Conquête de la Corse
Les matériels du système Gribeauval avaient été utilisés dès 1769 pour la conquête de la Corse. Le corps expéditionnaire du comte de Vaux comprenait quatre canons de 4 et deux de 8, deux mortiers, deux obusiers et, en outre, six pièces « à la Rostaing ». Pour utiliser ce matériel dans ce terrain difficile on se servit parfois d’affûts à traîneau.
L’artillerie avait eu déjà « tout le meilleur effet possible » le 17 février. Le comte de Vaux, qui s’était porté vers Porto-Novo, ne voulut pas aller plus loin avant que les deux pièces de 8 l’eussent rejoint. Ce fut fait le 8 mars. Il passa alors à l’attaque des troupes de Paoli, qui furent écrasées. Les nouveaux matériels avaient donné toute satisfaction et obtenu un plein succès.
Guerre d’Indépendance d’Amérique
L’artillerie française prit une large part dans la guerre d’ Indépendance des colonies anglaises d’Amérique. Quelques artilleurs étaient partis à titre individuel, plus ou moins clandestinement car la guerre n’avait pas encore été déclarée à l’Angleterre. Une première participation du Corps royal eut lieu à l’occasion du siège infructueux de Savannah en 1779. Les artilleurs étaient peu nombreux (150 sur les 3 000 hommes du corps expéditionnaire) et ils n’avaient pas d’artillerie de siège.
Instruits par cette expérience, Rochambeau et le commandant de son artillerie, le lieutenant-colonel d’Aboville, partiront avec une importante artillerie de siège ; douze canons de 24 et huit de 16, quatre obusiers de 6 pouces et deux de 8 pouces, huit mortiers de 12 pouces et quatre de 8 pouces, avec 20 000 boulets et plus de 12 000 gargousses. L’artillerie de campagne comprenait huit canons de 12, vingt-quatre de 4, quatre obusiers de 6 pouces, avec plus de 11 000 boulets et 3 000 obus. A cela s’ajoutaient plus de 1 500 tonnes d’« attirail » : forges, chèvres, grils à boulets rouges, etc.
Le personnel était formé à partir du 2e bataillon du régiment d’Auxonne, alors stationné à Saint-Malo. Il faisait partie des troupes qui depuis 1778 se préparaient à envahir l’Angleterre et avaient été bien entraînées par les nombreuses manœuvres auxquelles elles avaient participé. Le bataillon prit la mer avec six compagnies de canonniers, une de sapeurs et une de mineurs.
Parti en mai 1780, le corps expéditionnaire arrive dans la région de Newport en juillet. Son artillerie, longtemps en réserve, participe, en mars 1781, avec 150 hommes, à une expédition navale sur les côtes de Virginie. En juin 1781, le corps français entreprend un long déplacement par Philadelphie jusqu’à Yorktown, où les Anglais sont retranchés sous les ordres de Cornwallis. Le matériel de siège fait ce déplacement par mer. L’artillerie de campagne fait preuve de sa mobilité et de sa solidité en effectuant avec succès cette difficile « épreuve de roulement » de près de 2 500 kilomètres dans des chemins souvent très mauvais. Les matériels résistent, mais les chevaux souffrent ; ils ont été achetés sur place (les charretiers et les harnais venant de France) et un sur cinq meurt en route. Durant ce déplacement il y eut peu d’actions. L’artillerie française eut cependant l’occasion d’intervenir en juillet contre une flottille anglaise sur l’Hudson.
Mais le rôle de cette artillerie a été très important dans le siège même de Yorktown, côte à côte avec la jeune artillerie américaine. Une dizaine de pièces de campagne venues des Antilles avec le comte de Grasse et servies par un détachement du régiment de Metz sont venues renforcer l’artillerie de Rochambeau. Après le début des travaux sur la première parallèle, le feu de l’artillerie oblige la flotte anglaise (dont quatre navires sont détruits) à quitter le mouillage de Yorktown : ainsi Cornwallis ne peut plus échapper à l’encerclement. Le 10 octobre 1781, le bombardement de la place commence. Il détruit les embrasures, ce qui gêne considérablement l’artillerie anglaise. Deux batteries, dont une française, installées dans la deuxième parallèle sont enclouées par une sortie anglaise, mais sont remises en état en six heures. Le 17, l’artillerie est en poste à 300 mètres des derniers retranchements anglais. Le 18, Cornwallis doit capituler, et c’est la fin de la guerre d’ Indépendance pour les Américains.
Le général de Cugnac a raconté que, quelques années plus tard, Cornwallis, rencontrant d’Aboville, lui déclara : « C’est à vous que j’aurais dû rendre Yorktown, car c’est votre artillerie si bien pointée qui a détruit toutes mes fortifications ».
L’armement d’infanterie
Jusqu’en 1667 les capitaines étaient libres du choix de l’entreprise qui leur fournirait les armes à feu de leur compagnie. Louvois leur imposa de passer par un concessionnaire qui avait le monopole de ces fournitures. Mais les différentes fabriques continuaient à produire des armes différentes. Au début de la Régence le conseil de la guerre décida de retenir un type unique de fusil d’infanterie : ce fut le fusil modèle 1717. En 1716, un service de l’inspection des manufactures avait été créé. Le Grand maître de l’artillerie désigna trois « officiers supérieurs d’artillerie droits, intelligents et actifs », qui reçurent « commission d’inspection des armes qui se fabriquaient » à Maubeuge, Charleville et Saint-Étienne (1er novembre 1716). Ils contrôlaient les fabrications ; mais une fois livrées dans les unités les armes échappaient à leur contrôle.
Or les utilisateurs se livraient à toutes sortes de « bricolages » sous prétexte d’améliorer leurs armes. Ces bricolages et l’hétérogénéité des fabrications dans les divers établissements faisaient qu’à l’arrivée de Choiseul au ministère, Dubois pouvait lui écrire : « Il est impossible d’être plus mal armé que l’infanterie du roy ».
Un redressement s’imposait. La première mesure fut de donner une formation sérieuse aux officiers contrôleurs qui, jusqu’alors, étaient désignés pour ces postes sans formation préalable. La seconde mesure fut d’adopter un fusil - modèle 1766 - et de le réaliser dans les conditions de rigueur et d’uniformité qui avaient été prises pour le matériel d’artillerie. Mais l’armement restait hétérogène : malgré les ordres du ministre les chefs de corps continuaient à apporter des « perfectionnements » aux armes qui leur étaient fournies. Ils justifiaient ces perfectionnements par les défauts de leurs armes. On décida donc de lancer un nouveau modèle tenant compte des observations faites sur le précédent. Ce fut le fusil modèle 1777, qui fut utilisé dans la guerre d’ Indépendance d’Amérique, où il donna pleine satisfaction. Il resta l’arme de l’infanterie française pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire. Gribeauval, en qualité de Premier inspecteur général de l’artillerie, avait fait partie de la commission chargée de choisir le modèle retenu parmi les cinq présentés ; et, toujours en tant que tel, il fit établir en 1783 et 1784 des règlements visant à « réprimer l’espèce d’anarchie qui régnait depuis si longtemps dans cette manufacture » .
La "voiture à feu" de Cugnot
Les deux premiers véhicules automobiles du monde ont été réalisés, comme fardiers ou tracteurs d’artillerie, par Nicolas-Joseph Cugnot (1725-1804) cliquer ici, ingénieur de l’artillerie du roi de France, dans les arsenaux de Metz (1770) puis de Paris (1771), grâce au soutien de Monsieur de Gribeauval, Premier Inspecteur général de l’artillerie.
L’artillerie à la veille de la Révolution
L’artillerie en 1789 était donc dotée d’un matériel d’excellente qualité servi par un personnel remarquablement instruit.
L’instruction de ce personnel était due aux mesures prises par Vallière dès 1720, qui avaient porté leurs effets pendant tout le siècle. La création des garçons-majors en 1765 avait rehaussé la qualité des bas-officiers de l’artillerie auxquels, écrivait du Teil, il importait de donner des notions de trigonométrie « parce qu’il arrive quelquefois qu’ils remplacent leurs officiers ».
Il n’est donc pas étonnant qu’à la Révolution bon nombre d’entre eux soient devenus des officiers très valables.
Le matériel Gribeauval venait de faire ses preuves en campagne, à la fois léger, solide et efficace. Il allait être le glorieux matériel de toutes les campagnes de la Révolution et de l’Empire. Mais on n’avait pas été au bout de ses possibilités .
il restait à réaliser la militarisation des charrois et l’artillerie « volante ». Ce sera l’œuvre de la Révolution et du Consulat. Les projets, et même les expériences, n’avaient cependant pas manqué. Ainsi Vrégille en 1762, devant appuyer un coup de main avec son artillerie, avait doublé ses attelages, fait monter à cheval ses canonniers et parcouru ainsi douze lieues en une journée. Manson, directeur de l’arsenal de Strasbourg de 1774 à 1791, avait fait des essais en 1784 en transportant six servants à califourchon sur le caisson et quatre sur les sous-verges.
Un artilleur qui a servi de la monarchie à l’Empire et a laissé un nom, en particulier en publiant un précieux aide-mémoire, Gassendi, écrit que Gribeauval, lorsqu’on lui avait proposé cette manière d’opérer, aurait répondu : « Vous voyez la peine que j’ai à détruire les anciens préjugés, et les ennemis que m’ont suscités les changements que j’ai opérés ; un jour nous exécuterons votre projet ; préparez-le ; pour le présent ce serait trop vouloir. »
Quant à la militarisation des charrois, elle n’était pas indispensable tant que les campagnes étaient menées selon ce qu’on a appelé la « stratégie des magasins ». Ce sont les guerres de la Révolution, conduites dans un tout autre esprit, auxquelles le système des charretiers civils et des chevaux de louage s’est montré inadapté. Mais, dès Gribeauval, cette militarisation aurait heurté les mêmes préjugés, suscité les mêmes objections - en particulier l’importance des crédits nécessaires pour l’entretien en temps de paix des chevaux de trait - que rencontrera le Premier consul en décidant cette réforme.