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1- Les derniers Grands maîtres de l’artillerie au XVIIIè siècle
 

La mainmise progressive du pouvoir central sur les attributions du Grand maître de l’artillerie ne traduisait pas seulement l’appétit d’autorité de Louvois. Le ministre soutenait ainsi la volonté du monarque de réagir, par un pouvoir fort, contre l’expérience cruelle de sa jeunesse ballottée par la Fronde. Et puis Louis XIV aimait « son » artillerie, dont la voix tonnante symbolisait sa puissance.

En janvier 1673, pour 101 artilleurs désignés par le grand maître (alors le duc du Lude) il rétablit le vieux privilège des commensaux et domestiques de la Maison du roi qui avait été supprimé par Louis XIII en novembre 1640 et qui exemptait de la taille et des aides. Il ne manquait jamais de visiter l’artillerie lorsqu’il assistait à un siège ou à une bataille. Il manifesta l’importance qu’il lui accordait en donnant la grande maîtrise, en 1699, à son fils le mieux aimé, le duc du Maine.

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Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, Grand maître de l’artillerie de 1694 à 1736

Louis-Auguste de Bourbon (1670-1736), fils de Madame de Montespan, légitimé et nommé duc du Maine, colonel-général des Suisses et des Grisons à l’âge de quatre ans et gouverneur du Languedoc à onze, fut général des galères à dix-huit. Il était intelligent, sérieux, et le roi son père avait espéré pour lui une étincelante destinée ; mais ses campagnes ne le révélèrent pas comme chef de guerre.

Il abandonna sa charge de général des galères, reçut en 1694 la grande maîtrise avec les deux régiments affectés à l’artillerie et se consacra désormais aux travaux de gestion que comportait sa charge. Il n’avait plus, dans cette gestion, la grande initiative de ses prédécesseurs du temps jadis ; mais nul ne pouvait lui refuser la présentation de ses armements ; il restait le vérificateur de toutes les dépenses de l’artillerie, le gestionnaire de tous les matériels emmagasinés, le maître des techniques de fabrication, de réception et d’emploi des différentes composantes de l’arme ; et nul ne pouvait exercer une fonction dans l’artillerie sans tenir de lui un brevet de capacité et une commission pour cette fonction.

Il s’intéressait aux progrès techniques de l’artillerie. C’est sous son autorité que fut adopté le « système » de Vallière. Avec lui, les conditions de l’avancement prirent en grande considération les compétences particulières de ses officiers.

Il avait un vif souci de son personnel. Avant que les faveurs dont il avait bénéficié jusqu’à la mort de Louis XIV (1715) eussent provoqué contre lui une réaction qui était inévitable et qui lui enleva non pas la charge mais tout pouvoir réel, il obtint du Régent, le 19 février 1716, la signature de l’ordonnance qui ouvrait aux personnels de l’artillerie (des commissaires aux ouvriers) l’hôtel des Invalides qui, depuis quarante ans déjà, accueillait fantassins et cavaliers.

Le comte d’Eu, grand-maître de l’artillerie de 1736 à 1755

Le duc du Maine avait fait donner la survivance de la grande maîtrise à son second fils, le comte d’Eu (1701-1775), âgé de huit ans. Celui-ci commença par manifester dans diverses campagnes une réelle valeur militaire. Entré en jouissance de sa charge à la mort de son père, il continua à servir aux armées, mais comme lieutenant-général et non pas comme capitaine général de l’artillerie.

En 1755, le comte de Voyer d’Argenson, ministre depuis 1743, profitera de la mort du frère aîné du comte d’Eu pour faire une redistribution des charges et, sous ce prétexte, une réforme de structure. En échange de plusieurs grandes charges, Eu abandonnera l’artillerie, et n’y sera pas remplacé.

L’ordonnance du 8 décembre 1755 réglera la nouvelle organisation. Ainsi s’éteignit la grande maîtrise. Désormais nul autre que le roi ne fera plus fondre des bouches à feu portant ses armes, nul autre grand chef ne sera plus salué, à son arrivée, « par cinq volées de grosses pièces de canons ».

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Cependant que l’artillerie perdait ses attributions au bénéfice de l’administration centrale de la Guerre, son organisation avait été profondément modifiée, et d’abord en conséquence de l’édit royal du mois d’août 1703 pris à l’initiative de Chamillard, responsable à la fois de l’administration des finances et de celle de la guerre (depuis 1701). L’artillerie, la grande dépensière, avait dû montrer l’exemple de l’économie et de la rigueur, notamment pour son personnel. A cet effet, toutes les commissions délivrées par les rois et les grands maîtres depuis 1536 avaient été annulées. Les titulaires avaient été remboursés des sommes qu’ils avaient payées pour les obtenir. Le nombre des offices avait été sérieusement réduit, les suppressions les plus voyantes étant celles de la surintendance des poudres et salpêtres (créée en 1634) et celle de l’office de garde général de l’artillerie (créé en 1536). Il faut dire que cet office appartenait, depuis 1687, à... Mademoiselle de Rambouillet qui, par testament, l’avait légué aux religieuses de Port-Royal.

Par l’édit de 1703,

  • Un directeur général avait été créé, chargé du matériel et des munitions, qui, sous les ordres concertés du ministre et du grand maître, examinait et visait tous les marchés et traités, suivait les stocks, les consommations, etc.
  • Auprès du grand maître, un secrétaire général avait été chargé des questions concernant le personnel : brevets, commissions, attaches, nominations, congés.
  • Cinq commissaires des ponts et travaux avaient été implantés à Strasbourg, Metz, Lille, Bayonne et Grenoble.
  • Un commissaire général des poudres et salpêtres, surveillant des salpêtriers et chargé de la gestion des produits emmagasinés, était assisté de cinq commissaires inspecteurs, résidant à Strasbourg, Metz, Douai, Lyon et Perpignan.
  • Un commissaire général des fontes, résidant à la fonderie de l’arsenal de Paris, avait pouvoir d’inspection sur tous les fondeurs.

Cet édit de 1703 avait été complété par ceux de mai et octobre 1704 qui avaient créé deux offices nouveaux de lieutenant-général de l’artillerie, portant leur total à dix, dont un à la disposition du grand maître et neuf à compétence régionale : Ile-de-France ; Haute-Meuse, Moselle et Sarre ; Flandres ; côtes septentrionales ; côtes occidentales ; Roussillon et Languedoc ; Dauphiné, Lyonnais et Provence ; Alsace ; Haute et Basse Bretagne.

En 1704, un bureau de l’artillerie, [1].

Les troupes, dont l’effectif avait beaucoup diminué, étaient difficilement recrutées et mal instruites. Les écoles « étaient tombées dans la négligence ». Les cadres des régiments, seuls responsables de la manœuvre des matériels, étaient mal formés. Ceux du Corps Royal affectaient de s’en distinguer en se consacrant à la partie technique de leur rôle. Ils se désintéressaient de la troupe et ne tenaient pas compte de l’expérience acquise par les officiers des régiments dans leurs campagnes.

Les matériels étaient très divers. Trois sortes de pièces (longues, moyennes et courtes) pour chaque calibre étaient construites soit en bronze soit en fonte de fer et selon des normes différentes d’une fonderie à l’autre. Il s’y ajoutait des canons légers « à la suédoise », des mortiers et des obusiers de constructions diverses et incertaines. La confusion était aussi grande dans les poudres, les projectiles et les voitures.

Chacun sentait la nécessité d’une remise en ordre. Les solutions les plus diverses, parfois contradictoires, étaient proposées. Il fallait décider. Or le Conseil de la guerre, créé par le Régent pour tenir le rôle qu’assumait le Secrétaire d’état, était composé de personnalités en général âgées. Le président en était le maréchal de Villars, et l’artilleur le lieutenant général de Saint-Hilaire, qui avait commandé l’artillerie au cours des dernières campagnes. Ce conseil discutait et ne décidait rien. Il fut supprimé en septembre 1718.

Le Grand Maître, le duc du Maine, subissait l’hostilité du Régent qui, à la suite d’une conspiration dans laquelle la duchesse s’était compromise, fit interner le duc pendant plus de deux ans (1718-1721). Ce fut Le Blanc, nommé Secrétaire d’état à la guerre en septembre 1718, qui assuma alors l’intérim de cette charge et eut donc toute la responsabilité de la réorganisation de l’artillerie. Il s’entoura des conseils des artilleurs les plus notoires. Le plus remarquable était Monsieur de Vallière, dont le nom est avec raison attaché à l’ensemble de ces réformes.

[1] Ancêtre de ce qui sera, deux siècles plus tard, le deuxième bureau (matériel) de la Direction de l’artillerie du ministère de la Guerre.] fut créé auprès du ministre, pour la fourniture des armes aux troupes (une fois livrées, ces armes ne dépendaient plus de l’artillerie), pour les marchés (notamment de poudres), pour la formation des équipages d’artillerie, les transports de l’intérieur vers les armées, les réparations ou constructions de bâtiments dans les arsenaux, etc., mais aussi pour les contributions levées sur les pays ennemis, qui constituaient l’essentiel des recettes de 1’« Extraordinaire des guerres ».

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Pendant les dernières guerres de Louis XIV , l’artillerie française, « principale victime de l’état misérable des ressources militaires, avait vu son personnel et son matériel tomber dans la misère et le désordre »[[Constat un peu exagéré de Brunet, dans son Histoire générale de l’artillerie (1842).


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