Guy de Lauzières avait été mis par Charles VIII le 21 avril 1493 à la tête de l’artillerie du roi. Pas plus que le chevalier Galiot, il n’était de très grande naissance. Il avait été formé au service de Louis XI, successivement comme conseiller, écuyer etc. A la mort du souverain, il avait reçu la sénéchaussée d’Armagnac et Quercy. Il dut s’en démettre lorsqu’il fut pourvu de la grande maîtrise qui imposait au bénéficiaire de résider dans le voisinage du roi. Il n’était artilleur ni de formation ni d’expérience ; mais, doué d’un sens très développé de l’organisation, il trouva, dans les maîtres provinciaux, d’excellents auxiliaires tels Jean de la Grange de Vielchastel (tué à Fornoue en 1495), Jacques de Silly de Longroy (tué devant Naples en 1501) et Busserade, qui allait lui succéder.
En 1494, envoyé à Gênes avec le Grand écuyer d’Urfé, pour réer la base d’opérations » des imminentes campagnes d’Italie, il y organisa le mémorable équipage d’artillerie qui allait faire le triomphal « voyage de Naples » : 13 000 hommes et 8 000 chevaux pour 140 canons et les nombreuses charrettes qui suivaient.
Maintenu dans sa charge par Louis XII, il la conserva jusqu’à sa mort en 1504.
Son nom doit être retenu comme celui du premier de ces puissants grands maîtres de l’artillerie qui, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, seront, au nom du roi, les chefs de l’ultima ratio des sièges et des batailles, en même temps que les maîtres de tout l’armement des armées du roi de France.
Paul de Busserade lui succéda. Bien que d’origine brabançonne, il servait depuis longtemps dans les armées du roi de France, où il avait remplacé, comme maître provincial de l’artillerie, Jean de La Grange qui venait d’être tué. Il avait, en bien des occasions, manifesté ses capacités en Italie, et Louis XII en fit son « grand maître et visiteur réformateur de l’artillerie » le 23 juin 1504. Pendant ses huit années de grande maîtrise on le vit moins au Louvre qu’aux armées d’au-delà des Monts. Il brisa une révolte de Milan en faisant tirer du haut du château son artillerie contre la ville, « au travers des maisons et des murs ». Il mit fin avec les mêmes moyens à la rébellion de Gênes (1507). Blessé par un boulet de canon au siège de Ravenne (1512), il en mourut et, dit Brantôme, « de dépit aussi de ne pas s’être trouvé à la belle bataille donnée à son nez deux jours après sa blessure ».
Le troisième Grand maître fut Jacques Richard de Genouillac, seigneur d’Assier (1465-1546), neveu de celui du même nom qui avait précédé Lauzières à la tête de l’artillerie française et dont il avait hérité le surnom Galiot. Page, écuyer, puis grand écuyer du dauphin (1492), sénéchal d’Armagnac (1493), favori de Charles VIII, il fut des campagnes de Naples (1503), des Flandres (1506), d’Agnadel (1509) et de Ravenne (1512). Désigné, le 26 mai 1512, par Louis XII pour succéder à Busserade, il ne connaissait guère de l’artillerie que son efficacité. Mais, remarquablement actif, il domina cette charge qu’il devait conserver trente-quatre ans, « pour entendre cet art aussi bien qu’homme de France » (Brantôme). Il eut d’excellents lieutenants « delà les Monts », parmi lesquels Antoine de La Fayette de Fontgibault (de 1512 à 1515), puis Jean de Pommereul du Plessis-Brion, tué en 1524 au siège d’Arona (lac Majeur). C’est lui qui fit franchir les Alpes en 1515 par les 72 pièces avec lesquelles, comme on l’a vu, il fit pencher la balance du côté français à Marignan.
Comme, dans l’armée du roi de France, il était le seul à disposer de gens de métier, de charrois et d’une organisation financière permettant de diriger des travaux exceptionnels, il fut chargé d’installer près de Calais, pour l’entrevue avec Henri VIII d’Angleterre, le camp du Drap d’Or (1520).
Après Pavie, François Ier reconnut avoir été battu pour ne pas s’être assez confié aux canons de Galiot. Lorsqu’il revint de captivité, il ajouta, aux titres du grand maître celui de grand écuyer qui le mettait au rang des grands officiers de la couronne. Agé, Jacques de Genouillac continuait à parcourir la France, inspectant l’artillerie et la défense des places, dirigeant les achats de métaux et fonderie (il créa onze arsenaux), faisant établir le monopole du salpêtre, renforçant les armements maritimes (il mit en place des canonniers à bord des galères), tout en gouvernant ses provinces et administrant ses terres. Dans ses vieux jours, soucieux de son artillerie, il passait une partie de ses nuits à compter, contrôler, administrer. Son fils unique, François, qui le secondait avec le titre de maître et capitaine général de l’artillerie et à qui il espérait transmettre sa charge, fut tué à Cérisoles (1544), dernier de sa race.
Nommé gouverneur du Languedoc, Genouillac mourut, chargé d’ans, d’honneurs et de richesses.
Si la faveur avait aidé la fortune de Galiot de Genouillac, elle fut déterminante dans les débuts de la carrière de son successeur, Jean, seigneur de Taix. Brillant guerrier, « colonel général de l’infanterie française au-delà des Monts » (1543), il avait pris la meilleure part à la victoire de Cérisoles (1544). Des campagnes de Picardie et du Boulonnais sous les ordres du dauphin, il avait tiré une blessure et son élévation à l’état de colonel-général de l’infanterie française (1546). Le 21 janvier 1547, sans y avoir été autrement préparé, il avait été fait grand maître et colonel-général de l’artillerie. Mais, deux mois plus tard, François Ier mourait. Ce qu’une favorite, dit-on,avait fait, une autre favorite, Diane de Poitiers s’empressa de le défaire. Henri II le destitua. Guerrier dans l’âme, Jean de Taix continua à se battre et mourut, six ans plus tard, d’une arquebusade à la tête, au siège de Hesdin, sous les ordres du roi de Navarre.
Charles 1er de Cossé, comte de Brissac (1507-1563) lui succéda, par provisions du 11 avril 1547. Dès sa jeunesse, écuyer du dauphin, il avait montré ses qualités de chef au combat en Italie, avant d’aller se battre en Artois, en Picardie et en Boulonnais. Son accession à la grande maîtrise fut surtout la récompense donnée à un beau soldat. Avec conscience il se lança dans l’étude des mathématiques ; mais, maréchal de France, nommé gouverneur du Piémont (1550), il dut abandonner l’artillerie avant de l’avoir marquée d’initiatives notables, et sa vie ne fut plus qu’un combat.
Son successeur, Jean d’Estrées (1486-1571), page à la cour d’Anne de Bretagne, avait quitté la maison de la reine pour participer aux guerres d’Italie et aux campagnes qui suivirent. Capitaine de la Garde de Henri II en 1547, il succéda à Brissac en 1550 comme « maître et capitaine-général de l’artillerie ».
Il obtint en 1551 une prérogative nouvelle et capitale : la capacité de nommer aux offices vacants du personnel de l’artillerie. De plus, après la bataille de Saint-Quentin (1557), où l’armée française avait laissé prendre toute son artillerie, le Grand maître fut autorisé à avoir en permanence, comme le colonel-général de l’infanterie, deux « enseignes » de gens de pied attachées à sa personne pour la garde et la défense du quartier général de l’artillerie. Il fut nommé colonel et capitaine de ces deux enseignes qui ne dépendaient en rien du colonel-général de l’infanterie. Ce fut l’embryon lointain des troupes organiques de l’arme [1].
A partir de 1550, Jean d’Estrées participa à toutes les campagnes du roi. Très efficace dans le déploiement et la mise en œuvre de ses canons, il fut aussi un spécialiste de la guerre de siège. Il dirigea la fortification de Soissons et celle du Val d’Aisne. Au siège de Calais (1558), ses batteries (une de 9 canons et une de 15) permirent de réduire en une semaine la résistance anglaise ; et à Thionville il fit entendre avec succès « l’émerveillable tempête » de 35 canons.
François II et Charles IX confirmèrent dans sa charge et ses pouvoirs ce grand maître ouvert à tous les problèmes de l’artillerie. Huguenot, il resta parfaitement fidèle à son souverain, « menant » ses canons de siège en siège dans ces guerres intérieures où la France se ruinait. Il fit de son fils Antoine (qui était son lieutenant) son suppléant par commission (1-8-1559) ; mais la politique religieuse ne lui permit pas de passer sa charge à ce fils : elle alla à Armand de Gontaut-Biron.
Armand de Gontaut-Biron (1524-1592), un des trois barons du Périgord, était un grand capitaine et un fin diplomate. De sa première arquebusade, il avait gardé une claudication qui l’avait fait surnommer : le Boîteux. Bien qu’il eût une cuisse cassée en deux en deux endroits, un doigt de la main emporté et qu’il eût été cinq fois touché au corps, il garda une extraordinaire vitalité jusqu’au jour où un boulet lui emporta la tête.
Protestant mais fidèle au roi, cet homme de guerre exceptionnel eut un rôle capital dans les campagnes du Sud-Ouest. Maréchal de camp général en 1568, il fut chargé, en 1569, de la grande maîtrise de l’artillerie. Il la dirigea fort honorablement grâce à son autorité intelligente, à son expérience des champs de bataille et à ses deux lieutenants-généraux, Jean de Durfort et son fils Hermann.
C’est avec Armand de Gontaut qu’un édit royal de décembre 1572 transféra la juridiction de la grande maîtrise du château du Louvre à un arsenal proche de la Bastille, qui allait devenir « l’Arsenal ».
Maréchal de France, il dut abandonner l’artillerie (1578) lorsqu’il devint lieutenant-général d’une Guyenne qu’il allait défendre pendant trois ans contre le roi de Navarre avant de se rallier à lui après l’assassinat de Henri III (1589). Il fut tué d’un coup de fauconneau au siège d’Épernay dont il reconnaissait de trop près les défenses.
Un autre seigneur de grande naissance l’avait remplacé, en juillet 1578, à la grande maîtrise.
Philibert de La Guiche et de Chaumont (1541-1607). Cet homme de guerre, rallié au nouveau souverain en 1589, sut utiliser efficacement l’artillerie dans de nombreux engagements, notamment à la bataille d’Ivry avec 4 canons et 2 couleuvrines, et au siège de Rouen (1590-1591). Nommé gouverneur de Lyon et du Lyonnais en 1595, il dut abandonner l’artillerie.
François d’Epinay, seigneur de Saint-Luc (1554-1587), favori d’Henri III puis disgracié (1580), s’était rallié à Henri IV après l’assassinat d’Henri III. Il reçut, le 5 septembre 1596, la grande maîtrise de l’artillerie ; mais il fut tué, le 8 septembre 1597, au siège d’Amiens. Il observait la place entre deux gabions, et un boulet était passé... Les Observations militaires qu’il a laissées témoignent de l’importance que « le brave Saint-Luc » avait toujours accordée à l’Arme dont il ne fut que pour un an le grand maître.
La succession d’Épinay-Saint-Luc fut très disputée. Elle fut donnée à Antoine d’Estrées. Ce dernier, fils de l’ancien grand maître Jean d’Estrées, avait épousé la sœur du lieutenant-général de l’artillerie, Babou de la Bourdaisière. De ce mariage très artilleur était née la belle Gabrielle qui, élevée au château familial, y montait les chevaux de guerre de son père, tirait l’arquebuse et allumait elle-même les couleuvrines, mais est surtout connue comme « favorite » de Henri IV. C’est ainsi qu’Antoine d’Estrées obtint par sa fille cette grande maîtrise qu’il n’avait pu recevoir de son père. Certes, il connaissait la fonction puisqu’il en avait exercé, trente ans plus tôt, la suppléance ; mais il était presque octogénaire, et lorsque, en 1599, les affaires de Savoie exigèrent la mise sur pied d’un important équipage, Antoine d’Estrées ne fut pas en état de partir en campagne. Or, Gabrielle était morte. Il dut, contre 80 000 écus, abandonner sa charge, qui fut donnée à celui qui allait porter à son comble l’éclat de la grande maîtrise de l’artillerie, Maximilien de Béthune, futur marquis de Rosny et duc de Sully.
[1] On verra une de ces deux compagnies survivre aux réformes d’Henri IV et, en 1671, entrer dans la composition des fusiliers du roi.