Article extrait de la revue "Armées d’aujourd’hui" n° 410 Septembre-Octobre 2016.
"Au sein de chaque armée, des unités spécialisées ont pour
mission de collecter des informations géographiques -
relief, populations, fonds marins.. de les restituer sur
différents supports.
Objectif : apporter une connaissance fine du terrain
permettant aux forces de préparer leurs opérations."
Par Eléonore Krempff
"La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre" écrivait le géographe français Yves Lacoste en 1976 dans son livre éponyme. Décisive dans toute opération. la connaissance de l’environnement géographique constitue un avantage indéniable à celui qui la maîtrise. Au sein des armées, des unités spécialisées ont pour mission de collecter l’information, de l’analyser, de l’interpréter et de la restituer, notamment sous la forme de cartes thématiques. Ces unités couvrent des zones de plus en plus étendues pour lesquelles la cartographie est médiocre ou inexistante, et apportent une connaissance fine du terrain pour répondre aux impératifs opérationnels : précision de localisation des objectifs, représentation détaillée de cibles ou d’itinéraires. Cette approche globale étant une nécessité pour toute intervention militaire, le travail de ces soldats géographes s’avère fondamental.
Partie intégrante du renseignement militaire, la géographie permet de maîtriser le terrain et d’optimiser l’emploi des systèmes d’armes. "De manière générale, le renseignement géographique est considéré comme une aide à la décision et un appui aux forces", explique le colonel Yannick Carré, qui commandait jusqu’en août dernier[2016] le 28ème groupe géographique d’Haguenau (28è GG). Une unité septuagénaire de l’armée de Terre. D’ailleurs, chaque géographe peut être projeté en opération extérieure sur très court préavis, "comme ce fut le cas lors de l’intervention en Centrafique en 2014" précise le colonel Carré. "Nous réalisons également des produits d’aide à la décision et des cartes thématiques pour le Centre de projection et de commandement des opérations ou les états-majors en opérations extérieures, mais aussi des produits transmis à l’Établissement géographique interarmées (EGI) basé à Creil".
Au printemps 2016, sur les 350 militaires du 28é groupe géographique, une soixantaine étaient déployés en Afrique, au Moyen-Orient et en Guyane. En métropole également, les géographes s’avèrent nécessaires. "Ils restent avant tout des militaires" précise le colonel Carré. "Ils sont habilités à gérer des informations de sécurité militaire sur les sites sensibles comme la base opérationnelle de l’Île Longue ou encore les sous-sols hautement secrets de l’Elysée."
En opération. outre la mise à jour de la cartographie traditionnelle. les informations recueillies permettent la production d’analyses géolocalisées, de cartes thématiques 2D ou de modèles 3D, et donnent une vision globale de l’espace d’engagement : la population (démographie, culture, espace rural, urbain), les activités humaines (situation économique générale, réseaux et transports), le milieu naturel (relief, sol, sous-sol, hydrographie, végétation). "L’analyse des sols est cruciale pour la mobilité ou le déminage," complète le capitaine Cédric, commandant d’unité au 28è GG. "Telle zone permet l’évolution de blindés en hiver, mais risque de devenir inondable à la fonte des neiges. » De la même manière, la connaissance des groupes ethniques ou religieux sur une zone d’opération s’avère cruciale pour mener à bien certaines missions.
L’impact atmosphérique sur la propagation radar, les conditions atmosphériques pour l’artillerie ou l’emploi des drones ou bien l’observation et la modélisation du littoral et des fonds marins sont également des éléments à ne pas négliger avant toute opération.
Côté mer justement, c’est le Shom, le Service hydrographique et océanographique de la Marine - héritier du premier service hydrographique au monde, créé en 1720 - qui prend le relais. En baie de Douarnenez, le second maître Adrien, hydrographe, opère à bord d’une vedette spécialisée : "Ce célérimètre va me permettre de connaître la vitesse du son dans l’eau. Par ailleurs, les activités de sédimentologie, c’est-à-dire l’étude de la nature et de l’évolution des fonds marins, sont vitales pour l’acoustique et la propagation des ondes sonores, et par conséquent pour la progression d’un sous-marin par exemple."
Pour les relevés en haute mer, la flotte hydro-océanographique du Shom intervient. Les trois bâtiments hydrographiques - La Pérouse, Borda, Laplace - réalisent les missions sur le plateau continental tandis que le bâtiment hydrographique et océanographique Beautemps-Beaupré assure la manœuvre pour les grands-fonds, c’est-à-dire jusqu’à 10000 mètres de profondeur.
La Marine nationale et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), quant à eux, se partagent l’utilisatian du navire océanographique Pourquoi pas ? (55 % Ifremer, 45 % Marine). Avec un espace maritime français de 11 millions de kilomètres carrés, le deuxième mondial en superficie, la couverture géographique est vaste. " Pour nos 100 hydrographes et 45 cartographes, la mission est dantesque !" souligne l’ingénieur principal des études et techniques d’armement Christine, chef du département de fusion des données au Shom. "Actuellement, nous connaissons moins bien le fond des océans que la surface de la Lune. Hydrographier le monde entier prendra des siècles au rythme actuel !"
Aux savoir-faire des hydrographes du Shom s’ajoutent, dans un autre domaine, les compétences de la petite unité de l’élément géographique air-marine dédiée à l’aéronautique militaire, l’Egam de Villacoublay. Une quinzaine de militaires, spécialistes de l’appui géographique, centralisent, compilent, transforment et adaptent toutes les données utiles, entre autres, aux pilotes de chasse, notamment pour la cartographie des zones d’intérêt : il peut s’agir de la hauteur du relief, de la morphologie du terrain, des données humaines, aéronautiques et de renseignement si besoin.
"Alors que l’EGI diffuse des produits normés à vocation interarmées, nous fabriquons des documents « à la carte » au profit des escadrons et des flottilles," commente le commandant Grégoire, à la tête de cette structure. "Aujourd’hui, les nouvelles technologies ne tendent pas à faire disparaître la carte classique mais nécessitent sa transformation aux formats des systèmes modernes de navigation. Nos opérateurs préparent ainsi des fichiers cartographiques numériques et d’élévation pour permettre par exemple le suivi de terrain sur Rafale, en plus du radar. Une fois le plan de vol établi, la totalité de ces données est intégrée au système de navigation de l’appareil ; une source d’information préalble essentielle à l’opération."
Dans le cadre interarmées, le Bureau géographie, hydrographie océanographie, météorologie (BGHOM), basé à Paris, est chargé de diriger la cohérence générale des actions géographiques et de développer les échanges avec les alliés pour couvrir le plus rapidement possible l’ensemble des zones d’intérêt de la Défense.
Son bras armé, l’Établissement géographique interarmées (EGI) produit, valide, gère et diffuse les informations géographiques interarmées, numériques et papier , au profit de tous lesorganismes du ministère.
Des cellules d’appui géographique spécialisées au sein des services de renseignement agissent en complément et à leur profit.