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5- Les nouveautés pendant l’ère de Vallière
 

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Elles portent sur la balistique et sur l’alésage des tubes.

Balistique

En France, parmi les officiers dotés de bonnes connaissances scientifiques et s’intéressant à la technique, la figure marquante fut celle de Bélidor. Bernard Forest de Bélidor (1693-1761), né d’un père officier mort en Catalogne, fit preuve dès sa jeunesse d’une grande aptitude pour les sciences. A la création de l’école d’artillerie de La Fère en 1720 il y fut, malgré son jeune âge, nommé professeur de mathématiques. Ses leçons eurent rapidement beaucoup d’éclat, et l’on venait même de l’étranger pour y assister.

Mais les thèses qu’il soutenait contredirent souvent les opinions de ses chefs. Commissaire provincial de l’artillerie en 1734, il se heurta au Grand maître de l’artillerie et dut quitter le Corps. Lorsque le maréchal de Belle-Isle fut Secrétaire d’état, il le reprit auprès de lui et le nomma maréchal de camp, inspecteur de l’artillerie.

Monsieur de Bélidor avait fait paraître en 1731 Le Bombardier français.

Il y présentait dans une première partie les résultats de la balistique théorique sous une forme pratique : des tableaux numériques donnaient la portée en fonction de l’angle de tir. Ces tableaux, dont les indications avaient été fournies par l’expérimentation, étaient l’amorce des « tables de tir ». Ils furent approuvés par Vallière.

La deuxième partie traitait de la poudre et des artifices divers. C’est là que Bélidor, qui « avait entrepris de régler scientifiquement les charges de poudre utilisées pour chasser le projectile », proposa notamment de réduire la charge de poudre au tiers du poids du boulet. Il se heurta à « une opposition violente de la plupart des officiers généraux d’artillerie », alors que les épreuves ordonnées par Belle-Isle à Metz en 1732 et reprises à La Fère en 1735 avaient montré la validité de ses thèses.

Picard et Jouan (L ’artillerie française au XVIIIe siècle) ont écrit, avec quelque exagération : « l’absolutisme étroit de Monsieur de Vallière avait fait oublier les ingénieuses trouvailles des Gonzalès et des La Frézelière, et la technique des canonniers français était redevenue sensiblement la même qu’au XVIe siècle ».

Les études sur la poudre furent reprises en particulier par Bigot de la Morogue, un officier d’artillerie de la marine, et par le chevalier d’ Arcy. Ce dernier, maréchal de camp réformé dans le régiment de cavalerie de Fitz-James, présenta en 1751 à l’Académie des sciences un Mémoire sur la poudre où, avec une pointe de paradoxe mais un petit fond de vérité, il écrivait notamment : « Ce qu’il y a de plus certain dans la poudre, c’est son incertitude. » En 1760, il publia un essai de théorie de l’artillerie que, au XXe siècle, l’ingénieur général Charbonnier a pu qualifier de « très belle étude de balistique expérimentale ».

D’Arcy y cite les travaux de l’Anglais Robins, étudie à nouveau la poudre, émet des considérations sur l’utilisation du fer forgé pour construire des pièces plus légères, expose le résultat d’expériences méthodiques sur la longueur des fusils (il conclut à la possibilité de les raccourcir sans perdre de la portée) et expose ses recherches sur le recul des canons.

Les progrès du matériel

A côté de ces études théoriques et de ces expérimentations, de remarquables progrès techniques furent réalisés. La personnalité la plus marquante dans ce domaine fut celle de Maritz. Cet ingénieur bernois proposa en 1739 à la cour de France un procédé révolutionnaire pour le forage et l’usinage des bouches à feu. Jusqu’alors on coulait le bronze sur un noyau un peu plus petit que l’âme et on alésait ensuite la bouche à feu avec beaucoup de difficultés : l’axe de l’âme et celui de l’alésoir coïncidaient rarement, le diamètre de l’âme était irrégulier, l’opération était lente.

Maritz, lui, coulait les pièces sans noyau, les forait ensuite grâce à un tour où l’ébauche couchée à l’horizontale tournait devant un outil fixe. Les expériences furent concluantes. Vallière déclara cette méthode « plus parfaite que tout ce qu’on avait vu jusqu’à présent ». Sur ses conseils, Maritz fut conservé au service de la France et fut nommé en 1740 « Commissaire des fontes ».

Toutes ces études et recherches intéressaient vivement les officiers du Corps royal. Bien formés par l’enseignement dispensé dans les écoles créées par Vallière, entretenant leurs connaissances par les travaux qu’on leur imposait au cours de leur carrière (« La vie d’un bon officier était considérée comme une étude perpétuelle », a écrit du Puget), ils étaient aptes à suivre les discussions qui résultaient de ces recherches. Beaucoup souhaitaient une amélioration du matériel ; ils se heurtaient à Vallière. Celui-ci paraissait ignorer les progrès que faisaient, en Europe, la tactique et la technique d’artillerie.

C’est, en effet, à cette époque que commencèrent les discussions entre les partisans de « l’ordre mince » et ceux de « l’ordre profond ». Ces derniers, dont le plus marquant fut le chevalier de Folard, mésestimaient la puissance du feu et auraient souscrit à l’opinion de Voltaire : « Le fusil et le canon sont moins meurtriers que la pique et l’épée » (Histoire de la guerre de 1741). Ils préconisaient donc la formation de l’infanterie en masse.

Les tenants de l’ordre mince, dont le plus illustre représentant fut le comte de Guibert, estimaient, au contraire, que les nouvelles armes imposaient des formations diluées. Mais, même pour les partisans de l’ordre profond comme Folard, l’artillerie devait marcher avec les troupes « sur la ligne où l’on croira avoir besoin de s’en servir », quitte à s’exposer : il valait mieux, à ses yeux, prendre ce risque que manquer d’artillerie au moment du besoin.

L’insuffisante mobilité de l’artillerie était donc un des soucis principaux des utilisateurs. La guerre de Sept Ans (1756-1763) en donna de nouveaux exemples, alors que le matériel continuait à donner satisfaction pour les sièges : à Port-Mahon (avril, mai 1756), ce fut le feu de quelque douze batteries amenées à grand peine (car il fallut faire construire dans l’île de Minorque les moyens de déplacement nécessaires) qui força les assiégés à la reddition.

Les procédés les plus divers étaient utilisés pour avoir une artillerie de campagne mobile. Comme chaque commandant d’armée s’équipait à sa guise, il y avait une véritable anarchie dans le matériel.

Le duc de Richelieu ne voulait utiliser que des canons à la Rostaing, parce qu’il manquait de chevaux et avait des mulets. Le maréchal de Broglie, dès 1756, avait fait réaléser des pièces de 12 au calibre de 16 et des pièces de 8 au calibre de 12. Or, ce « bricolage » modifiait la résistance des parois des bouches à feu et donnait de mauvais résultats balistiques.

A Strasbourg, dès 1761, Maritz avait coulé des pièces de 12 et de 8 allégées.

On ne peut citer, dans cette guerre de Sept Ans, aucune action où l’emploi de l’artillerie française ait manifesté une idée de manœuvre. A Hastenbeck (26 juillet 1757) son emploi s’apparenta à celui d’une artillerie de siège ; mais elle domina l’artillerie anglo-hanovrienne parce qu’elle sut économiser ses munitions et en réserver pour l’action décisive. A Rossbach (5 novembre 1757) on ne lui fit jouer aucun rôle : le maréchal de Belle-Isle écrivit au ministre, après la défaite, que l’ennemi avait « une nombreuse artillerie à laquelle la nôtre, qui était dans le fond ou à mi-côte, n’a pu faire aucun mal ».

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L’artillerie française qui a été longtemps la plus remarquable est maintenant dépassée par l’artillerie de Prusse. Le relâchement des derniers titulaires de la grande maîtrise en est à l’origine. Il va maintenant falloir se fier aux inspecteurs généraux de l’artillerie.


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