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Capitaine de vaisseau - Colonel Camille MORTENOL
 

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Cet article, paru dans la revue "La Cohorte" n°199 de la Section d’Entraide des Membres de la Légion d’Honneur, en février 2010, a été repris, avec l’autorisation de son auteur, Son Excellence l’ambassadeur de France Alain Pierret [1].

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Sosthène, Héliodore, Camille MORTENOL

Né à Pointe-à-Pitre le 29 novembre 1859, ce Guadeloupéen est l’exemple rare et sans doute unique d’un officier ayant arboré successivement sur ses manches les cinq galons d’or d’un capitaine de vaisseau et d’un colonel d’artillerie ; ce qui le rend encore plus exceptionnel, c’est le rôle éminent qu’il a joué dans la défense antiaérienne de Paris, au cours de la première guerre mondiale.

Reçu à l’École polytechnique en 1880 (classé 19°/210) et également admis à Saint-Cyr à la 3ème place, il choisit plutôt d’entrer à l’X et en sort en 1882, classé 18°/205. Il préfère alors servir dans la Marine. Il est d’abord affecté à Brest à bord de l’Alceste, frégate à voile de second rang armée en transport, puis passe de novembre 1883 à mai 1884 sur le cuirassé Amiral Duperré, basé à Toulon. Il est ensuite en service à la mer à bord de l’Aviso Le Bisson, basé à Madagascar.

Nommé enseigne de vaisseau le 1/10/1884, il est d’abord affecté comme second sur la canonnière Capricorne, à bord de laquelle il effectue ses premières campagnes dans l’océan indien. Lieutenant de vaisseau le 25/8/1889, il sert successivement à bord des navires Capricorne (canonnière), Alceste (ponton-hôpital), Algésiras (navire-école des torpilles). En 1891, il commande le torpilleur Dehorter. En 1892, il est officier-torpilleur sur le croiseur Cécille, et en 1894 officier d’artillerie sur le Jemmapes, un garde-côte cuirassé.

Jusqu’alors, il est très bien noté mais, comme c’est l’usage à l’époque, son origine antillaise est mal vue et va lui porte préjudice. Il reçoit notamment les appréciations suivantes, dont il vaut mieux taire les auteurs : « ...incroyablement supérieur aux hommes de sa race... », « ...son équipage était tout à fait dans sa main sans que la différence de race ait jamais donné lieu à des difficultés ou des désagréments... » et encore « Officier du plus beau noir, aux cheveux laineux. Or, quelles que soient son intelligence et ses qualités apparentes, je considèrerais toujours comme très fâcheuse l’introduction d’officiers de cette race dans la Marine...Cela dit, je déclare n’avoir aucun préjugé contre la race noire et ne parle qu’un langage de raison... ». Mortenol n’en est pas moins fait chevalier de la Légion d’honneur, le 19/8/1895, à bord du Suffren, en présence du Président de la République.

De 1896 au 7/4/1904 (date à laquelle il passe capitaine de frégate), il sert à divers postes embarqués, se marie en 1902, puis il est atteint d’anémie paludéenne et de dyspepsie. Sa santé rétablie, il est nommé second à bord du Redoutable, basé à Saïgon. De 1907 à 1909, il commande le Pistolet et une flottille de torpilleurs des mers de Chine. Revenu en poste à la préfecture maritime de Brest, il est promu officier de la Légion d’honneur le 12/7/1911 et capitaine de vaisseau le 7/12/1912, nommé en même temps à la tête des services maritimes de la défense de Brest. À l’évidence, tout se ligue alors contre lui (en raison de ses origines antillaises) pour qu’il n’exerce point le commandement d’un navire de premier rang, en l’occurrence un cuirassé. Aussi, en 1914, est-il devenu « trop âgé pour pouvoir prétendre au commandement mais peut être très opportunément employé dans tout service d’étude ». Il est chargé du désarmement du cuirassé Carnot.

Mortenol recherche alors un travail plus valorisant et fait savoir son intérêt pour succéder au capitaine de vaisseau Prère, un autre officier de marine décédé brutalement d’une congestion pulmonaire et qui dirigeait la défense antiaérienne de la capitale. En concurrence pour ce poste avec le capitaine de vaisseau Morache (qui avait déjà occupé cette fonction au début de la guerre), ce dernier reçoit le commandement du cuirassé Le Gaulois ; le 10 juillet 1915, c’est donc Mortenol qui prend la tête de la « défense contre aéronefs » au sein du Gouvernement militaire de Paris, service autonome installé au lycée Victor Duruy et rattaché au 3ème bureau.

Mortenol reçoit le 11 août suivant une appréciation élogieuse du général Clergerie, chef d’état-major de Galliéni, Gouverneur militaire de Paris : « Arrivé depuis peu au GMP, y donne entière satisfaction ». En effet, Mortenol possède une instruction très complète, sait entretenir d’excellentes relations avec ses supérieurs et ses subalternes ; sa tenue et sa santé sont parfaites. Néanmoins, il est atteint par la limite d’âge de son grade, le 7/3/1917. Malgré cela, le général Dubail, GMP de l’époque, apprécie tellement ses services qu’il demande au Ministre de la guerre de le conserver. Le principe en est accepté et, pour des raisons d’ordre purement administratif, Mortenol est nommé « colonel dans la réserve de l’artillerie de Terre ». Mortenol occupe son poste à la tête de la DCA de la capitale jusqu’au 15/5/1919. Au cours de ces deux années, il conduit les mesures de réorganisation et le réaménagement du dispositif et des tactiques de défense dont les bons résultats sont évidents [2]. Il est rayé des réserves de la Marine en 1922 et de celles de l’armée de terre le 10/1/1925. Entre-temps, il a reçu le 16/6/1920 la cravate de commandeur de la Légion d’honneur, avec la citation suivante : « Officier supérieur du plus grand mérite, à son poste jour et nuit pour veiller sur Paris, assure ses fonctions avec un rare dévouement et une compétence éclairée ».

Il décède à Paris le 22/12/1930, âgé de soixante et onze ans. Nul doute que « les résultats remarquables obtenus par la défense contre les raids des avions ennemis sur la capitale » (selon l’appréciation de Clémenceau, président du conseil, ministre de la guerre) ont été dus pour une bonne part au rôle joué directement par Mortenol. Ce n’est donc pas sans raison que son souvenir est maintenu vivace à Pointe-à-Pitre où un boulevard porte son nom tandis que sa statue a été érigée sur les quais de la ville. À Paris même, une voie s’appelle « Commandant Mortenol » ; proche de la gare de l’Est, elle donne sur le quai de Valmy. En 2004, la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) a remis à la ville d’Hendaye une vedette de sauvetage du nom de « C.V.Mortenol », aujourd’hui stationnée aux Saintes-Marie-de-la-Mer.

Il est donc tout à fait justifié que Mortenol ait une place particulière dans la mémoire des artilleurs sol-air.

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Statue du Commandant Mortenol dans le Port de Pointe à Pitre
SE ancien ambassadeur Alain Pierret dépose une gerbe le 24 janvier 2018, en présence de son représe,tant local et du directeur du port de Pointe-à-Pitre
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Un timbre à l’effigie du Commandant Mortenol
Au programme du 1er semestre 2018 de La Poste

[1] Selon son Excellence :

  • Un autre article est paru dans "La Jaune et la Rouge" - revue de Polytechnique - en décembre 2015 ;
  • Un timbre sera émis le 16 avril 2018.
  • Une plaque devrait être posée sur le mur du lycée Victor Duruy (siège du gouvernement militaire de Paris, Gallieni), sans doute début mai.
    Enfin, Alain Pierret a sollicité le Président de la République pour que les restes de Mortenol soient transférés dans la crypte du Panthéon...

[2] Du 1er janvier au 11 novembre 1918, 28 raids allemands ont été menés contre le camp retranché de Paris par un total de 485 avions. 35 d’entre eux seulement sont parvenus à survoler Paris, délivrant un tonnage de bombes estimé à 12 tonnes. Treize ont été abattus.


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