisions d’artillerie à pied », avec deux pièces de 12, deux de 4 et deux obusiers de 6 pouces, était affectée à une des divisions de l’armée, dont on s’efforça de rendre les effectifs comparables ; car ils variaient du simple au triple.

Les premières compagnies d’artillerie à cheval que reçut l’armée d’Italie furent gardées par Bonaparte comme réserve à sa disposition. Quand il en eut un nombre suffisant, il constitua des « divisions d’artillerie à cheval » équipées, en principe, de quatre pièces de 8 et de deux obusiers de 6 pouces. La plupart des divisions de l’armée reçurent alors une de ces « divisions d’artillerie à cheval ». Le reste fut affecté à la réserve de cavalerie.

L’utilisation des prises de guerre piémontaises, sardes et autrichiennes (avec leurs approvisionnements en munitions) porta les dotations, au début de 1797, à 2 pièces par 1 000 hommes, mais au prix d’une grande hétérogénéité du parc. La simplicité du matériel de l’époque permettait d’utiliser aisément celui de l’adversaire. Le renforcement ainsi obtenu a pu atteindre des proportions considérables.

Bonaparte et Lespinasse étaient trop pragmatiques pour ne pas adapter l’organisation de leur artillerie à chaque cas d’espèce. Pour obtenir la supériorité des feux là où l’exigeait sa manœuvre, Bonaparte n’hésitait pas à retirer à une division son artillerie « affectée », écrivant, même, que « les généraux de division ne doivent pas contrarier les dispositions du général d’artillerie ».

Son souci de concentrer les feux de l’artillerie selon sa manœuvre se révéla notamment lors des combats de Lodi (10 mai) et de Castiglione (5 août). A Lodi les pièces furent mises en batterie au fur et à mesure de leur arrivée auprès du pont sur l’Adda afin de contrebattre les batteries autrichiennes placées sur l’autre rive. Une trentaine de pièces furent ainsi installées. Leur tir obligea l’artillerie autrichienne à se replier, ce qui permit le débouché de l’infanterie française. A Castiglione l’artillerie était répartie en deux batteries, sans un canon dans les rangs de l’infanterie. Marmont commandait l’une de ces batteries, comprenant 19 pièces d’artillerie à cheval. L’artillerie ennemie ayant une portée supérieure, Marmont lança ses pièces au galop pour se mettre en batterie à très courte portée. Là, au prix de pertes importantes, il démonta en peu de temps la moitié des batteries adverses.

Bonaparte prit, au cours de cette campagne, deux mesures dont les suites seront importantes : d’abord la création d’une section d’artillerie à cheval à la compagnie de guides qui formait sa garde personnelle ; ce fut l’amorce de l’artillerie de la Garde dont on verra le développement. L’autre mesure fut la militarisation partielle des charretiers d’artillerie, probablement imposée par la difficulté de trouver des charretiers civils en pays étranger. On créa une « brigade de transport » pour le déplacement de chaque compagnie d’artillerie ; ce fut l’origine des unités du train.

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De ces campagnes d’Allemagne et d’Italie en 1796 et 1797 on tira les mêmes enseignements.

D’abord l’inutilité des canons de bataillon. Lespinasse écrivait en 1800 : « Quel mal n’avons-nous pas fait à nos armes, d’accoutumer le soldat à ne se croire soutenu que lorsqu’il entendait le bruit de ces petites pièces près de lui, puisque du moment où il les perdait de vue il ne voyait plus de salut que dans la fuite. »

Un autre enseignement fut l’intérêt de disposer d’une réserve d’artillerie à la disposition du commandant de l’opération et lui permettant de concentrer ses feux aux points décisifs et aux moments opportuns. L’artillerie à cheval constituait la majeure partie de cette réserve, même si, très souvent, elle marchait par compagnie ou demi-compagnie avec les divisions ou les brigades ; elle pouvait ainsi entrer en action très rapidement, tout en restant apte, par sa mobilité, à venir renforcer l’artillerie de telle ou telle unité.

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A l’issue de ces campagnes l’artillerie est vraiment devenue une arme de combat qui a son rôle dans toutes les phases de la bataille. Non seulement les artilleurs ne sont plus considérés comme des artisans participant occasionnellement au combat, mais un décret du 29 brumaire an VI (19 novembre 1797) signé de Schérer, alors ministre de la Guerre du Directoire, donne à l’artillerie une préséance sur les autres armes qui ne lui a jamais été retirée.

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Lorsque Masséna arrête les Austro-Russes à la bataille de Zurich (24-25 septembre 1799), il veut attaquer Rimsky-Korsakoff avant l’arrivée des troupes de Souvoroff qui vient de s’emparer de l’Italie du Nord. Il charge la division Lorges de forcer le passage de la Limmat. Foy, qui commande l’artillerie de cette division, dispose ses pièces avec des précautions telles que l’attention de l’ennemi ne soit « point éveillée ». A droite une batterie prend à revers la gauche des Russes et doit protéger le lancement du pont projeté. A gauche une autre batterie croise son feu avec la première ; quelques pièces sont distribuées entre les deux batteries. En outre, une batterie de pièces de 12 bat le chemin par où des renforts pourraient arriver. D’autre part les pontonniers préparent le franchissement de vive force : les bateaux les plus légers à droite, pour les troupes légères destinées à surprendre les postes russes ; à gauche des bateaux moyens doivent aborder une île où les Russes ont des postes qui prennent à revers le point d’attaque ; au centre les bateaux les plus lourds.

A 5 heures du matin le signal est donné. Les postes russes alertés déclenchent le tir, mais l’artillerie française les fait taire et réduit au silence même l’artillerie russe. En une heure et demie le pont est construit et le franchissement réussit. En amont du lac de Zurich, Soult franchit la Linth grâce à une formation de 150 nageurs qui traversent la rivière protégés par l’artillerie et permettent d’utiliser la vingtaine de barques dont dispose Soult.

Rimsky-Korsakoff évacue Zurich. Masséna ne cherche point à l’en empêcher. Il se borne à prescrire à l’artillerie légère de prendre des positions successives sur le flanc gauche des Russes et de les canonner vivement. Elle le fait avec tant de vigueur, dit un témoin, qu’elle porte bientôt « le désordre et la confusion dans leurs rangs ». Se tournant alors contre Souvaroff, Masséna utilise son artillerie qui tire « à toute volée contre les masses russes entassées et y cause un désordre inexprimable ».

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Dans l’artillerie du corps expéditionnaire d’Égypte, le personnel était assez nombreux (environ 1 000 artilleurs sur 25 000 hommes), mais la dotation en matériel était très faible : moins de 40 pièces. Les conditions particulières qu’imposaient terrain et adversaire conduisirent Bonaparte à y adapter l’organisation de son artillerie. Il militarisa complètement les conducteurs de chevaux. Ceux-ci devinrent des « canonniers charretiers » et furent subordonnés aux officiers d’artillerie. Sans renoncer à la concentration des feux chaque fois qu’elle était nécessaire, il distribua toute son artillerie entre ses divisions. Ainsi, quand une division était attaquée par les mameluks, elle se formait en carré ; l’artillerie occupait les angles de ce carré afin de disposer du meilleur champ de tir. Enfin Bonaparte, pour cette campagne d’Egypte, dota chaque bataillon d’un canon léger servi par les fantassins.

A la bataille d’Héliopolis, l’artillerie française domina l’artillerie turque. Mais ce fut surtout au siège d’ Acre que le rôle de l’artillerie apparut important. Le matériel de siège, ne pouvant pas suivre par terre, avait été embarqué à Alexandrie. Il avait été capturé par la flotte anglaise au large de Damiette, et Bonaparte n’avait, pour toute artillerie de siège, qu’une caronade de 32 prise à Caïffa. Il dut utiliser pour ce siège son artillerie de campagne : une quinzaine de pièces de 8, autant d’obusiers, trois mortiers et une quinzaine de pièces de 4, approvisionnés à 200 coups par pièce. La pénurie de munitions était telle que, pour récupérer des boulets anglais, les canonniers français construisaient pendant la nuit, sur les plages, de fausses redoutes que la flotte anglaise canonnait le lendemain. Ce manque d’artillerie devait aboutir à l’échec du siège, d’autant plus que la défense était renforcée de l’artillerie française capturée par la flotte anglaise et remarquablement dirigée par Phélipeaux, un condisciple de Bonaparte à l’École militaire de Paris.


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