Dans l’esprit de Vallière, tous les calibres de son artillerie devaient être propres à l’attaque et à la défense des places, certains d’entre eux devant être également aptes à jouer le rôle d’une artillerie de campagne.
Cette artillerie fut employée d’une manière de plus en plus massive pour tous les sièges des guerres de succession de Pologne (1733-1738) et de succession d’Autriche (1741-1748).
Au siège du fort de Kehl (1733), 42 pièces de 24 furent mises en batterie. Au siège du fort de Milan (décembre 1733), une cinquantaine de pièces de 24 et 12 mortiers. A celui de Philipsbourg (1734), 84 pièces de 24, 97 de 16, 2 de 12 et 4 de 8 ; soit près de 200 pièces.
Il serait fastidieux d’énumérer tous ces sièges. On citera, du moins, la défense victorieuse de Pondichéry par Dupleix en 1746 : dès les opérations préliminaires, la précision du tir de l’artillerie française fait échouer une première attaque anglaise. Deux mois plus tard elle force l’escadre ennemie à tirer de trop loin, sans aucune efficacité. Elle repousse toutes les tentatives des troupes anglaises débarquées qui ne peuvent même pas pratiquer une brèche et finissent par lever le siège.
L’artillerie de Vallière fut moins efficace dans les opérations de campagne. Les opérations menées en Allemagne en 1734 par le maréchal de Berwick puis par d’Asfeld se bornèrent, en dehors des sièges, à des « observations » réciproques des deux adversaires. Le seul combat, assez secondaire du reste, fut celui d’Ettlingen : Noailles surprit l’ennemi ; mais, son artillerie ayant été arrêtée dans des chemins difficiles, il ne put, faute de canon, profiter de son succès. La mobilité de son artillerie de campagne avait été insuffisante.
Pendant ce temps, en Italie, successivement sous Villars, Maillebois, Coigny et Broglie, l’artillerie est menée avec brio par les artilleurs, mais parfois bien mal utilisée par les grands chefs. Elle forme toujours un parc indépendant des troupes. Le commandement tend de plus en plus à la répartir entre les brigades d’infanterie afin de retarder le moins possible son entrée en action. Ainsi, à la bataille de Parme (29 février 1734) Coigny avait réparti son artillerie et affecté 5 pièces à l’avant-garde. Celle-ci, attaquée par l’ensemble de l’armée ennemie, put résister, grâce à son artillerie, jusqu’à l’arrivée du gros de l’armée. La bataille se borna alors à une fusillade et une canonnade très vives. Les deux artilleries, hantées par l’obsession de ne pas perdre leurs pièces, se retiraient parfois derrière leur infanterie, effrayées par leurs pertes en personnel et en chevaux qui risquaient de compromettre le décrochage du matériel.
A la bataille de Guastalla (19 septembre 1734) les batteries françaises formaient des saillants de la vaste ligne de troupes qui s’étendait autour de Guastalla. Elles appuyèrent les charges de cavalerie à la gauche du dispositif. Au centre, elles repoussèrent les attaques ennemies. A plusieurs reprises elles changèrent de position pour prendre de flanc ces attaques, parfois en concentrant les feux de trois batteries.
Enfin, le moment venu, deux batteries furent déplacées pour canonner les Autrichiens en retraite. Il y eut donc, dans cette bataille, un début de concentration des feux et de manœuvre de l’artillerie.
Pendant la guerre de succession d’Autriche, la bataille de Dettlingen (26 juin 1743) manqua de peu d’être gagnée par l’artillerie. Grâce aux dispositions prises par le maréchal de Noailles (« dignes du plus grand capitaine », a écrit Frédéric II), l’armée anglo-hanovrienne, qui marchait sur Hanau, fut prise sous le feu de l’artillerie française : une batterie de 40 pièces placée sur l’autre rive du Main et commandée par Vallière prit cette armée sur son flanc gauche cependant que, de face, deux batteries de 8 pièces chacune la faisaient plier. « L’affaire aurait été complète et gagnée, a écrit le chevalier de Malbez, commissaire ordinaire de l’artillerie dans cette bataille, si on avait suivi le projet de M. le maréchal de Noailles. Mais le duc de Gramont... voulant faire faire un coup d’éclat à son régiment... l’avança si bien que nous prîmes la position que nous destinions à l’ennemi. » Les batteries ne purent plus tirer, et l’infanterie, qui n’était plus soutenue par le feu de l’artillerie, se débanda. [1]
Ce même matériel a eu un effet décisif à Fontenoy (1745) où l’artillerie, quoique statique en quasi-totalité, a joué un rôle important. Le maréchal de Saxe, voulant s’opposer aux Anglo-Hollandais qui cherchaient à lui faire lever le siège de Tournai, s’établit sur une position assez resserrée dont le centre était marqué par le village de Fontenoy. Il répartit son artillerie dans des villages et redoutes le long de la position, à l’exception de 12 pièces « à la suédoise » gardées en réserve, en particulier pour le cas de retraite. La canonnade commença à 5 heures du matin. Du Brocard, commandant l’artillerie française, fit avancer six pièces pour atteindre l’ennemi avant qu’il passât à l’attaque. Cette batterie fit beaucoup de mal aux Anglo-Hollandais ; mais elle fut contrebattue et du Brocard fut tué. Il restait l’artillerie installée dans les villages et les redoutes. Elle « a certainement eu la plus grande part au succès, a écrit le général Favé. Elle a repoussé presque seule toutes les attaques de l’ennemi, et l’a forcé à se former en masse profonde ». Cette masse (une quinzaine de milliers d’hommes avec quelques canons légers tirés à bras) résistait à toutes les attaques. Quelqu’un (probablement le capitaine Isnard, du régiment de Touraine) eut l’idée d’utiliser quatre des pièces conservées en réserve. Le duc de Richelieu s’empara de l’idée. Les quatre pièces, rapidement mises en batterie, ébranlèrent la masse ennemie. Alors, les troupes françaises l’enfoncèrent.
Fontenoy est un bon exemple d’utilisation opportune d’une artillerie en réserve ; mais cette artillerie n’a pas eu toute l’efficacité qu’on pouvait en attendre parce que l’infanterie s’est portée en avant dès les premiers coups de canon, empêchant ainsi de continuer le tir.
A Rocoux (1746), bataille offensive, quelques pièces d’artillerie marchent avec chacune des colonnes d’infanterie, le gros de l’artillerie formant une colonne particulière. Arrivées en vue de l’ennemi, les troupes françaises sont prises sous le feu de son artillerie. Le maréchal de Saxe veut lancer une attaque sur l’extrême gauche du dispositif ennemi. Une canonnade facilitera la progression des troupes. Mais, une fois encore, impatientées par la lenteur du tir de l’artillerie, les troupes françaises se portent prématurément à l’attaque et sont repoussées. Heureusement, pendant ce temps, l’artillerie de la gauche française canonne la droite ennemie et la force à évacuer un village dans des conditions telles qu’elles amorcent la retraite générale.
On peut dire, avec Favé, que « l’artillerie commence à se mouvoir sur le champ de bataille et à prendre part aux incidents de l’action. Son beau temps commence ».
[1] La bataille de Pavie, avait été perdue de la même façon. Comme l’a raconté la Revue d’artillerie (septembre 1932, L’artillerie volante), en 1914 on verra des cavaliers charger tout aussi courageusement, mais tout aussi vainement, un terrain d’aviation allemand dont une section d’artillerie déjà en batterie s’apprêtait à détruire les avions sans risque d’échec.
Cet épisode souligne le peu de cas que certains faisaient encore du soutien de l’artillerie, peut-être en raison de la lenteur du tir, peut-être en raison de son emploi trop statique, plus apparenté à la guerre de siège qu’à la guerre de mouvement.
Cependant, déjà la nécessité de disposer de matériels plus mobiles avait fait adopter le canon « à la suédoise ». Lors de la retraite de Prague du maréchal de Belle-Isle, en 1742, seules ces pièces purent soutenir ses troupes. Elles étaient sous les ordre de Vallière qui commanda remarquablement l’artillerie dans ce moment difficile,[[Michelet a même écrit que, s’inspirant de cet emploi de l’artillerie, Frédéric II « imita Vallière, fut imité par Bonaparte ». C’était peut-être un peu exagéré.