L’organisation de l’Artillerie > Tome B- Approches détaillées > 4- Organisation du XVIIIè siècle - Le Corps Royal de l’artillerie > A- Au XVIIIè siécle avec les derniers Grands maîtres >
2- Vallière et ses réformes
 

Jean Florent de Vallière (1667-1759)

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Jean Florent de Vallière était né à Paris en 1667. Sa famille, « de très ancienne et bonne noblesse », était originaire de la principauté de Neuchâtel en Suisse, où plusieurs de ses membres avaient « occupé avec honneur les premières dignités et les principales charges de cet État ».

D’autres avaient servi le roi de France, notamment deux de ses grands oncles dont l’un s’était distingué auprès de Henri IV à Arques et à Ivry ; l’autre, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, avait commandé une compagnie de gardes suisses. Son père, blessé à Maëstricht en 1673, s’était retiré comme capitaine de cavalerie.

Lui-même entra comme cadet dans l’artillerie en 1685. Commissaire extraordinaire, puis ordinaire, il fit des recherches sur la poudre et les mines, et fut nommé capitaine de mineurs en 1699. En de nombreux sièges il avait montré sa maîtrise dans l’emploi du canon. Dans Landau assiégé en 1704 il avait fait perdre aux ennemis « plus d’hommes que les sorties », disait-on. Au siège du Quesnoy en 1713, remplaçant Camus des Touches blessé, il avait pris le commandement de l’artillerie et « avec ses 34 canons en avait dominé 80 ».

En 1714, il avait commandé l’artillerie aux sièges de Landau et Fribourg, puis il avait contribué sous Berwick à la prise de Barcelone. Il avait également pris part à de nombreuses batailles : Ramillies (1706), Oudenarde (1708) et Malplaquet (1709).

Maréchal de camp en 1719, il venait de commander l’artillerie aux sièges de Fontarabie, Saint-Sébastien, Urgel et Rosas. On le considérait comme le meilleur artilleur de son temps.

D’un caractère affable dans le privé, il était ferme dans ses opinions.

Les réformes que Monsieur de Vallière fit adopter touchaient l’organisation des unités, la formation des cadres et l’instruction, auxquelles il s’attaqua tout d’abord. La simplification des matériels ne vint qu’ensuite.

L’organisation des unités

L’expérience avait montré les inconvénients d’une organisation où les spécialités étaient séparées en différents corps. On fusionna ces spécialités dans chaque unité.

L’ordonnance du 20 février 1720 réunit en un seul et même corps, le Corps royal de l’artillerie, tous les éléments employés au service de l’artillerie, y compris Royal Bombardiers ainsi définitivement absorbé, mais à l’exception des troupes chargées d’assurer la protection des canons.

Ce corps comprit cinq bataillons, dont les garnisons étaient La Fère, Metz, Strasbourg, Grenoble et Perpignan (Besançon remplaçant Perpignan en 1729).

Chaque bataillon comptait huit compagnies, et l’on avait été si loin dans la fusion que chaque compagnie avait des escouades de toutes les spécialités : l’une de 48 canonniers, la seconde de 24 mineurs ou sapeurs, la troisième de 24 ouvriers (avec, dans chaque escouade, moitié d’« apprentis »), cela « afin qu’une compagnie quelconque pût satisfaire à tout service de l’artillerie ».

L’encadrement était très étoffé : dans chaque compagnie un capitaine en premier, un capitaine en second, deux lieutenants, deux sous-lieutenants et deux cadets. En outre, quatre sergents, quatre caporaux et quatre anspessades comptaient dans les escouades. Cela paraît beaucoup ; mais il faut apprécier la richesse de cet encadrement compte tenu des habitudes du temps.

Chaque officier avait droit à un semestre de congé tous les deux ans et il pouvait, en outre, demander un congé exceptionnel, qui lui était très généralement accordé, pour traiter ses affaires de famille ou pour convenances personnelles.

Si l’on ajoute à cela que nombre d’officiers figurant à l’effectif du régiment étaient détachés dans les places, les manufactures, les écoles, etc., on voit qu’il y avait beaucoup d’absents. [1]

A l’expérience, Vallière reconnut avoir été trop loin dans la voie de la fusion et dès 1729 on revint à des compagnies homogènes.

Chaque bataillon fut alors composé de deux compagnies de bombardiers, cinq de canonniers et une de sapeurs (chaque compagnie à 6 officiers et 70 hommes dont 36 « apprentis »). Les compagnies de mineurs (cinq, à 5 officiers et 50 hommes dont 22 apprentis) étaient détachées des bataillons, ainsi que les compagnies d’ouvriers (cinq, à 2 officiers et 40 hommes dont 8 apprentis).

L’uniforme de Royal artillerie avait été fixé en 1722 : habit bleu, doublé de rouge, boutons de cuivre, veste et culotte rouges. Quand, en 1729, les mineurs et ouvriers furent séparés des bataillons ils reçurent un uniforme particulier. Pour les mineurs, justaucorps bleu doublé de rouge, veste gris de fer ; pour les ouvriers, justaucorps gris de fer doublé de rouge, veste gris de fer.

Cette organisation demeura jusqu’en 1755 sans profondes modifications.

En 1747 les bataillons comptèrent dix compagnies en recevant une compagnie de bombardiers et une compagnie de canonniers supplémentaires.

C’est alors que l’effectif de Royal artillerie fut au plus haut, car les compagnies de canonniers et de bombardiers étaient à 100 hommes, celles de mineurs à 75 et celles d’ouvriers à 60. Au total 5 625 hommes.

Mais deux ans plus tard cet effectif fut ramené à 4400 hommes par réduction des effectifs de chaque compagnie.

La création du Corps royal de l’artillerie étant décidée, il fallait fondre dans ce corps les éléments hétérogènes qui le composaient.

La formation des officiers et l’instruction

Pour donner à ceux qui entraient dans la carrière une formation technique solide on créa auprès de chaque. bataillon une école d’artillerie.

L’école dispensait tous les matins une instruction théorique ou pratique : trois fois par semaine trois heures de théorie, trois fois par semaine cinq heures d’exercices pratiques.

Deux cadets par compagnie suivaient cette instruction ; des volontaires sans appointements pouvaient s’y joindre, ainsi que ceux des bas-officiers et des hommes de troupe qui le désiraient et que le commandement jugeait aptes.

Quant aux officiers, ils étaient astreints à suivre des cours, à présenter des mémoires, à exécuter des travaux se rapprochant le plus possible des conditions de la guerre, sans se limiter à une spécialité. Nul lieutenant ne pouvait être nommé capitaine en second, nul capitaine en second ne pouvait passer capitaine en premier sans avoir passé un examen le montrant capable de commander tous les « services ».

Des inspections régulières vérifiaient les connaissances des officiers, quelle que fût leur origine, et décidaient de leurs possibilités d’avancement.

Des mesures de transition furent adoptées pour les officiers déjà en service.

On assimila les grades des officiers de l’ancien Corps à ceux des régiments : l’officier pointeur devint sous-lieutenant, le commissaire extraordinaire lieutenant, le commissaire ordinaire capitaine, etc. On s’efforça ainsi de détruire toute distinction entre les officiers d’artillerie. Tous furent astreints à porter l’uniforme de Royal artillerie et tous reçurent les dénominations de grade utilisées dans les bataillons.

L’instruction de la troupe n’était pas négligée : les « apprentis » suivaient une longue formation, vérifiée par une inspection, avant de « passer artilleurs ».

Pour surveiller l’ensemble, deux vieux artilleurs, Camus des Touches et Vallière, furent nommés l’un directeur général, l’autre inspecteur général « des Écoles des bataillons attachés au service de l’artillerie ».

Avec ces titres différents ils jouèrent le même rôle, chacun dans la zone de responsabilité qui lui était impartie. Après la mort de Camus des Touches, Vallière joua ce rôle sur l’ensemble du territoire. Grâce à leur activité, à leur persévérance et à leur fermeté, en quelques années Royal artillerie devint un corps homogène et bien instruit.

La simplification des matériels

C’est seulement le 7 octobre 1732 que parut l’ordonnance qui institua ce qu’on a appelé le « système Vallière », partie la plus connue mais la moins réussie de son œuvre.

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Vallière y appliqua « son génie d’ordre et de simplification ». Il jeta les bases de l’unité dans le matériel en ne composant l’artillerie que d’un petit nombre de modèles de bouches à feu et en rejetant toute pièce qui différait du tracé indiqué.

Il ne retint que cinq calibres pour les canons (24, 16, 12, 8 et 4 livres), trois pour les mortiers (12, 10 et 8 pouces) et un pour les obusiers (8 pouces).

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Pour les canons, il élimina les pièces longues (coulevrines) parce que leur excès de poids et de longueur ne procurait à ses yeux aucun avantage. Il refusa les pièces courtes, estimant qu’elles étaient peu solides, qu’elles brisaient leur affût et que leur service était dangereux. [2]

On observe les limites du « système Vallière ».

Obnubilé par les enseignements des guerres précédentes, où les sièges tenaient une place prépondérante (la plupart des batailles en rase campagne étaient livrées à l’occasion de sièges que l’adversaire tentait de faire lever),

Vallière donnait une priorité marquée à la puissance sur la mobilité. Il n’attachait donc qu’une importance secondaire à l’artillerie de campagne.

D’une manière générale il se borna à simplifier et uniformiser les matériels existants, se refusant à toute innovation. C’est ainsi qu’il repoussa les suggestions faites dès 1722 par Camus des Touches sur l’amélioration des affûts (avant-train à timon et hautes roues, encastrement de route) et des différentes voitures, idées excellentes que reprendra Gribeauval.

Il refusa tout appareil de pointage. La mise en direction continua à se faire presque au petit bonheur quand, en raison de l’inclinaison du tube, la volée dissimulait l’objectif au pointeur.

Il maintint le chargement des pièces « à la lanterne » avec barils de poudre, bouchons et boulets séparés, malgré ses inconvénients, parce que, estimait-il, la lenteur de ce mode de chargement empêchait le gaspillage des munitions.

Il refusa les pièces « à la nouvelle invention » qui avaient été préconisées par Frézeau de la Frézelière dès 1680 : ces matériels avaient un poids d’environ moitié de ceux que retint Vallière [3] et, de ce fait, étaient plus mobiles.

Mortier de 8 pouces système Vallière.

Enfin, en ce qui concerne la construction du matériel, Vallière ne réglementa que la fabrication des bouches à feu. Celle des autres parties du matériel (affûts, voitures, attirails divers) resta variable d’une fonderie à l’autre.

Les parcs de Vallière comprenaient en moyenne 80% de canons de 4, 10% de canons de 8,5% de canons de 12 et 5% de canons de 16 ou de 24.

Pour que le canon de 4, base de l’artillerie de campagne, fût le plus puissant possible, il avait un poids de 1 150 livres. Il n’était donc pas très mobile. Vallière y voyait l’avantage de le rendre impropre au service de canon d’infanterie, formule très en vogue contre laquelle il s’élevait avec force, et avec raison à cette époque.

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L’œuvre de Vallière a été remarquable pour l’organisation et l’instruction ; elle a permis de former des personnels de grande qualité. Pour les matériels, à côté de simplifications et d’une uniformisation hautement désirables, à côté d’un début de normalisation des fabrications, elle n’était pas assez ouverte à l’évolution nécessaire, en particulier vers l’artillerie de la bataille.

Si Vallière a donné l’hégémonie à l’artillerie française malgré ses imperfections, ce ne fut que pour une dizaine d’années ; ce fut ensuite la Prusse qui eut l’artillerie dominante.

[1] A la fin du siècle, le Premier inspecteur général, Gribeauval, invité par le Secrétaire d’état à prendre une sanction contre un officier, décida de renvoyer ce dernier dans sa compagnie dont il était « parvenu à être absent depuis sept ou huit années ». Ce virtuose de l’absentéisme était Choderlos de Laclos. Celui-ci, à qui les Les liaisons dangereuses avaient valu notoriété et réprobation mêlées, venait de publier sans autorisation une critique iconoclaste de Vauban.

[2] Son fils écrira en 1774 : « Il conçut le projet si simple et si fécond d’une seule artillerie réduite à cinq calibres, depuis 4 livres jusqu’à 24, qui tous étaient propres à l’attaque et à la défense des places, et dont les trois premiers, combinés suivant les circonstances, l’étaient particulièrement pour la guerre de campagne. »

[3] donc de l’ordre de ceux qu’adoptera Gribeauval


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