L’organisation de l’Artillerie > Tome B- Approches détaillées > 3- Organisation du XVIIè siècle, avec les grands maîtres de l’artillerie >
2- Les avancées de l’artillerie du Roi soleil
 

Création des premiers régimentses régiments : fusiliers et bombardiers

Engagées par Louvois, les premières réformes importantes de ce qui deviendra, plus tard, l’arme et le service de l’artillerie, furent faites avec les ducs du Lude et d’ Humières, avec leurs lieutenants-généraux dont les plus célèbres furent Frézeau de la Frézelière, du Metz, Saint-Hilaire et Vigny.

En attendant, les Suisses, gardiens traditionnels des canons en opérations, étaient de plus en plus utilisés pour la manœuvre et le service des pièces, « l’exécution du canon » comme on disait alors.

En 1668, le duc de Mazarin essaya de faire, avec des « canonniers sédentaires », une troupe intégrée à un équipage de campagne. Ce fut un échec : ces canonniers ne voulaient pas quitter la cité où ils avaient leur activité principale. Mais l’idée du duc de Mazarin allait conduire à changer la nature même de l’artillerie.

Une décision royale du 4 février 1671 créa un régiment des fusiliers du roi, destiné à la garde, à la réparation et aux travaux de l’artillerie en campagne. Ce régiment se forma à Lille.

Il se composait de quatre compagnies de cent hommes.

  • La première compagnie était formée des éléments disponibles de la compagnie du grand maître, employée, en temps de paix, au service et à la garde de l’arsenal de Paris. Complétée par des fantassins appartenant à un corps de métier utile à l’artillerie, elle demeurait sous le commandement direct du grand maître.
  • La deuxième compagnie groupait des hommes propres aux travaux de tranchée et de sape, les « sapeurs ».
  • Les troisième et quatrième compagnies réunissaient des ouvriers en fer et en bois capables aussi bien de réparer les matériels de tir et de charroi que de faire des ponts. Ces trois dernières compagnies furent recrutées surtout dans l’infanterie des places de Flandres et de Picardie.

Ce régiment, qui assurerait la garde et la réparation des canons, aiderait à leur mise en œuvre.

Six mois après (ordonnance du 20 août 1671) le régiment s’accrut de vingt-deux compagnies de cinquante fusiliers pour « l’exécution » des bouches à feu. Il forma ainsi deux bataillons. On préparait alors la guerre de Hollande.

En 1677, quatre nouveaux bataillons de quinze compagnies furent créés, et les réorganisations, dans cette période de guerres et de paix se poursuivirent : 1679, 1689, 1691.

Les fusiliers du roi furent équipés de l’arme portative la plus moderne, le mousquet à fusil (ou [fusil), plus léger que le mousquet à mèche de l’infanterie ordinaire [1]. De ce privilège ils tiraient leur nom.

Pour respecter la tradition, le régiment avait rang, d’après sa date de création, dans l’ordre de bataille des régiments de l’infanterie : LXIV (soit 64).

Pour l’encadrement, les officiers furent cherchés non dans le personnel des services de la grande maîtrise, qui restait en place, mais dans les troupes royales, et d’abord dans le régiment du roi. Ce ne fut pas sans inconvénients. La formation et les habitudes de ces officiers les portaient à faire le service ordinaire de l’infanterie et à négliger l’instruction d’artillerie qu’ils connaissaient moins bien. Lorsque, à son tour, le régiment participait (comme tous les autres) au service aux tranchées, il avait tendance à ne laisser que de faibles détachements aux batteries. Dans la bataille, il emmenait les meilleurs éléments en ligne, là où était alors la gloire. Il mettait les autres aux canons. Enfin, les officiers du régiment abandonnaient trop facilement leurs hommes aux commissaires de l’artillerie, et ceux-ci, n’étant pas leurs officiers, ne se faisaient obéir qu’avec peine.

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Cette expérience servit pour la seconde création de Louvois, celle du régiment royal des bombardiers (28 août 1684), « destiné pour exécuter les mortiers et les pièces dans l’attaque et dans la défense des places ». Les effectifs nécessaires furent encore prélevés sur l’infanterie ; mais, cette fois, le régiment fut constitué autour des deux compagnies de bombardiers existantes (Vigny et Camelin), et d’abord avec celle que M. de Vigny avait levée dès 1675 pour le service des mortiers. L’état d’esprit y fut ainsi, dès l’origine, très « artilleur ». Le régiment, formé à douze compagnies, en eut quinze deux ans après. M. de Vigny en fut lieutenant-colonel tout en restant capitaine de la première compagnie. En 1688, il reçut rang de colonel d’infanterie, et en 1706, le régiment eut un deuxième bataillon (treize compagnies).

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Le Grand maître, on l’a vu, fut commissionné colonel-lieutenant des deux régiments de l’artillerie, le roi en étant le colonel-général, donc le propriétaire.

La faveur dont ces régiments de l’artillerie jouissaient auprès du roi se traduisit non seulement par l’attribution du fusil, mais aussi par celle d’un uniforme distinctif plus beau que celui des autres formations d’infanterie [2] : habit blanc avec parements et doublure bleus ; culotte, veste, bas et collet rouges, boutons en métal doré. Les drapeaux étaient du régiment du roi, mais le vert et le rouge avaient des reflets changeants, de nuance aurore...

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Lorsque, après la paix de Nimègue, le régiment des fusiliers fut envoyé à Douai, un de ses six bataillons fut supprimé pour créer la première école de l’artillerie de terre (mai 1679). Soixante « commissaires extraordinaires » et « officiers pointeurs » allaient y être instruits pendant sept mois sous la direction d’officiers « ordinaires » de l’artillerie et d’un maître de mathématiques. Les cadets des bataillons pouvaient profiter des cours. L’école suivit ensuite le régiment dans ses garnisons successives : Lille, Metz et Strasbourg.

Des compagnies de cadets furent établies dans d’autres places auprès des bataillons d’artillerie. On en sortait sous-lieutenant. A partir de 1688, la guerre de la ligue d’Augsbourg et les campagnes qui suivirent rendirent précaire l’existence des écoles de l’artillerie ; mais Louvois sut toujours tirer de l’« extraordinaire des guerres » les fonds nécessaires à leur fonctionnement.

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L’ordonnance du 15 avril 1693 (celle qui transforma le régiment des fusiliers du roi en régiment royal de l’artillerie) créa des écoles permanentes. Une direction technique chargée de ces écoles fut confiée en 1720 à deux maréchaux de camp issus de l’artillerie, Camus des Touches [3], inspecteur général, et Vallière, directeur, qui restera seul à partir de 1726 et a laissé un nom dans l’artillerie.

Les officiers des régiments de fusiliers et de bombardiers continuaient à être inscrits au tableau de l’infanterie. Leurs grades (lieutenant-colonel, major, capitaine, lieutenant, sous-lieutenant ou enseigne) étaient différents de ceux des officiers de l’artillerie qui, eux, continuaient à être recrutés, gérés et commandés par le grand maître.

Pour supprimer les difficultés, nombreuses, qui en résultaient, une ordonnance du 13 décembre 1686 fixa une équivalence des grades :

  • lieutenant-colonel et commissaire provincial,
  • capitaine et commissaire ordinaire,
  • lieutenant et commissaire extraordinaire.

Mais, quels que fussent les grades, pour l’emploi les officiers de la troupe devaient obéir aux officiers de l’artillerie commandant aux armées.

Malgré ces dispositions, les fusiliers du roi restaient dans le sillage de l’infanterie et avaient de la peine à se soumettre aux exigences de la technique. Alors, le roi décida de transformer les fusiliers en régiment royal de l’artillerie par une ordonnance du 15 avril 1693, dont le texte dénote l’esprit de la réforme .

Le roi ayant appris que les officiers de ce régiment « mis sur pied pour servir l’artillerie » ont tendance à « marcher et camper avec les autres troupes », c’est-à-dire avec les régiments d’infanterie ordinaires, ordonne « que le dit régiment des fusiliers sera dorénavant appelé le régiment royal de l’artillerie, que les bataillons dudit régiment marcheront et camperont toujours avec l’artillerie de l’armée où ils serviront, qu’ils n’y seront jamais mis en ligne, et que le commandant et tous les autres officiers du régiment obéiront à celui qui sera préposé pour commander l’artillerie, quelque charge qu’il puisse avoir dans l’artillerie  ».

Mais en même temps il décida de faire :

  • du lieutenant-colonel du régiment (qui commandait ce régiment et avait rang de colonel d’infanterie), un « lieutenant de l’artillerie »,
  • des six premiers capitaines, six « commissaires provinciaux »,
  • du major et des autres capitaines, des « commissaires ordinaires »,
  • des sous-lieutenants et enseignes, des « commissaires »
  • et des aides-majors, des « lieutenants, extraordinaires... ».

Si Louvois avait encore été là, la lettre de l’ordonnance aurait été bien suivie. Mais le marquis de Barbezieux, son second fils, qui lui avait succédé au ministère, était loin d’avoir son autorité. Les bataillons de Royal Artillerie engagés en 1693, 1694 et 1695 eurent encore de la peine à devenir de vrais « artilleurs ». Alors, en remplaçant le duc d’Humières par son fils à la grande maîtrise, Louis XIV précisa ses ordres pour Royal Artillerie (25 novembre 1695) : marche et campement toujours avec l’artillerie, « jamais en ligne... aucune garde de tranchée », ...aucun service avec le reste de l’infanterie si ce n’est dans les places où ils se trouveront en garnison ».

Quant à celui qui commandera l’artillerie, que tous les officiers du régiment lui obéissent, « et qu’il lui soit permis de se mettre à la tête dudit régiment et de chacun desdits bataillons, toutes les fois qu’il le jugera à propos... ».

L’esprit de ces ordres du roi s’étendait à toutes les troupes commandées pour escorter l’artillerie. « Sa Majesté veut et entend qu’à l’avenir, les colonels, mestres de camp, lieutenants-colonels, capitaines et autres officiers de ses troupes d’infanterie, de cavalerie et de dragons, qui seront commandés pour escorter l’artillerie, reconnaissent et fassent tout ce qui leur sera ordonné par l’officier de ladite artillerie qui la commandera, telle charge qu’il y puisse avoir [4] , sans y apporter aucune difficulté, sous peine de désobéissance. »

Ces troupes consacrées à l’artillerie à la fin de cette année 1695 faisaient toujours partie de l’infanterie, mais elles commençaient à s’en détacher. Elles comprenaient :

  • Au Royal Artillerie : 6 bataillons inégaux comprenant, au total, 4 compagnies d’ouvriers à 110 hommes, 18 compagnies de canonniers et 64 compagnies de fusiliers à 55 hommes, l’ordre ci-dessus des compagnies étant de préséance décroissante. Aux armées, les ouvriers assuraient la réparation et l’entretien du matériel ainsi que les travaux destinés à faciliter les opérations (établissement des batteries, ponts, etc.). Les canonniers assuraient la manœuvre des pièces. Les compagnies de fusiliers fournissaient des auxiliaires pour toutes les tâches.
  • Au Royal Bombardiers : 10 compagnies de 55 hommes.
  • Enfin, des compagnies de mineurs, à effectifs variant de 60 à 120 hommes. La première avait été créée après la paix de Nimègue, en 1679, à partir des éléments spécialisés existants, avec, à sa tête, un ingénieur, le sieur Goulon, plus tard, M. de Vallière, qui devait faire son chemin dans l’Arme.

Une deuxième compagnie fut créée en 1695 sous la pression des besoins de la guerre de siège, puis une troisième en 1705.

La solde des troupes et, dans une mesure moindre, celle des officiers respectaient la préséance des catégories de compagnies : la solde d’un ouvrier était le double de celle d’un fusilier ; celle d’un canonnier était intermédiaire. Il s’y ajoutait un système de gratifications (pouvant atteindre la solde de 10 hommes) pour pousser les commandants de compagnie à entretenir des effectifs pleins.

L’auteur de l’Ecole de Mars, M. de Guignard, écrira, vingt-cinq ans plus tard : « Cet appât acheva de détruire l’ancienne délicatesse ; les plus qualifiés n’eurent plus aucune répugnance à devenir capitaine de forgerons, de charpentiers, etc., ce qui aurait paru singulier dans un autre temps, faute de faire attention que tout ce qui est du métier de la guerre fait honneur, sous quelque titre que ce soit. »

[1] Le fusil ne fut donné à l’ensemble de l’infanterie qu’en 1701.

[2] Depuis 1670 Louvois avait imposé l’habillement uniforme dans un même régiment.

[3] On l’appelait Destouches-canon. De la liaison de cet artilleur avec Mme de Tencin naquit un théoricien de l’artillerie, membre de l’Académie des sciences à vingt-trois ans, plus connu pour ses idées philosophiques, d’Alembert.

[4] C’est-à-dire : quel que soit le grade de cet artilleur.


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