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3- L’emploi de l’artillerie au XVIIè siècle
 

L’emploi de l’artillerie

Au cours du XVIIe siècle, dans une Europe déchirée par les guerres, le roi de France, avec l’armée la plus puissante du temps, réussit à étendre raisonnablement son territoire et à faire son « pré carré » dans un continent parcellisé à l’extrême. La guerre de Trente Ans (1618-1648) conduisit ses armées au cœur de l’Europe, dans une guerre de mouvement à laquelle est attaché le nom de Turenne et pour laquelle l’artillerie était encore lourde et peu mobile.

Après la Fronde, la guerre fut surtout un enchaînement ininterrompu de sièges, menés ou subis, Où le canon avait le rôle décisif. Le facteur « obsidional » pouvait accélérer la chute des villes assiégées. On continuait donc à provoquer des incendies avec des « boulets rouges », lancés surtout la nuit avec des piéces légères qu’on repliait à la pointe du jour. Et puis un rôle grandissant était joué par les bombes explosives, donc par leurs engins de lancement, mortiers et obusiers.

En raison de l’évolution imposée par l’artillerie, la fortification se perfectionnait, lentement, sans cesse en cours de travaux, en retard d’un équipement ou d’un armement. Ses murailles, ses bastions, ses casemates, ses boulevards... exigeaient un commandement de qualité, des effectifs, des armements, des réserves de munitions et de poudres, de vivres, de fourrages, d’eau même. Or, comme chacun cherchait à assurer sa défense, le nombre des forteresses entretenues dans le royaume était devenu très grand. En 1705, on en comptait 297 : 119 villes fortes, 34 citadelles, 58 forts, 57 châteaux ou fortins, 29 redoutes.

Vauban réclamait le démantèlement ou, au moins, l’abandon de 110 de ces forteresses, car la défense des fortifications demandait de trop gros moyens.

En 1680, un commissaire d’artillerie préconisait, pour une place tenue par environ 5 000 hommes : 120 canonniers spécialisés, 70 canons de 8 et de 4, 20 mortiers et pierriers, 60 arquebuses à croc, 6 000 mousquets, 1 000 fusils, 800 mousquetons ou pistolets et 250 000 livres de poudre.

A cette époque, la guerre de siège est devenue une science et le siège demande un bon chef d’orchestre. Dans l’esprit des dispositions que prenaient déjà les frères Bureau, hommes et matériels se rassemblent, avant la mise en batterie, dans un parc voisin de la ville assiégée, où restent conservés et protégés, pendant le siège, chariots et charrettes, pontons et haquets, munitions et poudres, et où sont installés les ateliers de réparation et d’entretien. Un commissaire d’artillerie en est responsable et reçoit des troupes pour le défendre. Il en assure la gestion avec soin ; car l’administration royale demande des comptes.

Les feux des bastions et autres aménagements réalisés en avant des remparts pour éloigner l’artillerie assiégeante rendent l’approche difficile et dangereuse. Or cette artillerie ne peut être efficace que si elle est proche des remparts. La technique de l’approche est maintenant au point. Sous la direction des ingénieurs, on creuse des boyaux à tracé « en crémaillère » (pour éviter les tirs d’enfilade) menant à une tranchée parallèle au rempart, la « parallèle », qui reliera les batteries assiégeantes. C’est de cette « parallèle », ou d’une analogue encore plus avancée, que les troupes partiront pour l’assaut lorsque la destruction des défenses et la démoralisation des assiégés seront suffisantes.

Un commissaire provincial décide de l’emplacement exact des bouches à feu et de leur protection : gabions, terrassements, orientation de la plate-forme, dépôt pour conserver la poudre, aménagement des accès. Il tient compte du calibre et de la portée des matériels, de la mission et des tirs qu’elle impose : « en brèche », « à la bricole », « à toute volée ». Il y a toujours urgence car, dès que les travaux commencent, les troupes veulent entendre le canon ; il les protège. Or, une batterie sérieuse exige souvent une nuit et un jour de travail pour être en mesure de tirer malgré la contre-batterie. La mise en place de l’artillerie est une phase de grande vulnérabilité. L’assiégé, qui l’observe, dirige contre elle ses feux et ses sorties. Le risque est ensuite moindre ; mais comme la contre-batterie est incessante le danger n’est pas négligeable, surtout pour les imprudents.

Que de généraux de toutes armes sont arrivés à cheval pour visiter les batteries et, trahis par leur entourage empanaché, ont été victimes de leur imprudence ! Les artilleurs, eux, couraient trop de risques pour ne pas en être conscients. Racine, dans une lettre expédiée du camp royal assiégeant Namur (1692), racontait à Boileau cet incident qu’il avait « ouï conter du roi même » : « Un soldat du régiment des fusiliers, qui travaillait à la tranchée, y avait apporté un gabion ; un coup de canon vint, qui emporta son gabion ; aussitôt il alla en poser à la même place un autre, qui fut sur le champ emporté par un autre coup de canon. Le soldat, sans rien dire, en prit un troisième, et l’alla poser ; un troisième coup de canon emporta ce troisième gabion. Alors le soldat rebuté se tint au repos ; mais son officier lui commanda de ne point laisser cet endroit sans gabion. Le soldat dit : J’irai, mais j’y serai tué. Il y alla et, posant son quatrième gabion, eut le bras fracassé d’un coup de canon. Il revint, soutenant son bras pendant avec l’autre bras, et se contenta de dire à son officier : Je l’avais bien dit. Il fallut lui couper le bras qui ne tenait presqu’à rien. Il souffrit cela sans desserrer les dents, et, après l’opération, dit froidement : Je suis donc hors d’état de travailler : c’est maintenant au roi à me nourrir. »

Les consommations de munitions, qui apparaissent dans les comptes précis de l’artillerie, étaient importantes, comme le montre ce tableau de deux sièges menés avec succès par Vauban.

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La durée d’un siège était très variable. Il avait suffi de neuf jours, aux troupes enflammées par la présence du roi, pour s’emparer de la solide cité de Lille. En 1644, La Mothe, en Barrois, résista si bien (sept mois) avant de se rendre au marquis de Villeroi, que Mazarin exaspéré fit raser la ville.

L’intervention d’une armée de secours pouvait obliger l’assaillant à lever son siège. Il en résultait des batailles dont certaines sont mieux inscrites, dans l’Histoire, que les sièges qui les ont provoquées, notam- ment Fleurus (1690) pour le siège de Charleroi, Malplaquet (1709) pour celui de Mons, Denain (1712) pour celui de Landrecies. Ces batailles étaient difficiles pour l’assiégeant. Il manquait souvent de canons, car ses moyens de feu engagés contre la fortification ne pouvaient que difficilement en être dégagés. De plus, tout en menant la bataille, il devait protéger son parc d’artillerie, ce qui pouvait être fort gênant.

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Un siège : Besançon (1674)

La Franche-Comté, conquise au cours de la guerre de Dévolution, avait été restituée au bout de trois mois à l’Espagne par le traité d’Aix-la-Chapelle (1668). Six ans après, la guerre reprenant, Louis XIV décide de conduire lui-même la conquête définitive de ce pays.

L’investissement de Besançon commence à la fin d’avril 1674.

La défense est dirigée par le prince de Vaudémont, qui est arrivé avec ses hommes et a mobilisé tou-tes les forces disponibles. Les religieux, avec leur cerveau plus délié, sont affectés à l’artillerie.

La vieille cité est enveloppée par une boucle du Doubs dont l’ouverture, au sud-est, est fermée par la citadelle. Mais les moyens de feux de la défense sont maigres : 9 canons, au maximum de calibre 12. Des murailles de 5 à 6 mètres de haut, de moins d’un mètre d’épaisseur et médiocrement entretenues, cernent la vieille ville. La ville nouvelle, qui s’est développée sur l’autre rive (au nord-ouest), a une fortification insuffisante.

Vauban a obtenu « une grande artillerie » : 36 pièces de 12 et 24, des pièces de 8 et des mortiers. Les charrois ont été difficiles sur les rares chemins inondés par les pluies, le long desquels les paysans avaient fait le vide, ne laissant ni vivres ni fourrage. Mais on est là, avec Vauban.

Le roi arrive le 2 mai au camp, avec de nombreux maréchaux et, bien entendu, le comte du Lude, grand maître de l’artillerie.

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Pendant l’occupation française de 1688, Vauban avait étudié les fortifications de Besançon. Il reconnaît les lieux.

C’est lui qui décide du dispositif d’attaque, du programme des travaux et des zones où les lieutenants du grand maître placeront les batteries.

L’artillerie est protégée par le tout neuf régiment des fusiliers du roi, qui aide au service des pièces.

Le parc de cette artillerie est installé sur la rive gauche, à 3 kilomètres environ au sud de la ville, alors que les batteries sont sur la rive droite ; mais la rivière donne ainsi à ce parc une protection immédiate contre une menace venant du nord, cependant que Turenne, descendu de Lorraine jusqu’à Pont-de-Roide, assure la protection éloignée.

L’attaque est prévue sur la face sud-ouest de la vieille ville, et les travaux d’approche, commencés dans la nuit du 28 au 29 avril, se poursuivent malgré les intempéries. Le roi les contrôle quotidiennement, courant des risques dont Vauban se préoccupe, à juste titre puisque, le 5 mai au matin, un de ses pages a un bras emporté à quelques pas de lui.

L’artillerie de la défense, dirigée par un père capucin, est remarquablement active. Au moment de l’assaut c’est elle qui causera aux forces françaises les pertes les plus fortes.

Du côté français, une batterie (6 pièces) a été mise en place en deux jours sur les hauteurs de Chaudanne, à l’ouest de la citadelle. Le 1er mai, à 6 heures, elle a commencé à tirer en brèche sur la face sud de la muraille. Successivement 5 autres batteries - 34 pièces au total - entrent en action, à partir du 6 mai, pour poursuivre cette destruction avec plus de 20 000 boulets. Dès le 10 mai la muraille, en ce point, n’est plus un obstacle ; mais les pluies ont redoublé, le Doubs a gonflé et les moyens prévus pour le passage de la rivière apparaissent insuffisants.

Cet objectif est alors abandonné et l’effort est reporté sur un saillant de la fortification de la ville nouvelle. Là, 3 nouvelles batteries (16 pièces) se déchaînent entre le 10 et le 13 mai. Le 14 mai, ce saillant est enlevé. Les autorités civiles, pour éviter le sac de la cité, parlementent.

Le 15, Besançon est occupée par les forces royales.

Il reste la citadelle. Huit pièces sont amenées rapidement devant cet objectif, en renforcement des huit déjà installées sur les hauteurs de l’est, de Brégille. Le bombardement se poursuit du 16 au 21 mai. Lorsque tous leurs abris sont écrasés, lorsqu’ils n’ont plus d’eau, les défenseurs cèdent. Selon un rapport de Louvois à son père, « tout le terrain de la citadelle était encombré de bras et de jambes ». La capitulation accorde à la garnison l’honneur de sortir, tambour battant, avec armes et bagages, mèches allumées, notamment ce qui reste de l’artillerie : 2 canons et 2 mortiers.

Selon la coutume, le Grand maître de l’artillerie négocie alors avec les représentants de la ville le montant de « l’impôt des cloches ». Ce sera 6000 écus.

Et la Franche-Comté restera au roi de France.

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Pour plus de détails sur cette bataille, voir cet article.


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