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4- L’emploi qui est fait de l’artillerie
 

Emploi de l’artillerie

Les principes dégagés par les tacticiens de l’Ancien Régime n’ont été que progressivement respectés ou même redécouverts au cours des campagnes de la Révolution.

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A Valmy, l’artillerie était commandée par le chevalier d’Aboville, lieutenant-général, secondé par Monsieur de Sénarmont, le père. Surpris par l’arrivée des troupes prussiennes, Kellermann, pour gagner le temps nécessaire à la mise en place de son armée, avait renforcé son avant-garde par deux compagnies d’artillerie à cheval. Cette artillerie avait ouvert le feu dès l’aube sur l’avant-garde prussienne, et ces deux compagnies, par leur feu extrêmement vif, forcèrent la garde prussienne à suspendre sa marche.

Pour la bataille, qui ne fut qu’une canonnade, Kellermann forma, avec son artillerie numériquement inférieure à l’artillerie prussienne, deux batteries de 15 à 20 canons, placées l’une près du moulin de Valmv, l’autre sur une éminence au nord, le Mont Yvron. Il conserva, encore sur le plateau de Valmy, une assez forte réserve à laquelle se joignirent les deux compagnies à cheval qui avaient combattu avec l’avant-garde. Cet amoncellement sur le plateau constituait un magnifique objectif pour l’artillerie prussienne. Celle-ci cherchait surtout à faire taire les batteries françaises, dont le feu causait beaucoup de pertes à son infanterie. Elle eut un coup heureux qui fit sauter plusieurs caissons. Il y eut une dizaine de minutes de flottement, mais les deux compagnies à cheval en réserve furent amenées en avant de la première ligne par le duc de Chartres (le futur Louis-Philippe) ; elles ouvrirent le feu et rétablirent la situation.

Alors, à la surprise des Prussiens, qui avaient cru l’artillerie française désorganisée, la canonnade reprit. Une batterie de 24 canons tirés de la réserve étant venue remplacer les pièces précédemment éprouvées, le feu reprit même avec encore plus d’intensité qu’avant, jusqu’au moment où Brunswick, pour des raisons mal éclaircies, décida de se retirer.

L’artillerie avait joué un rôle primordial dans cette journée. Elle y aurait tiré, aux dires de Dumouriez, 20000 coups de canon. Son feu avait arrêté l’infanterie considérée comme la meilleure d’Europe. Par son exemple elle avait donné confiance aux troupes de sa propre armée. Elle avait droit à toute la gloire de Valmy, et on a pu dire que d’Aboville en était le véritable vainqueur.

L’emploi des batteries à cheval y avait été excellent, d’abord en soutien de l’avant-garde pour retarder l’ennemi, puis par intervention au moment opportun. Mais, pour le gros de l’artillerie, il y eut plutôt juxtaposition des pièces que concentration des feux pour une manœuvre.

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A Jemmapes (6 novembre 1792), il n’y eut même pas d’essai de concentration des feux. Là, Dumouriez disposait d’environ 100 pièces, près du double de ce qu’avait son adversaire autrichien. Il en dispersa 36 (un tiers de 16, un tiers de 12 et un tiers d’obusiers) « en batterie sur tout le front » selon sa propre expression ; et si chaque redoute autrichienne était prise sous les feux croisés de deux batteries, c’étaient des batteries de deux pièces. Quand l’infanterie se porta à l’attaque, une très faible part de l’artillerie seulement put la suivre en raison de l’état marécageux du terrain, et la victoire fut acquise à l’arme blanche grâce à la supériorité numérique des Français. L’artillerie avait été employée aussi mal qu’il était possible.

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A Wattignies, après l’échec des attaques du 15 octobre 1793, non soutenues par une artillerie laissée trop en arrière, Jourdan ordonna une mise en place dans la nuit à partir de deux heures du matin. Elle fut exécutée en silence et favorisée par le brouillard. Jourdan répartit alors ses canons devant les bataillons pour ouvrir la voie. Cette artillerie arrêta par ses tirs à mitraille une contre-attaque de la cavalerie autrichienne ; mais elle n’eut pas d’autre effet, parce qu’elle ne fut pas utilisée comme élément de manœuvre.

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A Kaiserslautern (novembre 1793) Hoche plaça une batterie de 22 canons sur une éminence, le Mayenberg, qui dominait la rive ouest de la Lauter. Elle permit de battre l’objectif que Hoche s’était fixé ; mais, apprenant que son artillerie allait manquer de munitions (on en avait gaspillé beaucoup dans les escarmouches qui avaient précédé), il dut se résigner à donner l’ordre de la retraite. La manière dont il a employé son artillerie, en utilisant le terrain et en concentrant les feux de façon déjà assez forte, marque un net progrès sur ce qu’avait fait Jourdan à Wattignies un mois plus tôt.

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Le même Jourdan, l’année suivante à Fleurus (26 juin 1794), où il attendait en position défensive les Autrichiens de Cobourg, répartit son artillerie entre les divisions. Elle contribua, certes, à arrêter l’attaque ennemie, assez facilement à gauche où l’artillerie de la division Kléber démonta six pièces autrichiennes, plus difficilement à droite où la division Marceau, soumise au feu des 27 canons de la colonne autrichienne de Beaulieu, dut se replier. Beaulieu porta alors son attaque sur la division Lefebvre, à la gauche de Marceau ; mais Lefebvre, réunissant son artillerie et celle de Marceau, forma une batterie de 12 pièces qui, tirant à demi-portée de fusil, força l’adversaire à se replier. Au centre, l’action se réduisit à un duel d’artillerie où l’artillerie française, mieux protégée parce qu’installée dans des redoutes, prit l’avantage. Mais il n’y eut aucune manœuvre des feux, tout au plus juxtaposition d’une trentaine de pièces dans la plus importante des redoutes.

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Ces quelques années sont importantes pour l’artillerie française. Ses cadres, qu’ils proviennent de l’armée royale ou soient fraîchement promus, constatent la qualité de l’outil que l’Ancien Régime leur a forgé et que bien peu des anciens avaient pu expérimenter au feu. Ils cherchent d’ailleurs à l’améliorer en abandonnant l’artillerie de bataillon, incapable de concourir à la concentration des feux puisque dispersée dans les rangs de l’infanterie. Quant à l’artillerie à cheval, en dehors de ses spectaculaires « charges d’artillerie », elle permettait de donner à la cavalerie, très affaiblie par l’émigration, un soutien analogue à celui dont bénéficiait l’infanterie. Les commandants de grandes unités, s’ils n’ont pas toujours bien employé leur artillerie, appréciaient de plus en plus son efficacité. Un adversaire, Langeron, émigré passé au service du Tsar, écrira dès la fin de 1793 : « Les Français choisissent leur terrain, cachent leurs masses derrière un rempart de canons et opèrent avec vigueur sur un seul point et avec toutes leurs troupes. » C’était bien l’application des théories de Guibert et du Teil.


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