La bataille de Verdun est l’occasion d’une autre innovation majeure, à l’initiative des Français cette fois (et jamais imitée par les Allemands). La première expérience d’organisation rationnelle des moyens de transports automobiles semble avoir été l’évacuation de Reims au début du mois de septembre 1914. Elle est l’œuvre du capitaine Doumenc, l’« entrepreneur » du service automobile, subdivision qui appartient, rappelons-le, à l’artillerie. Grâce à lui et quelques autres, l’idée s’impose que le transport automobile peut apporter une souplesse nouvelle dans les transports de la logistique et surtout des hommes, leur évitant les fatigues de la marche tout en multipliant leur mobilité. Les achats à l’étranger et la production nationale permettent de disposer dès 1916 de la première flotte automobile militaire au monde avec près de 40 000 véhicules (trois fois plus que l’année précédente et presque 200 fois plus qu’en 1914). Cette abondance de moyens autorise la constitution de groupements de 600 camions capables de transporter chacun une brigade d’infanterie. En 1916, il est ainsi possible de transporter six divisions d’un coup (et le double en juillet 1918).
L’efficacité de cet outil est démontrée lorsqu’il s’agit de soutenir le front de Verdun, saillant relié à Bar-le-Duc, 80 km plus au Sud, par une route départementale et une voie ferrée étroite, Le Meusien, qui ne peut satisfaire qu’environ 10% des besoins. Sur l’initiative de Doumenc, le 20 février 1916, veille de l’attaque allemande, est créée la première Commission Régulière Automobile (CRA) dont la mission est d’acheminer 15 à 20 000 hommes et 2 000 tonnes de ravitaillement logistique par jour par ce qui devient rapidement la Voie sacrée. La CRA est organisée sur le modèle des chemins de fer. La route est divisée en six cantons qui disposent chacun de moyens de liaison et de dépannage. Elle est empierrée en permanence par 1 200 territoriaux qui acheminent la pierraille depuis des carrières proches (700 000 tonnes au total) pour la jeter ensuite directement sous les roues des 8 000 camions qui, à la vitesse 15 à 20 km/h, roulent jour et nuit et font eux-mêmes office de rouleau compresseur. Grâce à une organisation rigoureuse, la CRA est ainsi capable de transporter 500 000 tonnes et 400 000 hommes par mois de mars à juin 1916 sans compter les 200 000 blessés évacués par les services sanitaires. Elle est dissoute le 15 janvier 1917 [1] . Entre temps, le GAN avait copié l’idée et créé sa propre CRA sur l’axe Amiens-Proyart afin d’alimenter la bataille de la Somme, avec un trafic supérieur encore à celui de la Voie sacrée [2] . Cette innovation offrait des perspectives nouvelles en matière de manœuvre mais il faudra attendre le printemps 1918 et les batailles défensives pour en saisir toutes les possibilités.