L’organisation de l’Artillerie > Tome B- Approches détaillées > 7- Organisation du XXème siècle > 26- Les guerres de décolonisation : Afrique du Nord 1954-1962 > Témoignage d’un ancien à de jeunes officiers avant leur départ en Algérie. >
3- LE TRAVAIL DES ARTILLEURS DANS L’APPUI DES OPERATIONS
 

LE TRAVAIL DES ARTILLEURS DANS L’APPUI DES OPÉRATIONS

Depuis 1960 les opérations de grande envergure, mettant en œuvre des moyens importants, tendent à diminuer. Elles restent cependant encore possibles dans certaines régions et notamment en arrière des barrages, en cas de réussite d’un franchissement important.

Il s’agit là de quelque chose de très classique : rechercher l’adversaire, le fixer puis le détruire.

Pendant la phase de recherche l’artilleur intervient peu, uniquement pour neutraliser les zones d’héliportage. Il ne reste cependant pas inactif pendant cette période. II prépare ses interventions ultérieures, qui devront être brutales et rapides. En raison de la fluidité de l’adversaire, il est recommandé aux observateurs avancés de prendre possession de leur terrain en lançant quelques coups de canon chaque fois qu’ils changent d’horizon. II leur faut également mettre en place les tirs d’arrêt nécessaires à la couverture du bouclage. Celui-ci est toujours léger et si une bande rebelle s’y attaque en force, elle peut le traverser sans peine s’il ne bénéficie pas d’un appui de feux valables.

Lorsqu’au cours de cette recherche on découvre l’adversaire, l’engagement se fait généralement à très courte distance, aussi l’artilleur est-il souvent gêné pour intervenir. C’est là que l’observateur avancé doit faire preuve de virtuosité. S’il a su se placer au bon endroit, s’il a pu prendre possession de son terrain, il fait souvent une œuvre très utile, en empêchant le fellagah de fuir. C’est pour cela qu’il nous faut des officiers d’artillerie virtuoses du tir. Il faut faire vite. Le terrain est souvent très coupé. On ne voit l’objectif que par intermittence. Il faut le saisir dès qu’il apparaît. En revanche on ne fera que très rarement de l’accompagnement immédiat à priori. Les emplacements des rebelles sont incertains et la zone de terrain à parcourir est très vaste. Il est arrivé cependant, dans l’Aurès, que l’on ait fait appel au 155mm pour préparer l’assaut d’une position où les rebelles étaient parfaitement bien retranchés au milieu des rochers.

A côté de ces rares opérations de grande envergure il y a toutes les petites opérations de nettoyage, la couverture des convois, l’appui des postes. Beaucoup de ces actions ont un caractère routinier, bien que la routine soit au contraire quelque chose à éviter absolument.

Ce travail est celui des pièces de position ou de batteries isolées mises spécialement en place. Les plans de feux sont préparés d’avance. Des Détachements d’Observation (D.O.) sont mis en place auprès des troupes de nettoyage ou de celles qui assurent la protection du convoi. Souvent un avion d’observation surveille le terrain. Parfois c’est un observateur d’artillerie en DJINN, notamment dans la région d’AIN SEFRA.

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Le nombre des observateurs d’artillerie n’est généralement pas suffisant pour qu’il y en ait partout où leur présence serait utile. C’est souvent un observateur d’une autre arme qui est amené à demander un tir et à l’observer, d’où l’emploi de la "grille d’objectif". II nous faut de bons lieutenants de tir gymnastiqués à son emploi. Mais en fin de compte, toute l’efficacité repose sur la valeur de l’observation. C’est pourquoi il faut que tous les officiers d’artillerie soient rompus à cet art de l’artilleur qui est de se placer au bon endroit pour juger les coups qui tombent, les déplacer pour les maintenir sur l’objectif, qui se déplace, et enfin traiter cet objectif avec la dose qui lui convient en fonction des résultats recherchés. Les observateurs ne s’entraînent jamais assez à étudier le terrain, à en deviner tous les pièges, à faire un croquis même sommaire pour enregistrer tous les tirs et permettre des ouvertures de feu immédiatement efficaces.

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Un cas particulier des opérations est la couverture des barrages.

Depuis qu’ils ont été créés les barrages ont beaucoup évolué, non seulement dans leur constitution mais aussi dans la tactique qui est appliquée. De linéaire qu’il était au début, surveillé par la "herse", le barrage tend de plus en plus à prendre l’allure d’une position défensive profonde où la combinaison des armes joue à plein.

Mais ce qu’il faut comprendre c’est que la bataille du barrage est très particulière. Jusqu’à présent, elle est presque essentiellement nocturne. Pendant la journée le fellagah ne fait rien, sauf là où le barrage est très proche de la frontière ; il se manifeste alors parfois par quelques harcèlements à l’arme automatique et depuis quelques temps au mortier. En revanche dès que la nuit tombe l’activité commence. Nos embuscades le long du barrage se mettent en place. Les observatoires et les postes de guetteurs sont renforcés. Les radars se mettent en recherche. Et alors pour tous c’est l’attente, longue, lassante, énervante.

Généralement la nuit s’écoule sans incidents notables. Et puis une nuit c’est le déchaînement des harcèlements sur une position plus ou moins grande du barrage, avec peut-être au milieu d’eux une ou plusieurs tentatives de franchissement. Alors tous les moyens entrent en action et l’artillerie n’est pas la dernière à intervenir. Sous quelle forme ? Quelques coups de canons seulement, s’il n’y a que présomption de présence rebelle à l’endroit indiqué, mais en revanche un tir nourri si cette présence est confirmée, soit par une action ennemie (coupure du réseau, bazookage, explosion de bengalore, tir d’arme automatique ou de mortier) soit parce que les fellagahs sont vus ou entendus, vus dans le faisceau d’un projecteur, dans la lumière diffuse de l’éclairage permanent du barrage, ou celle donnée par une mine éclairante , un obus éclairant ou la "luciole" de l’avion chargé de l’éclairage, ou bien encore, vus sur le scope d’un radar ; entendus soit directement, soit à l’aide de divers appareils d’écoute ou des radars légers d’infanterie. Les moyens de détection mis en œuvre sur le barrage sont nombreux. Pour obtenir une bonne coordination dans l’emploi des moyens de feux, des P.C. interarmes sont organisés à tous les échelons, parfois jusqu’au "tronçon" de barrage électrifié. Dans le cas d’une coupure pouvant laisser penser qu’il y a eu franchissement, l’artillerie intervient également sur les itinéraires probables des rebelles, pour les ralentir et permettre ainsi la mise en place en temps voulu du "bouclage" en arrière de la coupure.

Les artilleurs du barrage sont bien rodés. Il s’écoule souvent moins de deux minutes entre le déclenchement de l’incident et l’arrivée des premiers obus. Les troupes appuyées ont tellement confiance dans leur artillerie qu’elles n’hésitent pas à demander des tirs très rapprochés, quelquefois trop rapprochés, si rapprochés que des éclats coupent parfois des fils de la haie électrifiée.

Avant de terminer ce tour d’horizon sur l’activité de l’artilleur canonnier, il faut évoquer rapidement le problème de la coordination des feux aériens et de l’artillerie. On vous dit souvent que l’aviateur encombre le ciel, que lorsqu’il est là, il n’y en a plus que pour lui, et qu’alors l’artilleur doit se taire. Cela a été vrai et l’est encore quelquefois mais de plus en plus rarement. La coordination se fait maintenant dans de bien meilleures conditions. L’aviateur a compris qu’il n’était pas seul et que ses moyens ne sont pas toujours les mieux adaptés. L’artilleur de son côté a compris également que les aviateurs disposent de moyens qui peuvent compléter les siens. C’est finalement par la juxtaposition d’un Poste de Guidage Avancé (P.G.A.) et du Poste de Commandement (P.C.) de l’artilleur au P.C. de l’opération que le problème peut se résoudre dans de bonnes conditions car c’est au commandant de l’opération qu’il appartient de choisir en fonction de la situation le moyen de feux le mieux adapté à l’objectif.

Plus souvent c’est par entente directe entre l’aviateur et l’artilleur que cela se résout, et cela se résout bien quand on a la volonté de s’entendre. Si maintenant cela marche bien c’est parce que l’artilleur a repris sa place de canonnier et que les autres armes ont compris ce que l’artillerie pouvait faire à leur profit. C’est aussi parce que l’aviateur connaît mieux les possibilités de l’artillerie et même l’utilise à son profit. Sur le barrage Est, il arrive assez souvent qu’un avion en reconnaissance, s’étant fait tirer par de la Défense Contre Avions (D.C.A.) de petit calibre, appelle une batterie d’artillerie et la fait tirer sur l’emplacement de D.C.A. Inversement l’aviateur ne refuse jamais son concours.

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