L’organisation de l’Artillerie > Tome B- Approches détaillées > 5- Organisation du XVIIIème post Révolution > A- L’artillerie de la Révolution >
1- La qualité de l’héritage de l’Ancien Régime facilite la mutation
 

Le nouveau régime héritait donc d’une artillerie de haute qualité, instruite grâce à Vallière, équipée grâce à Gribeauval.

Ce dernier, mort à la veille de la Révolution, laissait des collaborateurs de valeur : Gomer et Rostaing, qui firent partie du comité militaire créé le 3 octobre 1789 par l’Assemblée nationale, Manson, Bellegarde. Il laissait aussi des disciples : d’Aboville, l’artilleur de Rochambeau en Amérique [1], le chevalier du Teil et son aîné, le baron du Teil qui a eu le jeune Bonaparte sous ses ordres à Auxonne, Lespinasse, qui sera l’artilleur de Bonaparte pendant la campagne de 1796, et tant d’autres : Lacombe Saint-Michel, qui sera l’expert de la Convention en matière d’artillerie, La Martinière, qui commandera l’école d’application à Metz, Gassendi, d’Uturbie, Pernéty, Dujard, La Martillière, etc.

Cette artillerie est considérée par les étrangers comme la première d’Europe. Son emploi a été étudié plus que partout ailleurs. Mais en France elle n’est pas encore une « Arme » à part entière ; elle compte toujours comme un régiment d’infanterie, au numéro LXIV en raison de la date de sa création.

Elle subit, bien sûr, les contrecoups de la bourrasque révolutionnaire. Trop de ses officiers disparaissent, soit qu’ils meurent sur l’échafaud comme le baron du Teil, soit qu’ils émigrent comme Manson et Bellegarde, soit qu’ils quittent simplement le service comme d’Agoult, le premier commandant de l’école des élèves de Châlons. Mais l’émigration ne touche que le tiers des officiers dans l’artillerie et dans le génie, alors que dans l’infanterie et la cavalerie la proportion est bien supérieure. Cela s’explique par l’origine sociale de la grande majorité des officiers d’artillerie, issus de la petite noblesse ou de la bourgeoisie ; les du Teil, Gribeauval, d’Aboville, Sénarmont, Marmont, Duroc, Pernéty, Sorbier, Songis, Lacombe Saint-Michel, Bonaparte, etc. Cela s’explique peut-être aussi parce que les officiers étaient plus près de leur personnel que dans les autres armes. La cohésion de l’équipe, comprenant officiers, bas-officiers et soldats autour du même matériel, l’accession des bas-officiers au grade d’officier, la fréquentation des mêmes écoles régimentaires par certains bas-officiers et soldats côte à côte avec les jeunes officiers en sont probablement les raisons.

Les officiers sont donc restés en assez grand nombre dans les cadres de l’artillerie. D’ailleurs au début de la Terreur les « ci-devant nobles » qui servaient dans l’artillerie et le génie ont tous été autorisés à continuer à y servir, ce qui n’était pas la règle dans les autres armes. La raison n’en était peut-être pas dans un loyalisme affirmé des officiers de ces « armes savantes » vis-à-vis du nouveau régime, mais la nécessité faisait loi : on ne s’improvise pas officier dans ces armes. En outre, la qualité exceptionnelle de beaucoup de bas-officiers permit de combler sans trop de difficultés les départs. Comme la troupe, bien instruite et disciplinée, n’a généralement pas eu de défaillance, l’artillerie est restée efficace. Gouvion Saint-Cyr, jugeant de l’état de l’armée en 1792 au début des hostilités, estimait les unités d’artillerie « trop faibles pour les besoins du moment, mais d’une instruction parfaite, et animées du meilleur esprit... Cette arme n’ayant pas été désorganisée comme les autres par l’effet de l’émigration avait conservé cette instruction qui l’a rendue longtemps supérieure à celle de toutes les autres puissances ». Et Napoléon disait à Sainte-Hélène : « Dans les premières campagnes de la Révolution, ce que la France a toujours eu de meilleur, c’est l’artillerie. »

Pendant ce temps, l’infanterie recrutée en masse, peu instruite et mal encadrée, constatait que « l’enthousiasme républicain » n’était pas suffisant pour balayer tous les obstacles du champ de bataille. L’inefficacité de son feu rendait plus nécessaire l’intervention de l’artillerie, qu’il fallait multiplier. La mobilité du matériel Gribeauval s’y prêtait, et elle fut améliorée par la création de « l’artillerie volante ». Cette intervention de l’artillerie, souvent à courte portée (parfois à moins de deux cents mètres), imposait, pour qu’elle fût assez rapide, d’amener les pièces attelées au plus près pour recourir le moins possible à la traction à bras. Les charretiers civils se trouvaient donc sous le feu, ce qu’ils n’appréciaient pas et à quoi ils cherchaient généralement à se dérober. Au besoin ils coupaient les harnais des chevaux pour s’enfuir avec eux. Leur militarisation apparut comme une nécessité et, après quelques essais, ce sera l’œuvre du Consulat.

Cette intervention de l’artillerie, plus intense et plus mêlée à la manœuvre, résultait plus de l’expérience que d’une doctrine. Trop de généraux placés à la tête des divisions et des armées, improvisés et ignorants, n’avaient aucune notion sur l’emploi de l’artillerie et aucune connaissance des principes mis en lumière par les tacticiens de l’Ancien Régime : concentration des feux et manœuvre des matériels pour y parvenir. Cette artillerie, en général numériquement inférieure et mal employée, était, du moins, bien servie.

[1] qui sera celui de Kellermann à Valmy, où il aura pour second, Sénarmont, le père


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