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Yves LE PRIEUR
 

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Texte écrit d’après un récit de feu le colonel Cortès. Les illustrations proviennent de diverses sources présentes sur internet.

Yves LE PRIEUR

Yves, Paul, Gaston LE PRIEUR nait à Lorient le 28/3/1885. Très tôt, il est passionné par les récits de son père, officier de marine, et par les écrits de Jules Verne.

Entré à l’École Navale en 1902 (classé 5ème/80), il effectue son premier service à la mer en Extrême Orient, de 1905 à 1907, à bord du croiseur-cuirassé « Dupetit-Thouars », puis à bord du croiseur « d’Entrecasteaux ». C’est en 1907 qu’il découvre la plongée sous-marine, en allant dégager lui-même une aussière d’acier qui était enroulée autour d’une hélice et que le scaphandrier du bord n’arrivait pas à libérer.

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Dans sa famille, on a toujours été féru d’Orientalisme. Son grand-père Louis François Le Prieur est mort au cours d’une escale à Shanghai ; son père a combattu les Pavillons noirs et a participé à la conquête du Tonkin. Aussi, en 1908, Yves Le Prieur part-il au Japon pour en apprendre la langue ; le 5/12/1909, il est attaché comme élève-interprète à l’ambassade de France à Tokyo.

À la lecture d’une brochure des frères Voisin (envoyée par son père) intitulée « Tout le monde aviateur » et qui donne les plans d’un planeur, il s’enthousiasme et construit lui-même un appareil en bambou et en calicot, destiné à voler avec un homme à bord. Après bien des péripéties, son planeur baptisé « Yvonnette 2 » parvient à décoller [1], remorqué par une automobile.

Voulant améliorer sa forme physique, Le Prieur en profite pour apprendre le judo. Il s’en imprègne tellement qu’il en traduit les principes et les fait publier en France [2].

Rentré au pays, il intègre en 1911 l’École des officiers-canonniers à bord du croiseur « Pothuau ». C’est alors, selon ses propres termes « qu’une chose m’attire spécialement : le réglage du tir, dont les instruments me semblent particulièrement rustiques ». Il s’attache donc à imaginer un « conjugateur graphique » basé sur les propriétés d’allongement régulier de fils de caoutchouc et qu’il construit lui-même dans sa cabine du « Pothuau », au moyen d’un tournebroche de rôtisserie et d’un régulateur à boules. Ce dispositif se révèle très utile car il permet d’envoyer à tous les canons du bord des éléments de tir (distance et hausse) appropriés. Puis, en coopération avec les lieutenants de vaisseau Chack et de Boucheron, il imagine de centraliser les éléments d’observation et de tir dans un local attenant au poste de commandement du cuirassé.

Deux de ses conjugateurs sont fabriqués et sont montés sur le « Pothuau » et le « Jauréguiberry » qui, le 23/12/1913, coulent sans difficultés un vieux cuirassé, le « Hoche ». La Marine française dispose ainsi d’une avance certaine en matière de précision du tir. Les travaux de Le Prieur lui obtiennent un prix qui lui est décerné par l’Académie des Sciences.

En octobre 1914, Le Prieur embarque comme officier-canonnier sur le « France » pour une campagne dans l‘Adriatique, mais il est très vite rappelé à Paris pour diriger la fabrication d’autres conjugateurs qui équiperont notamment les navires « France », « Bretagne », « Lorraine » et « Jean Bart ». Il commence aussi à s’intéresser aux tirs aériens et antiaériens.

Pendant la durée de la Grande Guerre, Le Prieur multiplie ses inventions ; il est successivement affecté à l’état-major du Gouverneur militaire de Paris, à la défense du Camp retranché de Paris, enfin au Ministère des Inventions. Sa renommée s’étend et ses contributions sont sollicitées par les plus hautes autorités nationales du moment. Dès 1915, il fait venir à ses côtés un ingénieur des arts et métiers, avec qui il a travaillé sur le « Pothuau » où celui-ci était matelot-mécanicien : Auguste RICORDEL.

Leur collaboration va s’avérer des plus fructueuses. Le Prieur reçoit de nombreuses lettres de félicitations et de témoignages de satisfaction du ministre. Fait chevalier de la Légion d’honneur en février 1916, il est promu officier le 23 décembre 1918. La Croix de Guerre lui est attribuée.

Inventions au profit des aéronefs

En 1915, Le Prieur imagine un auto-correcteur de tir aérien, basé sur un système de girouette et de réglette-but. C’est un équipement qui, installé à bord d’un avion biplace, permet d’ajuster un adversaire volant transversalement et d’atteindre des appareils ennemis parfois situés jusqu’à 300 mètres de distance. D’abord entraînés à utiliser ce système à l’aérodrome de Cazaux, les équipages de l’escadrille de chasse 67, qui en est pourvue, sont envoyés défendre Verdun. Parmi les pilotes se trouve Jean Navarre qui, avec ce correcteur de tir, parvient à descendre quatre avions ennemis, le 3/4/1916.

Le Prieur imagine des « fusées [3] air-air ». Mises en service à partir du mois de mai 1916 et utilisées comme armement offensif à bord des avions de chasse, ces projectiles visent à détruire les dirigeables et les ballons d’observation allemands. En juin 1916, Le Prieur part pour le front afin d’en équiper des appareils français et anglais. Après quelques entraînements, l’adjudant Bloch obtient jusqu’à cinq victoires aériennes [4]. C’est dans cette période que Le Prieur fraternise avec quelques « As » de l’aviation militaire. Il est décoré de la Military Cross par le général anglais Trenchard.

Contribution au combat contre-aéronefs

En 1914, Le Prieur conçoit un conjugateur antiaérien pour l’autocanon de 75 et le fait fabriquer là où l’on fabrique déjà ses autres conjugateurs. Les essais ont lieu au Fort de Saint-Ouen (section du lieutenant Gassier) puis dans la région de Lens (9° section d’autocanons, capitaine Morel-Fatio). Malgré des résultats assez satisfaisants, les études et travaux en cours au Centre d’Arnouville-lès-Gonesse contrarient l’adoption de cet équipement.

En 1915, il propose un dispositif de tir antiaérien qui fournit les corrections de site et de dérive (i.e. de direction) en fonction de la vitesse et de la direction de l’aéronef. Un matériel analogue étant en cours de développement aux Ateliers de Puteaux, l’Inspection des études et expériences techniques de l’Artillerie n’y donne pas suite.

Il imagine un viseur très simple pour mitrailleuse contre-aéronef, remplaçant le cran de mire par une grille formée de cercles concentriques représentatifs de différentes vitesses d’avion et de rayons espacés de 20°. Il étudie au profit de ce type d’arme un affût antiaérien spécial (le trépied Le Prieur). Il invente un procédé permettant un emploi plus commode du télémètre d’altitude « Barr & Stroud ». En 1916, il fait réaliser le premier correcteur du type « réglette-but », auquel il adjoint bientôt un correcteur de vent.

Autres inventions, dans le domaine naval

Le Prieur met au point un conjugateur de tir destiné aux bâtiments de type Aviso, puis deux autres calculateurs qui portent son nom. Il imagine aussi des bombes « en guirlande » contre les sous-marins (mines marines reliées entre elles par un cordon et un par un flotteur).

En 1917, il passe le brevet de pilote d’hydravion, il invente un dispositif de pilotage sans visibilité.

Fin de la guerre et retour à la vie civile

Les hostilités terminées, Le Prieur invente un traceur de route à bille de conception particulièrement originale. Cependant, voulant poursuivre ses recherches dans un cadre plus large, il demande en octobre 1919 un congé sans solde qui lui est accordé [5].

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Après avoir passé quelques mois aux usines Breguet où il participe à la transformation de bombardiers B14 en avions de transport de fret et de blessés, il rejoint en juin 1920 - comme administrateur et ingénieur conseil - une jeune société dénommée « La Précision Moderne » et fondée par l’un des ses anciens camarades marins, Albert de Carsalade. Ricordel ne tarde pas à l’y rejoindre.

Suite au décès du général Laperrine survenu lors d’un vol transsaharien [6], Le Prieur met au point un appareil simple qui donne la dérive, par la visée continue sur un point quelconque du sol et report graphique. Baptisé « navigraphe » et amélioré, cet appareil est mis en service dans l’Aéropostale sous le nom de « Cinémo-dérivomètre Le Prieur » et le restera pendant plusieurs décennies. Au cours des années 20, la liste de ses inventions s’allonge encore, notamment au profit de la Marine, pour la sécurité des aéroplanes, en aérologie.

Le 7 décembre 1921, Le Prieur est élu à l’Académie de Marine.

En 1924, avec Ricordel, il reprend l’idée du correcteur à réglette pour équiper la mitrailleuse de 13,2 d’Hotschkiss, puis le canon de 25 mm. Ainsi nait le correcteur LPR que l’on utilisera également bien plus tard, en France, pour moderniser les canons de 40 Bofors issus de la 2ème Guerre mondiale qui dotent les Groupes divisionnaires. Le Prieur étudie différents sortes d’affûts d’armes antiaériennes : monotube et bitube de 25, quadritubes de 13,2. Divers appareils sortant de « La Précision Moderne » contribuent à la modernisation des canons de 75 antiaériens (modèle 1917-34) et de leur environnement.

« L’inventeur » du premier scaphandre autonome

En 1926, après avoir assisté à une démonstration que Maurice Fernez faisait de l’un de ses appareils de respiration subaquatique (alimenté en air de surface par une pompe), Le Prieur lui propose de remplacer la pompe et le tube respiratoire par une réserve d’air qui offrirait au plongeur l’autonomie et l’indépendance de la surface.

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Fernez accepte et trois ans plus tard, ils brevèteront ensemble le scaphandre Fernez-Le Prieur. L’apport de Le Prieur est un détendeur manuel (ou manodétendeur) qu’il a conçu et qui est couplé à une bouteille d’air comprimé portée sur la poitrine. Le scaphandre Le Prieur est homologué par la Marine nationale et les pompiers de Paris, en 1934 [7]. En 1938, Le Prieur imagine un masque de plongée en caoutchouc fixé au visage par des brides et fabrique ensuite le premier fusil à poudre, puis à ressort, pour la chasse sous-marine.

Il est rappelé sous les drapeaux en 1939 comme capitaine de frégate, et il est affecté au Centre d’études de Toulon ; il est démobilisé en 1940, non sans avoir travaillé sur des dispositifs d’éclatement à retardement de bombes lancées par avion volant bas.

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A l’occasion d’une course d’hydravions à laquelle il avait participé, Yves Le Prieur avait eu l’idée de faire construire, près de Saint-Raphaël, une petite villa baptisée « Le Prieuré » où il se retire jusqu’à la fin de ses jours, pratiquant autant qu’il le peut la plongée sous-marine, au sein du « Club des Scaphandres et de la Vie sous l’Eau » qu’il a créé.

En 1956, il publie un ouvrage intitulé « Premier de plongée ».

Il décède le 2 juin 1963, à Saint-Raphaël.

Comme on voit, Yves Le Prieur a été un inventeur génial, polyvalent, une sorte de « Géo-trouve-tout ».

Il fut contemporain du général Pagezy, le « père de la DCA ». On ne trouve pas trace de ses relations avec le Centre d’Arnouville-lès-Gonesse, mais il est fort probable que ce sont les passionnés de DCA qui s’y trouvaient qui l’incitèrent à mettre sa fertile imagination au service de la lutte contre-aéronefs menée depuis le sol.

Bien peu d’artilleurs antiaériens des années 1960-1980 savaient à qui on devait l’invention du correcteur « LPR » de leurs 40 Bofors. C’était à cet Yves Le Prieur et à Auguste Ricordel !

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[1] Un officier japonais, le lieutenant de vaisseau Aibarra, s’essaiera peu après aux commandes de l’appareil, s’envolera et tombera dans le lac de Shinobazu, exploit néanmoins célébré comme une « première » par toute la presse nippone.

[2] Judo - Manuel de Jiu-Jitsu de l’Ecole Kano à Tokyo, traduit par l’enseigne de vaisseau Le Prieur, éditions Berger-Levraut, 1911.

[3] Appelées fusées à leur époque, ces engins étaient en réalité des roquettes.

[4] Entre 1916 et 1917, deux bombardiers et une quarantaine de ballons seront détruits par des fusées Le Prieur.

[5] Il démissionnera de son grade en 1922.

[6] Le 5 mars 1920, l’avion que pilotait Laperrine a perdu sa route et, victime d’une panne de carburant, s’est posé en plein désert, à plus de 150 km de l’itinéraire prévu. Après plusieurs jours sans nourriture, Laperrine y est mort d’épuisement.

[7] Ce système n’a pas de régulateur à la demande et le débit de la bouteille doit être réglé à la main. C’est pourquoi, à la fin de la 2ème guerre mondiale, la Marine lui préférera le scaphandre à embout et détendeur Cousteau-Gagnan.


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