Au cours de la guerre de Crimée (1854-1855), le haut commandement français avait constaté l’insuffisance du matériel français en portée et en effet du projectile dont les progrès ne pouvaient se faire que par l’abandon du boulet ou de l’obus sphériques. Il fallait chercher des améliorations dans ces domaines.
Le projectile explosif de forme oblongue, l’obus, fut la solution envisagée pour augmenter la puissance des effets et la portée, nécessitait la résolution du problème de la stabilisation de ce type de projectile sur sa trajectoire. L’effet gyroscopique, imprimé aux balles par les rayures inclinées des canons de fusil depuis le début du XIXè siècle, était la solution à la condition de disposer des outils capables de transposer cette technique aux canons d’artillerie.
En France, des recherches entreprises par un jeune capitaine d’artillerie, Treuille de Beaulieu naît la machine à rayer les canons. Un matériel de 4 et de 12 rayés sont servis par les combattants de la campagne d’Italie en 1859-1860. Il n’est pas le premier à imaginer les rayures pour obtenir plus de justesse et de portée avec l’utilisation des projectiles de forme oblongue. En 1498, Gaspard Zellner avait fabriqué un canon à rayures droites puis Koller de Nuremberg avait inventé la rayure inclinée sur l’axe de la bouche à feu. Plus tard, les balisticiens de tous pays ne cessèrent de chercher un moyen de donner au projectile un mouvement de rotation, soit dans l’âme du tube soit à l’aide d’une organisation spéciale de l’obus (ailettes, tenons-guides, ...). Mais les bénéfices de cette technique nouvelle sont entamées par le chargement par la bouche. Il faut introduire en force le projectile par la bouche, opération longue et délicate qui interdit en plus l’utilisation de dispositifs de mise de feu en pointe du projectile. Un système d’ouverture et de fermeture de la culasse est indispensable.
C’est pourquoi, en France, Treuille de Beaulieu a également proposé un chargement par la culasse grâce à un système de fermeture à vis. Il a aussi compris l’importance de l’acier comme métal à canon pour réaliser de meilleures vitesses initiales et, par suite, de plus longues portées. Mais, en dehors de la rayure, ses idées ne sont pas appliquées en France avant 1870. L’armement rayé de l’artillerie française ne comprend alors que des pièces de bronze se chargeant par la bouche :
Un autre spécialiste, le capitaine Verchère de Reffye, inventeur de la mitrailleuse qui porte son nom, met au point un canon de 7, rayé, en bronze, se chargeant par la culasse au moment où la guerre entre la France et l’Allemagne éclate en 1870. Seul un petit nombre de ce type de canon peut être envoyé à l’armée du Général Faidherbe où quelques batteries de 7 s’illustrent aux batailles de Pont-Noyelles et de Saint-Quentin. Après la chute de Metz, un effort industriel considérable permet la livraison de plus d’une batterie de 7 par semaine jusqu’au 2 février 1871.
En 1875, le système de Reffye met à la disposition
de l’artillerie française un système complet d’artillerie rayée se chargeant par la culasse, le canon de 5, le canon de 7 et le canon de 138, constitué par l’ancien canon de 16 transformé. Dans le même temps, le canon de 95mm Lahitolle est adopté comme pièce de position et de grande réserve. C’est une sorte de révolution car le 95 est en acier et profite de toutes les inventions récentes telles que le frettage du tube, les rayures progressives, le chargement par la culasse, etc....
En 1877, le colonel Ragon de Bange, vainqueur d’un concours pour l’établissement d’un nouveau système d’artillerie et conscient comme Gribeauval l’était de la nécessaire cohérence de toutes les parties constitutives d’un système, fait adopter le tube en acier doux capable de supporter des pressions supérieures à celles que l’on pouvait imposer au bronze, la chambre à poudre de grande dimension pour ménager le métal en permettant aux gaz de se détendre dans un espace plus vaste, la rayure progressive évitant le forcement trop brusque du projectile dans l’âme écartant le risque d’arrachement de la ceinture de l’obus, la fermeture de culasse à filets interrompus qui accélère la manœuvre de la pièce et l’obturateur à galette en amiante suiffée qui donne une étanchéité parfaite. De même, les effets des projectiles sont améliorés.
Le système de Bange comprend la gamme complète des calibres que l’on pense suffisants à toutes les missions de l’artillerie dans les diverses circonstances d’une guerre "moderne" :
Le canon de Bange est avantageusement comparable aux pièces similaires en service dans les différents pays d’Europe à la même époque.
Ce système d’artillerie homogène et perfectionnée ne fit jamais la guerre au cours de son existence officielle car démodé à l’apparition du fameux 75 puis du canon de 105 long. Il ne figura sur les champs de bataille que lorsque l’on eut besoin de son concours pour renforcer la ligne de feu et compléter certaines œuvres de destruction auxquelles le nouveau matériel ne pouvait suffire.
Le système de Bange n’a cependant pas pu résoudre les problèmes du recul et du pointage rapide. Pour abréger les opérations de tir, il faut immobiliser le matériel ou, mieux, le construire de façon qu’après chaque coup, il se retrouve dans la position initiale supprimant ainsi la remise en batterie à bras et raccourcissant le temps du réglage puisque au deuxième coup, le canon se trouvant dans sa position primitive, les corrections à apporter ne sont que celles résultant des modifications issues du réglage.
En 1891, sur proposition du Comité d’artillerie, le Ministre ordonne des études en vue d’accélérer le tir du canon de 90 modèle 1877 soit par modifications du canon de Bange, soit par la construction d’un matériel nouveau. Le capitaine Ducros tente de réduire le temps de chargement en imaginant une cartouche rigide formant refouloir qui permet de pousser le projectile dans la chambre et un système de hausse indépendante. Pendant ce temps, le Capitaine Saint-Claire Deville travaille sur un matériel de 52 et de 57mm avec bêche de crosse, hausse indépendante, appareil de repérage, débouchoir et mise de feu automatique.
L’absence de maîtrise du recul empêcha ces inventions de satisfaire aux problèmes du canon rapide.
C’est au Lieutenant-colonel Deport qu’est due l’application du principe du frein adopté pour le canon de 75. En 1894, le projet n°1 est celui d’un frein à récupérateur et joints étanches. Après la retraite de celui-ci, Rimailho et Saint-Claire Deville se mettent à l’étude et présentent le projet n°2 qui est définitivement adopté.
Le frein étant mis au point, le problème posé se trouve résolu. La construction d’un nouveau système d’artillerie peut débuter dans le plus grand secret. La dissimulation des dépenses et le fractionnement de la fabrication des différentes pièces font la surprise de la mise en service du canon de 75mm modèle 1897 dans les régiments d’artillerie de campagne.
L’enthousiasme initial est très rapidement tempéré par le constat de certaines imperfections. En effet, la rapidité de tir incomparable du 75 est obtenue par une organisation de la pièce qui limite ses capacités de pointage. Cramponnée au sol en trois points, les roues et la bêche, elle est établie sur une base invariable quelle ne peut changer que dans de faibles limites (débattement en angle de -11 à +20 degrés). Sa puissance lui donne une trajectoire tendue qui lui interdit de battre et d’atteindre les objectifs défilés (c’est-à-dire cachés derrière un mouvement de terrain, butte, crête, etc.).
La nécessité du canon à tir courbe [1], l’obusier, est alors évidente. Qu’est-ce qu’un obusier ? Sa définition a changé au cours de l’histoire des matériels d’artillerie. A cette période, c’est une bouche à feu dont la longueur est intermédiaire entre celle du canon et du mortier et susceptible, par la disposition de l’affût ainsi que l’emploi d’une charge réduite, de pratiquer un tir plus ou moins courbe. Le besoin d’un tel matériel fait l’objet de recherches dans deux directions. La première, explorée par le Lieutenant-colonel Deport, est pour un canon ayant un grand débatement d’angle, l’utilisation de séries de charges différentes, l’une donnant une trajectoire tendue (peu élevée par rapport au sol), l’autre une trajectoire courbe (très élevée par rapport au sol). La seconde consiste à trouver le moyen de réduire la tension de la trajectoire par des accessoires montés sur le projectile comme la plaquette Malandrin ou à faire exploser le projectile à faible altitude au-dessus de l’objectif comme l’obus fusant.
Après la première bataille de la Marne en 1914, la stabilisation du front permet la venue sur le champ de bataille de bouches à feu à tir courbe du côté allemand et met en évidence l’insuffisance française dans ce domaine.
Les matériels du système de Bange sont remis en service en raison de l’excellence de leurs munitions mais la tension de la trajectoire pour certains, la portée réduite et le poids pour d’autres, limitent soit leur champ d’action, soit leurs facilités de déplacement. De même, l’artillerie lourde, il s’agit ici de matériels de gros calibre capables de tir à longue portée, développée et mise en service à partir de 1912 ne comprend que :
La stabilisation du front à la fin 1914 mène au développement, à la fois de l’artillerie lourde (tractée et sur voie ferrée) et celle de tranchée qui ne dispose alors que mortiers de fortune - mortier de tranchée de 15 (Crapouillot), ou plus anciens datant de la fin du siècle précédent.
[1] Voir la définition qu’en donne l’abbé Th. Moreux dans cet article.