L’organisation de l’Artillerie > Tome B- Approches détaillées > 4- Organisation du XVIIIè siècle - Le Corps Royal de l’artillerie > B- Au XVIIIè siécle l’administation directe de l’artillerie par Sa Majesté le roi >
4- Naissance d’une tactique de l’artillerie
 

Naissance d’une tactique de l’artillerie

Les discussions de l’époque entre les partisans de l’ordre profond et ceux de l’ordre mince avaient entraîné une importante discussion sur l’emploi de l’artillerie. Guibert écrivait : « L’objectif de l’artillerie ne doit pas être de tuer des hommes sur la totalité du front de l’ennemi ; il doit être de renverser, de détruire les parties de ce front sur les points où il peut être attaqué avec avantage. »

Cette préparation de l’attaque par l’artillerie impliquait une « manœuvre des feux » qui, en raison de la faible portée du matériel, supposait le déplacement des pièces sur le champ de bataille, donc exigeait leur mobilité tactique.

Les réformes de Gribeauval permettaient une telle manœuvre.

On assista à l’éclosion de toute une littérature sur l’emploi de l’artillerie. C’était, à l’intérieur du Corps royal, le fruit de discussions et de réflexions dont témoignent notamment les « conférences qui ont été tenues au régiment d’Auxonne » en 1767 [1]. Des conférenciers anonymes y traitaient des devoirs de l’officier de troupe et de l’emploi tactique de l’artillerie.

En particulier ils définissaient le comportement que devait avoir le capitaine du Corps royal vis-à-vis du commandant de la brigade d’infanterie auquel il était attaché : il lui fallait « ne rien négliger pour en capter la bienveillance... se faire désirer, sans paraître trop vouloir se rapprocher. De ces Armes combinées avec prudence il résultera des effets dont la gloire rejaillira sur les deux ». Quant à l’emploi même de l’artillerie, ces officiers prônaient la concentration des feux, recommandant « de ne point éparpiller son canon sur tout le front de l’armée » sans, pour autant, « le réunir en une seule et même masse... » Enfin, il leur paraissait convenable de réunir sur le même « objet » (object, objectif) les feux de plusieurs batteries peu distantes les unes des autres.

C’était déjà l’idée de la concentration des feux que prônaient aussi bien un « Rouge » comme du Puget qu’un « Bleu » comme le chevalier du Teil.

Ce dernier fit paraître en 1778 un opuscule intitulé : « De l’usage de l’artillerie nouvelle dans la guerre de campagne ». Du Teil était d’une famille d’artilleurs : en particulier son frère aîné, le baron, commandera en 1788 l’école et le régiment d’Auxonne, et dans le régiment il distinguera le jeune lieutenant de Buonaparté. Le chevalier du Teil, commandant en 1793 l’artillerie de l’armée du sud-est, prendra Buonaparté auprès de lui. En novembre de la même année, il commandera l’artillerie du siège de Toulon avec Buonaparté comme adjoint.

Dans son ouvrage il prône, lui aussi, la concentration de l’artillerie. Elle doit être « multipliée sur un point d’attaque essentiel ». On doit « réunir... une plus grande quantité d’artillerie sur les points où l’on veut forcer l’ennemi » ; ainsi sera obtenue la victoire que l’artillerie aura « préparée ». Pour réaliser cette concentration de feux il insiste sur la rapidité des déplacements que permet la légèreté des nouveaux matériels. Considérant que la portée efficace est au maximum de 500 toises (environ 1 000 mètres) il préconise que les attelages amènent les pièces jusqu’à 600 ou 700 toises : « A cette distance... on mettra à la prolonge... la plupart des canonniers monteront sur les chevaux et, prenant le galop, l’on arrivera à 400 toises », et là on mettra en batterie : c’est la préfiguration de l’artillerie « volante ». Du Teil conclut : « soit dans l’attaque, soit dans la défense, on ne saurait douter que l’artillerie, savamment emplacée et exécutée, ne doive procurer des effets décisifs ». Cet ouvrage a certainement eu une grande influence sur les officiers qui discutaient de ces questions, et le général Colin, dans L ’éducation militaire de Napoléon, a pu écrire : « Puisés dans l’ouvrage même du chevalier du Teil, dans l’enseignement de l’école ou dans la conversation des officiers plus anciens, les premiers principes qui ont dû frapper l’esprit de Bonaparte sont ceux que nous avons vus au premier plan dans l’opuscule sur l’usage de l’artillerie nouvelle » .

Mais si « savamment emplacée et exécutée » que soit l’artillerie, il faut qu’elle soit bien employée.

Gribeauval disait :« la meilleure artillerie sera peu de chose si l’armée est mal disposée et ne sait plus manœuvrer » ; car la manœuvre comporte l’emploi judicieux des feux de l’artillerie. Guibert écrivait, dans l’Essai général de tactique, « qu’il faut que les commandants des troupes connaissent du moins le résultat qu’on peut attendre des différentes dispositions ou exécutions des bouches à feu, afin de combiner ce résultat dans leurs dispositions générales ». Du Teil disait, dans la préface de son ouvrage, qu’il fallait « développer, aux yeux des officiers destinés à commander toutes les armes, combien cette artillerie doit influer avantageusement dans toutes les opérations de quelque importance ». Dans cet esprit, les officiers généraux issus de l’infanterie et de la cavalerie, ainsi que les membres de la noblesse de cour que leur naissance destinait à occuper très jeunes des commandements importants, furent vivement incités à prendre connaissance des nouveaux matériels et de leurs possibilités d’emploi.

[1] Revue d’artillerie nov. 1901, Capitaine Bouquet


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