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2- Adaptation de l’organisation de l’artillerie
 

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Après les Grands maîtres de l’artillerie, on voit disparaître le poste de Premier inspecteur de l’artillerie, à la mort de Gribeauval. C’est le comité d’artillerie qui prend la suite, composé d’officiers généraux de l’artillerie.

L’organisation

C’est en 1790 que la grenade devint l’insigne de l’artillerie.

Dès réorganisation s’imposent dans le cadre du grand chamboulement des armées.

Dès la fin de la même année, l’Assemblée nationale adopta une loi instituant dans l’armée cinq armes :

  • infanterie française
  • infanterie étrangère
  • cavalerie
  • artillerie
  • génie.

L’artillerie et le génie n’étaient plus de simples branches de l’infanterie. Peu de jours avant d’adopter cette loi, l’Assemblée avait repoussé un projet de fusion de l’artillerie et du génie. Rappelant cette décision un mois plus tard, un rapport (20 novembre 1790) en indiquait la raison : « C’était aux institutions de M. de Gribeauval que le corps de l’artillerie était redevable de sa supériorité avérée sur tous ceux de l’Europe. » Il ne fallait donc pas modifier ces institutions.

Création du comité de l’artillerie

C’était pourtant ce qu’aurait fait le projet de loi objet de ce rapport : on y proposait la suppression du poste de Premier inspecteur général de l’artillerie (vacant depuis la mort de Gribeauval). Le chef unique qu’avaient été le Maître général, le Grand maître ou le Premier inspecteur général de l’artillerie, était remplacé par un « Comité d’artillerie, composé d’officiers généraux et particuliers de ce corps ». Ce comité devait se réunir annuellement à Paris pour une session de trois mois ; il serait renouvelé par tiers tous les deux ans, présidé par le plus ancien des officiers généraux présents et « chargé de traiter avec le ministre de la Guerre de toutes les affaires relatives au service et aux travaux de l’artillerie ».

En raison des vicissitudes de l’époque, ce comité fut en sommeil jusqu’en 1795. La loi du 18 floréal an III (7 mai 1795) tenta de le réanimer en lui donnant le nom de Comité central de l’artillerie : composé de cinq membres nommés pour un an (mais les inspecteurs généraux présents à Paris avaient le droit d’y assister avec voix délibérative), ce comité doit « donner des avis motivés sur les objets du service de l’artillerie en personnel et matériel, présenter l’ensemble du travail d’avancement.

Il est autorisé à donner son avis au gouvernement, à la fin de chaque session, sur l’amélioration et le perfectionnement du service de l’artillerie aux armées ».

Pratiquement l’activité de ce comité central ne fut qu’épisodique. Ses membres étaient trop souvent aux armées pour se réunir à Paris.

Réorganisation interne à l’artillerie

Les principales modifications apportées, avant la loi de floréal an III, à l’organisation de 1776 du corps de l’artillerie furent, en 1791 la suppression des régiments provinciaux (qui n’étaient, pour l’artillerie, que des réserves peu instruites) et en 1792 le rattachement au génie des compagnies de sapeurs et de mineurs.

La création, en 1793, au moment de l’« amalgame », de compagnies d’artillerie de « volontaires », à raison d’une compagnie par demi-brigade, fut un échec : peu instruites, indisciplinées, mal vues des artilleurs confirmés, elles furent cependant maintenues jusqu’en 1796 pour des raisons politiques. Elles furent utilisées pour servir les canons de bataillon (dont l’intérêt fut toujours contesté et dont la dotation par bataillon fut réduite de 2 à 1 en 1795) et pour l’artillerie de côte.

Il y eut même des « corps francs d’artillerie ». Ceux de l’artillerie de Paris se signalèrent principalement par leur esprit révolutionnaire. Quelques éléments furent fondus dans les unités d’artillerie à cheval. En dehors de cela, ces corps francs ne firent rien valant d’être mentionné.

La loi de floréal conservait les huit régiments à pied de 1776 (en y comprenant le régiment issu de l’artillerie des colonies créé en 1791), toujours à deux bataillons et dix compagnies, l’effectif de la compagnie étant porté à 98 hommes. Il n’y avait plus que des « canonniers », la distinction entre bombardiers et canonniers étant supprimée et les sapeurs et mineurs étant passés au génie. Il y avait maintenant douze compagnies d’ouvriers au lieu des neuf qui avaient été dissoutes trois mois avant. L’effectif de la compagnie avait été porté de 71 à 83 hommes. L’artillerie à cheval apparaissait sous la forme de huit régiments à six compagnies de 42 hommes. En outre, un corps de pontonniers était créé, comprenant un état-major et 80 compagnies à 72 hommes.

Cette loi indiquait aussi le nombre d’officiers employés dans les forges, arsenaux, manufactures, places et écoles : 82 officiers généraux ou supérieurs, qui étaient affectés dans les places ou établissements, et 144 capitaines qui figuraient dans les régiments « à la suite » des officiers servant au corps, 12 par régiment à pied et 8 par régiment à cheval.

La loi fixait également les conditions d’avancement : le tiers des places de lieutenant en second était réservé aux sergents ou sergents-majors ; on passait, selon l’ancienneté dans le régiment, aux grades de lieutenant en premier et de capitaine ; le tiers des promotions de chef de bataillon était au choix.

Enfin l’école des élèves, qui avait été supprimée en 1772 et rétablie à Châlons en 1791, était maintenue avec 50 élèves. On verra plus loin comment ces élèves étaient recrutés et instruits.

L’engouement pour l’artillerie à cheval

Une montée en puissance progressive

Deux « détachements d’artillerie à cheval » avaient été créés dès novembre 1791. On se posait la question du mode de transport des servants. Ils pouvaient monter à califourchon sur des caissons allongés, les « wurtz », du nom de wurst (saucisse) qu’on leur donnait en Allemagne ; c’était la solution que Gribeauval avait proposée en 1784 et qui n’avait pas été retenue. Ils pouvaient monter vaille que vaille sur les chevaux d’attelage ; c’était ce qu’avait essayé Vrégille en 1762 et que suggérait le chevalier du Teil dans son ouvrage en 1778. Ils pouvaient surtout avoir leur propre monture ; c’était la solution que préconisait le général Mathieu-Dumas.

Ce dernier, en qualité de commandant de la subdivision de Metz, avait été chargé de la mise sur pied d’un de ces détachements. Il a écrit dans ses Mémoires : « J’avais fort à cœur d’y réussir, et je savais que je rencontrerais de grands obstacles, même de la part des principaux officiers d’artillerie. Les avantages de l’artillerie légère étaient trop évidents, trop bien prouvés par l’expérience dans l’armée prussienne pour qu’on pût la contester, mais on différait d’opinion sur le mode. »

Ayant obtenu l’autorisation du ministre, il constitua une compagnie de 100 hommes avec des cavaliers volontaires, 50 venant d’un régiment de chasseurs à cheval et 50 venant de l’artillerie. Après six semaines d’exercice cette compagnie fut éprouvée dans une grande manœuvre, et Mathieu-Dumas a pu écrire : « Je fus étonné de la promptitude et de la précision des mouvements... Je ne fus pas moins satis- fait d’obtenir les suffrages des officiers d’artillerie qui avaient le plus douté du succès, et particulièrement du colonel Sénarmont. »

En même temps, à Strasbourg, un autre détachement,dont les servants étaient transportés sur caissons, était formé et essayé sous la direction du général de Manson (l’ancien collaborateur de Gribeauval) avec l’aide du lieutenant de Sorbier [1].

Les résultats de ces expérimentations ayant été jugés satisfaisants, les deux détachements sont transformés en compagnies en mars 1792. Dans cette même année le nombre de ces compagnies est porté à 9, puis à 10, puis à 30. Il ira à 40 et jusqu’à 90, soit par des créations officielles, soit à la suite d’initiatives individuelles. La pénurie en chevaux de selle fit qu’au début on utilisa pour les servants les trois modes de transport : caisson, cheval de trait et cheval de selle ; mais dès 1794 les servants furent tous montés et ces unités devinrent toutes réellement de l’artillerie « à cheval ». [2]

Ces compagnies étaient rattachées aux régiments d’artillerie à pied ; mais il en résulta des difficultés de ravitaillement et d’administration telles qu’en 1794 on décida de rassembler les 90 compagnies à cheval existantes (on avait même envisagé d’en porter le nombre à 100) en 9 régiments d’« artillerie légère » à 10 compagnies. Cette artillerie légère formait une arme à part. Dès 1795, on constata les inconvénients de cette séparation en artillerie légère et artillerie à pied, ne fût-ce que pour la formation des cadres.

Lacombe Saint-Michel qui, comme expert de l’artillerie auprès de la Convention, avait milité pour le développement de l’artillerie à cheval, obtint que, par la loi de floréal, l’artillerie légère fût à nouveau rattachée à l’artillerie à pied et reprît le nom d’artillerie à cheval.

Cette rapide prolifération des unités d’artillerie à cheval montre l’attrait qu’elle ont exercé dès leur création. Elles réunissaient au prestige du cavalier la considération accordée à 1’« arme savante » . [3]

Beaucoup, parmi les plus connus des artilleurs de l’époque, y sont passés : Eblé, Marmont, Duroc, Foy... Ils s’y trouvaient au cœur même des combats.

Anecdotes sur les aventures de l’artillerie à cheval

Un auteur finlandais, M. Lauerma, dans une étude sur L ’artillerie de campagne française pendant les guerres de la Révolution, a écrit que les unités d’artillerie légère « eurent à supporter toutes les peines de la guerre dans une mesure peut-être plus large qu’aucune autre arme... ; guère d’escarmouche sans qu’elles y prennent part... , dans les grandes batailles jetées au feu les premières et y restant jusqu’au dernier moment ».

Kilmaine, un cavalier qui assura l’intérim du commandement de l’armée du Nord entre Custine et Houchard, demandait des compagnies d’artillerie à cheval pour compenser son manque de cavalerie. On disait qu’une de ces compagnies équivalait à deux régiments de cavalerie, et l’on connaissait l’importance des charges de cavalerie en raison du peu d’efficacité du feu de l’infanterie contre elles.

Parfois l’emploi de l’artillerie à cheval s’écartait des méthodes habituelles. Sorbier, qui avait été lieutenant dans l’une des deux premières compagnies d’artillerie à cheval, en commandait une compagnie en 1793. Il voit, à Arlon, nos troupes plier devant des forces supérieures. Il « se met, dit le compte rendu de l’affaire, à la tête de l’artillerie qu’il commandait et se lance, avec ses canonniers à cheval, ses pièces, ses caissons et autres voitures, sur un carré de quinze cents grenadiers hongrois que rien n’avait pu entamer. Tout est détruit, écrasé, sabré. L’armée française se rallie et une défaite inévitable devient une victoire complète ».

Le 26 décembre 1793, au Geisberg, une compagnie d’artillerie légère « chargée par la cavalerie autrichienne ne laisse aux pièces, chargées à mitraille, que le strict nécessaire pour la mise à feu. Tout le reste charge à l’arme blanche après que le feu des canons ait désorganisé l’attaque ».

Après une autre affaire, à Arlon, le 15 avril 1794, Jourdan écrivait : « Je ne saurais donner trop d’éloges à l’avant-garde, et particulièrement aux intrépides canonniers à cheval, commandés par l’adjudant-général Debelle. Six de leurs bouches à feu se sont battues, le premier jour de l’attaque, pendant quatre heures contre 24 pièces de gros calibre. »

Masséna parle, après Zurich, « du dévouement inconcevable de notre artillerie légère contre une des plus vigoureuses charges de cavalerie qu’on ait jamais exécutées... L’artillerie légère, chargée et sabrée au milieu de la mêlée, ne cessait de manœuvrer et de tirer à mitraille ».

Des réputations s’établissent

Un officier de ces « volants », Prost, ancien bas-officier (il avait eu « l’épaule froissée » par un boulet au siège de Gibraltar en 1782), mort maréchal de camp, « joignait, écrit le général Griois, à une sorte d’esprit et de tact naturel beaucoup de bravoure et une figure prononcée, une taille élevée et une superbe tournure... ». Volontaire pour servir dans un des deux détachements d’artillerie à cheval essayés en 1791, il passe rapidement lieutenant et capitaine. A Fleurus, chargé par la cavalerie autrichienne dont un brouillard épais lui a masqué l’approche, il doit abandonner ses pièces mais il les reprend immédiatement en contre-attaquant avec ses servants à cheval et des cavaliers du 1er chasseurs. [4] Son prestige auprès des troupes appuyées était tel que, comme le porte une inscription sur sa stèle, on disait, lorsqu’il était présent au combat : « L’ennemi est vaincu... le capitaine Canon est avec nous. »

Un autre exemple est celui du colonel Séruzier. Il était si fier d’avoir été « volant », que ses Mémoires, parus sous la Restauration, lui donnent le titre de « colonel d’artillerie légère ». En mars 1797, au moment du passage du Rhin par Hoche à Neuwied, il commande une compagnie d’artillerie à cheval. Il reçoit la mission de battre de son feu les redoutes édifiées par les Autrichiens face au pont utilisé par les Français. Il estime qu’en raison de leur solidité ce serait sacrifier inutilement ses hommes et ses pièces que de les battre de front. Alors, raconte-t-il, « au lieu de me mettre en ligne, je forme au galop mes sections, et, sans tirer, je m’élance rapidement entre les redoutes ; je poursuis ma course, et me place en batterie derrière elles ; j’ordonne le feu, dirigeant mes pièces à mitraille sur les gorges ouvertes du retranchement où l’ennemi n’a rien à m’opposer. Foudroyés au milieu de leurs points fortifiés, les Autrichiens voient encore sauter leurs magasins à poudre par l’effet de mes obus ; alors, profitant du désordre, je commande la charge et je pénètre au milieu des redoutes avec mes pièces ... »

Un retour "à l’ordre" s’impose

Il y eut une querelle de l’artillerie à cheval due à sa prolifération. Eblé, qui avait servi dans une de ces compagnies en 1792, proposait en 1799 de les supprimer et de faire monter les canonniers servants sur les chevaux d’attelage. Foy, qui avait commandé un régiment d’artillerie légère, écrivait en 1802 : « L’artille- rie à cheval est moins une invention nouvelle que la perfection du système d’artillerie de bataille établi en elle n’est autre que l’artillerie adaptée au genre de France dans les derniers temps de la monarchie... ; guerre moderne et au caractère national. »

Gassendi, lui, écrivait « ... vouloir tout mettre en artillerie à cheval dans une armée et n’employer l’artillerie à pied qu’aux sièges et aux réserves, comme on l’a proposé, est un excès peut-être plus mal fondé que de ne pas vouloir du tout d’artillerie à cheval ».

On s’en tint à cette sage opinion et on arrêta la prolifération de l’artillerie à cheval, dont, à Sainte- Hélène, Napoléon dira à Gourgaud : « Cela seul a changé la face de la guerre. C’est-à-dire que de mettre l’artillerie à même de suivre toujours la cavalerie est un grand changement. On peut maintenant, avec des corps de cavalerie et des batteries à cheval, se porter sur les derrières de l’armée ennemie. Qu’est-ce, après tout, que la dépense pour monter quelques régiments d’artillerie à cheval comparée aux avantages que procure cette arme ? ... 20 000 chevaux et 120 bouches à feu d’artillerie légère équivalent à 60 000 hommes d’infanterie ayant 120 bouches à feu. »

Le nombre de compagnies d’artillerie à cheval, qui avait atteint 90 en 1794, avait été ramené dès 1795 à 48, et ce nombre n’a plus été dépassé jusqu’en 1815. Par le jeu des mutations entre artillerie à cheval et artillerie à pied, les cadres des « volants » purent se tenir au courant des études générales (on leur reprochait de les négliger) et communiquer à l’ensemble de l’Arme leur allant [5].

[1] Futur général Sorbier qui succéda à Lariboisière comme Premier inspecteur général de l’artillerie à la fin de l’Empire.

[2] Dès la mise sur pied des premiers « détachements » les appellations de grade utilisées avaient été celles de la cavalerie : on y était maréchal des logis ou brigadier, comme on sera chef d’escadron dans les régiments d’artillerie à cheval en attendant qu’on le soit dans toute l’artillerie. Le personnel de ces compagnies fut fourni partie par l’artillerie à pied, partie par la cavalerie, comme cela avait été fait par Mathieu-Dumas.

[3] Les cadres les plus dynamiques cherchaient à y entrer, et Paul-Louis Courier, qui avait commandé une de ces unités, écrivait quelques années plus tard : « J’aimerais cent fois mieux commander une compagnie d’artillerie légère à la Grande Armée que d’être général ici comme l’est Mossel, c’est-à-dire garde- magasin des munitions de l’infanterie. »

[4] En 1797, le général Debelle écrit de lui que son nom a « souvent retenti dans les rangs épouvantés de l’ennemi ».

[5] on en veut pour preuve le couplet qui était chanté en 1815 « Brave comme un lion L’ général Sénarmont Fait charger ses canons Comme des escadrons. »

Or, Sénarmont n’avait jamais servi dans les volants.


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