Les vacances causées dès le début de la Révolution par les départs d’officiers ont imposé de rétablir en 1791 1’École des élèves, qui fut installée à Châlons-sur-Marne. Cette ville fut choisie non en raison des possibilités que donne la Champagne pouilleuse pour de vastes champs de tir alors inutiles, mais parce que « à peu près au centre des départements réputés militaires et... ordinairement sans garnison ». Cette dernière raison avait déjà conduit Gribeauval à transférer l’école de La Fère à Bapaume.
Les premiers examens d’admission à l’École de Châlons eurent lieu en janvier 1792. Des anciens élèves des écoles régimentaires s’y présentèrent, tels Sénarmont, l’aîné des fils d’Aboville, et Abbatucci. Ils furent directement nommés officiers. S’y présentèrent aussi des aspirants qui avaient fait leurs études préliminaires dans l’établissement de leur choix. La préparation la plus appréciée était celle de Metz ; c’est pourquoi le jeune Marmont, dont le père, ancien officier d’infanterie, ne l’avait laissé entrer dans la carrière.militaire qu’à condition qu’il prît l’artillerie, avait choisi de se préparer à Metz. L’examen portait sur les mathématiques, et l’examinateur était le célèbre Laplace. Sa réputation intimidait les candidats. Marmont dit avoir été ému, en se présentant devant lui, au point de ne pouvoir dire son nom. Laplace sut le remettre en confiance puisqu’il fut reçu dans cette promotion en même temps que, notamment, le second fils d’Aboville, Foy, Duroc, Mossel, Griois et Muiron qui, comme aide de camp de Bonaparte, sera tué à Arcole.
La durée des cours à l’école a varié : six à huit mois de 1792 à 1794, treize à dix-sept mois ensuite. Ces cours comprenaient une partie théorique (mathématiques, fortifications, architecture) et une partie pratique où le service des pièces ne représentait qu’une faible part. Il n’y avait à l’école, comme matériel d’artillerie, qu’un canon de siège, un canon de campagne de 4 et un obusier. Les élèves qui en sortaient n’étaient donc guère plus instruits sur ce point que ceux de leurs camarades qui, ayant particulièrement réussi à l’examen d’entrée, étaient nommés directement lieutenants en second dans un régiment. Ce fut le cas de Drouot. Ce fils de boulanger, qui étudiait à la lueur du four de son père, était venu à pied de Nancy à Châlons pour subir l’examen. Sa tenue rustique avait suscité les quolibets des autres candidats. Quand vint son tour d’être interrogé, il répondit avec tant d’aisance et de clarté que Laplace poussa ses questions. Drouot donna toujours les bonnes réponses. Il fut reçu major. Ses camarades le portèrent en triomphe et il rejoignit directement un régiment comme lieutenant en second. Dans leur régiment les brillants sujets tels que lui suivaient un stage de formation analogue à celui qui se pratiquait sous l’Ancien Régime.
L’École de Châlons n’eut qu’une brève existence. Dès 1795 on envisagea sa dissolution. Dotée de moyens insuffisants elle recevait peu d’élèves et fut finalement fusionnée, à Metz, avec l’école du génie. Elle a cependant fourni des officiers de qualité : aux noms déjà cités (parmi lesquels Abbatucci, tué comme général à Huningue en 1796) on peut ajouter, entre autres, ceux de Valée, futur maréchal de France et de Haxo, qui passera dans le génie.
La Convention, qui entreprit de reconstruire l’enseignement dans toutes les disciplines par des « cours révolutionnaires », le fit, en particulier, dans le domaine militaire. Ces cours révolutionnaires, dont on choisissait les bénéficiaires parmi les citoyens d’un républicanisme affiché, étaient marqués par le souci d’assurer une « formation accélérée » où la rapidité, l’énergie, l’enthousiasme primaient les éléments habituels. C’est dans cet esprit que fut créée le 2 février 1794 (10 ventôse an III) l’École des armes.
Les décrets de février et septembre 1793 avaient prescrit la fabrication intensive des armes et de la poudre. Il fallait former du personnel pour ces tâches. Toutes les sections de Paris et tous les districts de province (l’équivalent des arrondissements d’aujourd’hui) durent envoyer à cette école « deux citoyens tirés des compagnies de canonniers » pour être instruits sur le raffinage du salpêtre, la fabrication de la poudre, le moulage, la fonte et le forage des canons de fusils. Les cours duraient un mois. Avec des professeurs de la qualité de Fourcroy, Berthollet, Guyton de Morveau, ce fut une réussite. La Convention put ainsi mettre à la disposition des ateliers créés dans tout le territoire des ouvriers qualifiés, capables à leur tour de former le personnel de ces ateliers.
Moins heureuse fut l’École de Mars créée en juillet 1794. On envisageait alors la création d’une école formant les ingénieurs des différents corps civils et militaires, la future École polytechnique. En raison du niveau des connaissances qui seraient exigées des candidats, ce projet apparaissait à certains conventionnels comme marqué d’esprit « aristocratique », d’autant plus que cette idée avait déjà été émise sous l’Ancien Régime. Dès 1724 1’un des frères Pâris avait suggéré la création d’un « vaste collège militaire, où l’on aurait préparé les jeunes gens à toutes les carrières, mais particulièrement à la carrière militaire ».
On voulut donc fonder l’antithèse de l’École militaire de Paris de l’Ancien Régime. Les enfants des familles les plus pauvres y seraient instruits dans « l’art de la guerre » : maniement des armes ; manœuvre de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie ; fortifications. Ce fut un échec, essentiellement en raison de l’inégalité des connaissances des élèves. L’école fut dissoute après le 9 thermidor. Parmi ses élèves, dix-sept furent envoyés comme canonniers de première classe dans des compagnies d’ouvriers, huit entrèrent à l’École centrale des travaux publics.
L’École centrale des travaux publics venait d’être fondée. Le programme des études en qualifiait l’enseignement de « polytechnique » : il n’est donc pas étonnant qu’elle ait pris très rapidement (en septembre 1795) le nom d’École Polytechnique. Peu après, la loi du 30 vendémiaire an III (22 octobre 1795) « concernant les Écoles des services publics » dispose que « la République entretient des écoles relatives aux différentes professions uniquement consacrées aux services publics et qui exigent des connaissances particulières dans les lettres et les arts ». Ces écoles comprennent l’École polytechnique, les écoles d’artillerie, l’École des ingénieurs militaires (le génie), celles des ponts et chaussées, des mines, des géographes, des ingénieurs de vaisseaux (le génie maritime), de navigation, de marine. Il est précisé que l’École polytechnique est destinée à former, entre autres, des élèves pour le service de l’artillerie et que « l’école des élèves établie à Châlons-sur-Marne restera en activité jusqu’à la paix ». Une fois la paix conclue, l’école des élèves de Châlons serait supprimée et alors « les élèves qui se destineront à entrer dans l’artillerie suivront, deux ans au moins, les études à l’École polytechnique ; ils ne seront admis ensuite dans l’une des écoles de régiments... qu’après un examen ».
Mais les hostilités se prolongent. L’École de Châlons subsiste, avec les difficultés qu’entraîne l’insuffisance des moyens qu’on lui accorde. Les besoins en cadres imposent de recourir, en sus de ce double recrutement « normal » (par l’École polytechnique et par l’École de Châlons), à des mesures exceptionnelles comme le « concours extraordinaire pour l’examen des sujets qui se destinent dans l’arme de l’artillerie ». Organisé par arrêté du 4 pluviôse an V (23 janvier 1797) pour combler les 80 places de lieutenant en second destinées à des élèves que les recrutements normaux ne peuvent remplir, il est ouvert à tous les élèves des institutions d’enseignement.
L’importance attachée à la formation des officiers d’artillerie et du génie par les écoles est marquée par l’exception accordée à ces deux armes par les dispositions de la loi du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798). Cette loi instituait la conscription et réglait l’avancement. Elle précisait : « Nul... ne pourra être promu au grade d’officier s’il n’a servi trois ans en qualité de soldat ou de sous-officier, excepté dans le corps du génie et dans l’artillerie. »
Mais la double origine du recrutement par les écoles suscitait des oppositions dans l’artillerie, et plus encore dans le génie, dont l’école, fière de son ancienneté et de ses traditions, supportait beaucoup plus mal que l’École de Châlons de voir des polytechniciens entrer dans les corps de troupe sans être passés par son canal. La loi du 25 brumaire an VIII (30 octobre 1799) trancha la question en décidant que l’École de Châlons serait une école d’application pour l’artillerie, comme celle de Mézières pour le génie. Cette survie de l’École de Châlons ne fut pas de longue durée : un arrêté consulaire du 12 vendémiaire an XI (4 octobre 1802) décida que l’école d’application serait commune à l’artillerie et au génie, l’École de Châlons venant se fondre à Metz avec celle du génie qui, entre-temps, y avait été transférée. Cette organisation, assez boiteuse si on n’en venait pas à la fusion des deux armes qu’elle préfigurait, subsista pendant tout l’Empire, malgré les réclamations du génie qui contestait notamment le fait que le commandement de l’école commune fût toujours confié à un artilleur.
Le recrutement direct d’artilleurs par l’École polytechnique demeurait assez restreint (une vingtaine par an en moyenne de 1797 à 1802). Peut-être est-ce pour cette raison qu’on éleva à trente ans, pour les sous-officiers et soldats d’artillerie, la limite d’âge pour se présenter au concours d’entrée.
Dès les premiers jours de l’Empire, Napoléon militarisa l’École polytechnique malgré les protestations de Monge, de Fourcroy et des élèves, qui admiraient le militaire mais détestaient le politique [1]. C’est peut-être cette militarisation qui a triplé le nombre d’artilleurs sortis de l’école, chaque année, jusqu’en 1815. Certains acquirent quelque notoriété : Gourgaud, aide de camp de l’Empereur, qui le suivit à Sainte-Hélène, Clermont-Tonnerre, qui fut ministre de la guerre sous la Restauration, Fabvier, un des héros de la guerre d’ Indépendance de la Grèce en 1825, Duchand, qui commandait l’artillerie à cheval de la Garde à Waterloo, entre autres.
Cependant, par un décret du 30 août 1811, Napoléon avait décidé que l’École polytechnique ne fournirait plus d’officiers à l’artillerie. Cette arme recruterait désormais ses cadres soit à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, soit directement au Prytanée militaire ou dans les lycées. Les Saint-Cyriens jugés suffisamment instruits en mathématiques formèrent le 25 janvier 1812 une compagnie de canonniers de 112 élèves, qui donna 88 officiers d’artillerie. Les élèves du Prytanée et des lycées jugés aptes devaient passer une année ou deux, selon leurs connaissances, à l’École de Metz avant d’être affectés dans des régiments. Ce décret de 1811 n’empêcha pas Napoléon de prendre à la sortie de l’École polytechnique 90 officiers d’artillerie en 1812, 120 en 1813 et 80 dans l’ensemble des deux années suivantes.
Toutes ces mesures, parfois improvisées, parfois contradictoires, donnèrent cependant un corps d’officiers dont Napoléon a pu dire qu’il était « le meilleur et le mieux composé d’Europe ».
[1] Écrivant sur leurs tableaux noirs ces vers que Jean-Pierre Callot cite dans son Histoire de l’École polytechnique (Lavauzelle, 1982) :
Le monde est un atome où rampe avec fierté
L’insecte usurpateur qu’on nomme Majesté.