L’artillerie des débuts qui, d’abord soutient les sièges et défend les places, puis génère l’artillerie de campagne pour se battre hors des sites fortifiés. Ce qui est vrai pour l’artillerie de terre, l’est également pour l’artillerie de mer qui défend les approches de ses ports puis arme ses bateaux (non étudiée ici). Avec le temps qui passe tout se diversifie pour s’adapter aux nouvelles menaces. En final, pour l’artillerie de terre, on arrive à distinguer l’artillerie sol-sol de l’artillerie sol-air. C’est donc dans cet ordre que seront étudiées les évolutions dans les modes de communication, pour les périodes les plus récentes. Mais au départ, avant cette césure, c’est l’artillerie sol-sol qui conduit les premières évolutions dans les moyens et les systèmes de communication.
Dans l’artillerie de campagne, où le commandement se fait à la voix (pour le tir) où à la trompette (pour les mouvements), l’évolution s’imposera lorsque les pièces tireront au-delà de l’horizon visible. L’observateur (le demandeur de tir) se dissociera des pièces pour se positionner vers l’endroit d’où il pourra acquérir au mieux les objectifs et diriger (réglages et déclenchement) les tirs. Encore faut-il qu’il ait des moyens adaptés pour cela. L’usage des signaux a permis ce dialogue tant que l’observateur se trouvait à vue directe des postes de commandement des pièces, mais avec l’allongement des portées il a fallu rapidement trouver autre chose moins contraignant. La téléphonie et la télégraphie où les signaux visuels sont remplacé par des signaux Morse apporteront progressivement une nette amélioration, permettant une communication rapide de point à point et d’autorité à autorité (sans opérateur intermédiaire) et ainsi retrouver l’avantage perdu avec le commandement direct à la voix, au niveau de la réactivité des tirs.
Pendant la 1ère Guerre mondiale, les senseurs sur le champ de bataille se multiplient, en étendant le spectre du champs visuel (et optique) à ceux du son et des lueurs. De véritable réseaux devront se constituer, reliés par des centraux téléphoniques. Les sections de Repérage vont s’ajouter aux observateurs de contact pour observer le champ de bataille et coopérer au renseignement d’artillerie qui se met en place, en conjuguant les travaux des géographes, des Repéreurs, des observateurs, de l’aviation d’observation et ses états-majors d’artillerie [1], et pouvoir ainsi constituer des plans de feux (voir le rôle des Groupes de Canevas du Tir).
C’est aussi avec ces moyens de communication qu’il sera possible de dialoguer entre les pièces les observatoires avancés (voir le cas concret du dialogue entre l’artillerie lourde grande puissance et les avions d’observation), puis de concentrer les trajectoires de plusieurs unités, pour un effet de masse optimum.
Mais entre la théorie et la pratique, il y a souvent des perturbations graves, comme la rupture des lignes téléphoniques particulièrement exposées aux effets du combat (cassures des fils par éclats d’obus, arrachement par la circulation des unités etc.) et aux intempéries.
Dans les fortifications l’usage du téléphone s’impose en premier pour relier les cellules obligatoirement cloisonnées. Il faut aussi communiquer entre les postes avancés et les forteresses.
Dans les casemates on utilise aussi des répétiteurs d’ordre (comme ceux utilisés à bord des bateaux) car le bruit du tir ne permet pas l’usage d’un téléphone.
Mais pour communiquer entre les éléments d’un secteur de défense, ou entre secteurs, on doit se replier sur d’autres moyens :
Aussitôt qu’apparait la téléphonie sans fil, on se dote d’appareils radio. C’est ce qui se met en place vers la fin la 1ère Guerre mondiale. Mais ceux-ci nécessitent d’avoir des antennes sur des points hauts, avec une discrétion mise à mal, au départ et surtout la nuit, par des arcs électriques [2]... Donc, la communication point à point met du temps à venir et la rupture entre communicants est à compenser par la mise en place d’une liaison téléphonique entre l’opérateur radio et son autorité d’emploi. Mais c’est grâce à la radio que l’artillerie lourde à grande puissance guidée par les observateurs à bord des avions, pourra intervenir efficacement sur les places fortes et les arrières de l’ennemi.
En 1939 : " Les artilleurs étaient bien entraînés à l’emploi de leurs moyens de transmission par fil et par radio. Malheureusement, les fils, rarement coupés en temps de paix, le sont constamment en temps de guerre. La radio, malgré ses imperfections, restait utilisable. Avec des messages courts, codés et d’utilisation immédiate, son écoute par l’ennemi n’était pas dangereuse. Mais les longues conversations par téléphone étaient trop souvent préférées." [3]
À partir de 1943
L’armée française de la reconquête va s’équiper de matériels américains,comme "ces matériels radio de l’avant qui vont transformer l’artillerie française".
"Cette artillerie française qui, à son grand regret, ne possédait que quelques postes radio trop délicats, a maintenant des postes à modulation d’amplitude portant à plusieurs dizaines de kilomètres, et surtout des postes de l’avant à modulation de fréquence préréglés par quartz, insensibles au cahots, faciles à utiliser et, pour l’époque, légers et peu encombrants. Les artilleurs français les utiliseront en postes portatifs ou, à demeure, sur les jeeps et les véhicules de commandement".
De 1945 à 2000 : "Depuis 1945, au rythme des progrès de l’électronique, les moyens de transmissions se sont perfectionnés. Deux générations sont apparues, l’une vers 1955 avec des matériels de conception américaine, l’autre vers 1975, œuvre de l’industrie française. Les progrès se traduisent par la miniaturisation, les facilités de mise en œuvre, l’exclusion de tout réglage, l’organisation en éléments interchangeables, l’augmentation du nombre des fréquences disponibles, enfin de l’emploi généralisé de la modulation de fréquence, avec des amplificateurs accroissant la portée.
L’électronique fournit aussi aux artilleurs, des calculateurs pour la préparation des tirs et pour les opérations topographiques. Les postes centraux de tir (P.C.T.) des groupes [4], installés autrefois dans des camions aménagés, évaluaient les éléments de tir obtenus par des méthodes graphiques. Le calculateur électronique de tir de l’artillerie de campagne (CETAC), mis en place dans un certain nombre de groupes dès 1966, prépare les tirs en utilisant les données des tables et prend à son compte les calculs topographiques".
Les poste radio utilisés à cette époque sont de la gamme ANGRC5 (et ses sous-composants : VRC 17etc.)
Puis on va plus loin en intégrant les calculateurs aux systèmes de transmissions par un système automatisé qui apporte en direct aux unités les éléments utiles à la manœuvre, au tir et au renseignement.
Dans l’artillerie nucléaire, avec le système Pluton, la chaîne de tir est totalement automatisé entre la niveau Corps d’armée, où se situe l’élément de commandement et de liaison (ECL) d’où vient la décision de tir, et les pièces, isolées, situées au plus prêt des contacts, qui exécutent le tir. Le cœur du système est constitué d’un réseau de calculateurs IRIS 35M qui irrigue les ECL, le PC du régiment (PCR, responsable de la manœuvre du régiment et de la logistique, poste de relais automatique des ordres venant de l’ECL)), les PC de batteries (PCB) pouvant engerber plusieurs pièces et leur retransmettre les ordres de l’ECL [5] à destination des pièces. A cette chaine "informatique" sont associés d’autres modes de transmission des ordres, avec des stations MA-MF sécurisée (cryptées) à longue portée, avec des télétypes capables de délivrer jusqu’aux pièces les ordres de tir sur ruban perforé, intégrables par des lecteurs installés sur les calculateurs de tous les niveaux de la chaîne [6]. Enfin un réseau hertzien couvre le dispositif du régiment pour pallier les ruptures possibles sur les réseaux MA et MF, lorsque les élongations sont trop importantes.
Dans l’artillerie classique, ce même calculateur (vriante IRIS 73) sera aussi le cœur du système ATILA (Automatisation du tir et des liaisons de l’artillerie). La place de ce calculateur est au niveau du PC régimentaire (PCR), d’où il irrigue les réseaux utiles à la manœuvre, au renseignement et au tir [7], avec comme points terminaux :
Ce système apporte beaucoup de souplesse dans le tir, avec notamment la réduction des temps de traitement, donc une meilleure réactivité aux sollicitations interarmes. Il faut ajouter la capacité nouvelle qu’il offre, avec d’autres avancées permises par les nouvelles technologies, au tir d’emblée (plus de réglages). Toutefois, le système centralisé au niveau du PC de régiment est encore très procédurier et rend le système inopérant, lorsque le PC est détruit [12]. Pour cette raion, on met en place au niveau des batteries (ultérieurement des sections) des mini-ordinateurs pour garder une capacité de calcul (tir et topographie) à ce niveau, voire à se contrôler quand ATILA fonctionne. Il s’agit du calculateur CADET.
Les moyens de transmissions associés sont des postes MF de la série 13. Le système ATILA est très dépendant de la nature (PP 13, VP 13, VP 213) de ces postes et devra être changé lorsque l’on passera aux postes de 4ème génération : les PR4G... Au niveau des points de sortie du régiment des périphériques sont mis en place pour entrer dans la bulle RITA qui se met en place progressivement dans les grandes unités : ce sont les PRA (poste radio abonnés)qui permettent un dialogue aisé (et parfois chiffré).
Le besoin d’un système nouveau se fait sentir avec l’arrivée des lance-roquettes multiples (LRM), qui permettra de prendre en compte les avantages, mais aussi les faiblesses du système ATILA. L’arrivée des micro-ordinateurs incite à se doter d’une réseau de micro-ordinateurs dotés chacun de capacités de calcul exploitables à chaque niveau et de réduire les échanges aux besoins de décision et de coordination dans les domaines du feu, du renseignement et de la logistique. On appelle ce système ATLAS-LRM. Ce système fait faire un bond extraordinaire dans l’automatisation des communications au sein des régiments, comme au niveau d’emploi et de compatibilité avec les armées alliées [13].
Alors que l’artillerie est à son deuxième système de commandement assisté par ordinateurs, les autres armes commencent à leur tour à exprimer leurs besoins en systèmes de commandement. En commençant par les États-majors de haut niveau qui ressentent un besoin pressant. Les expériences conduites (1ère armée et Corps d’armée) pour se doter de ces moyens n’ont pas été des plus heureuses. Le système SACRA mis au point par Thomson n’aboutira pas car le volume de ce système exige un nombre important de véhicules. Le S1G, plus léger, adopte les premiers mini-ordinateurs. Il ne sera qu’un système intérimaire au SICF. Car les premiers résultats peu probants, le système n’étant pas relié aux unités subordonnées [14].
L’arrivée des micro-ordinateurs, avec celle simultanée de nouvelles générations de moyens de transmissions, permet d’alléger les systèmes et d’envisager une plus large distribution au sein des cellules des états-majors puis vers les unités subordonnées.
Dans les PC, les micro-ordinateurs sont reliés entre-eux pour constituer un réseau local. Il est ainsi possible de consulter les tableaux de synthèse de chaque cellule et d’échanger les informations en temps réel. La communication vers les autres états-majors est possible au travers des liaisons RITA.
Le système informatique régimentaire (SIR) se met alors en place.
L’artillerie, comme les autres armes en sera équipée, mais elle doit compléter les capacités offertes par un système dédié où elle retrouvera les modules utiles à ses besoins particuliers. C’est dans ce contexte que le système ATLAS-CANON va apparaître, adapté à toutes les unités d’artillerie, que l’on a appelé le système , et qui sera aussi déployé dans le Régiment d’acquisition d’objectif et au Groupe Géographique.
(à suivre... en cours de rédaction)
Mon expérience personnelle s’arrêtant au début des années 2000, je vous livre en final l’appréciation sur l’état de numérisation de l’artillerie en 2008 par un lieutenant-colonel.
Mais la porte est ouverte pour porter un regard sur l’artillerie actuelle dont l’efficacité s’améliore et est vérifiée dans les conflits de maintenant.
[1] qui se constituent à tous les niveaux de commandement (divisions, corps d’armées, armées)
[2] Beaucoup de récits de guerre font part de ce problème. Il faut sortir les postes des postes de commandement pour ne pas se faire repérer et se faire bombarder (ce fut notamment le cas aux abords des "creutes" en Picardie, anciennes carrières d’extraction de la pierre, où se réfugiaient des régiments entiers). Il est alors nécessaire de tirer une ligne téléphonique entre l’opérateur du poste radio et l’autorité dans son abri. Jusqu’à ce que l’on invente la commande à distance, mais il faudra encore attendre...
[3] Les textes en italique sont extraits de l’"Histoire de l’artillerie française" de Michel Lombarès.
[4] le groupe est l’organisation intermédiaire entre le régiment et la batterie ; un groupe peut réunir plusieurs batteries ; un régiment plusieurs groupes.
[5] Les pièces organiques de la batterie, mais aussi d’autres qui peuvent être rattachées quand elles sont "orphelines" de liaisons avec leur propre batterie
[6] Au pire des cas ces ordres peuvent être apportés aux pièces par hélicoptère, véhicule ou moto
[7] Il s’agit donc d’un système centralisé auquel sont reliés des périphériques de transmissions spécialisés ; certains agissent en émission et réception, d’autres en émission seulement (observateurs, radars, centre d’exploitation des drones), d’autres en réception seulement (pupitres de pièces).
[8] Ceux de ces véhicules qui sont au sein du poste de commandement de la GU sont régulièrement consultés par le général qui obtient sur papier par télétype une appréciation directe de son dispositif où sont affectés des détachements de liaison et d’observation (DLO)
[9] dont les capacités sont réduites à la circulation des informations dans un seul sens : vers la pièce depuis le PC de batterie, de l’observateur vers la PCR pour les demandes de tir et le réglage du tir
[10] drones, ce qui fut le cas avec le MART dans son engagement à la 1ère Guerre du Golfe.
[11] des progrès significatifs seront réalisés sur ces terminaux avec l’apport de l’affichage digital...
[12] En dépit des moyens dédoublés pour équiper le PC, mais la disparition d’un élément met en péril la continuité du commandement
[13] Grâce à un interface et à la conformité avec les procédures (Stanags) de l’OTAN
[14] Comme une pompe dont la crépine n’arrive pas dans l’eau.