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Classification des canons de la première guerre mondiale par l’Abbé Th. Moreux
 

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Le 6 octobre 1916, le Petit Journal [1] laisse son scientifique attitré, l’abbé Moreux, expliquer les différents tirs effectués par les canons modernes.

Article élaboré avec l’aide de Yves Robette

Le CANON
dans la guerre moderne

Par l’Abbe Th. MOREUX

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« Depuis plus de deux ans que les choses de la guerre, m’écrit un lecteur, font l’objet de toutes les conversations, il serait vraiment temps d’être renseigné, sur l’usage des différents canons. Les journaux nous parlent sans cesse de canons courts, de mortiers, de canons longs, d’obusiers, de tirs plongeants, et plus d’un comme moi ignore la signification des termes employés. »

Sans vouloir usurper ici le rôle de professeur d’artillerie, et de balistique, j’ai pensé qu’il était en effet opportun de fixer en termes clairs et précis les caractéristiques et le rôle des canons des différentes sortes qu’emploient les artilleurs modernes.

Canon long et tir tendu La longueur absolue d’une pièce n’a rien à voir avec ce que l’on appelle le canon long. Il n’y a là qu’une affaire de rapport entre l’ouverture de la bouche à feu et sa longueur totale. Celle-ci est généralement mesurée à l’aide de l’ouverture prise pour unité. Ainsi, il a été convenu qu’un canon dont le tube vaut 25 à 30 fois l’ouverture de la pièce - son calibre - doit être rangé au nombre des canons longs. A ce compte, notre 75, qui mesure 2,75m de tube rayé, est un canon très long.

On obtient ainsi une vitesse initiale de près de 600 mètres à la seconde. Si l’objet visé est très proche, le chemin parcouru par le projectile - sa trajectoire - est très tendu : c’est presque une ligne droite et c’est pourquoi le canon long réalise ce que l’on appelle le tir de plein fouet.

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Chemin parcouru par le projectile d’un canon long. Le tir est tendu ou de plein fouet.

Mais si l’artilleur vise un but éloigné, la pesanteur combinée avec la résistance de l’air agit pour déformer la trajectoire ; celle-ci se courbe à une certaine distance. De là, cette nécessité d’incliner la pièce plus ou moins et de viser en l’air, pour ainsi dire, afin d’atteindre un obstacle situé loin de la pièce.

Comme dans le fusil, la hausse sert alors pour régler la portée. Nos 75 de campagne, en tir normal et de plein fouet, atteignent 2 500 mètres, mais si nous leur donnons une forte inclinaison, nous pouvons aller jusqu’à 9 kilomètres.

Dans ces conditions, comme nous l’avons dit, la trajectoire se courbe au point que l’artilleur peut détruire un objet caché à ses yeux, par une colline, un village ou un rideau d’arbres.

Au reste, pour lui faciliter cette besogne intéressante, on avait imaginé autrefois d’adapter à l’obus une sorte de collerette qui rendait beaucoup p1us renflée la dernière partie de son trajet.

Mais à chaque outil sa destination, et l’on se rendit compte très vite que dans ce but mieux valait créer une nouvelle pièce : ce fut le canon court.

Canon court et tir courbe

Diminuons la longueur du tube qui lance l’obus, de façon qu’elle soit comprise entre 8 et 15 fois l’ouverture du canon, nous aurons ce que l’on appelle un canon court. On le voit, la grosseur du projectile n’est pour rien dans cette désignation, et l’on peut construire des canons de grande longueur qui soient cependant rangés dans la catégorie des canons courts ; le tout est d’augmenter le calibre à mesure.

Cette fois, la pression des gaz s’exerçant moins longtemps derrière l’obus, nous obtiendrons des vitesses relatives moins considérables ; pour une même portée, nous devrons donc donner à la pièce une plus grande inclinaison.

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Chemin parcouru par le projectile d’un canon court. - Le tir est courbe.

Cette dernière, dans le tir normal du canon long, n’excède pas 15 degrés par rapport à l’horizontale, mais dans le canon court nous pourrons aller en tir ordinaire, jusqu’ 30 degrés. Dès lors - et c’est la caractéristique de ces pièces - nous obtenons une trajectoire très courbée qui permet à (l’artilleur d’atteindre des buts presque toujours invisibles.

Ces canons, avant la guerre actuelle, n’étaient employés que sur des buts repérés à l’avance ou marqués sur les cartes : villes, villages, boqueteaux, etc. Mais grâce à nos aviateurs qui, du haut des airs, peuvent plonger chez l’ennemi et régler les tirs, le canon court rend de signalés services. Il permet par exemple d’arroser une troupe en marche, même dérobée à la vue de l’artilleur habilement défilée, pour employer le terme technique ; c’est lui encore qui, faisant voler sa mitraille au-dessus de nos poilus, va produire à plusieurs kilomètres au-delà des tranchées de première ligne des tirs de barrage qui empêcheront le ravitaillement de l’ennemi et l’approche de ses réserves ; c’est lui, enfin, gui permet, sans danger pour les nôtres, de bombarder les première lignes allemandes et de les couvrir de projectiles.

Le tir vertical et les mortiers

Mais la guerre moderne délaissant les règles de l’antique stratégie est vite devenue une guerre de siège. Les tranchées ont été renforcées ; à l’instar des troglodytes, les Boches, qui voulaient ramener l’humanité aux âges de la barbarie, ont fouillé la terre, et se sont creusé des abris profonds.

Le canon court ne suffisait plus ; il a fallu créer un outil spécial pour défoncer les cavernes, écraser les coupoles blindées, faire sauter les magasins souterrains. C’est le rôle du mortier ou obusier, canon très court et dont la longueur est comprise entre 2 et 6 fois son ouverture.

L’inc1inaison de la pièce peut être doublée ; c’est-à-dire que cette fois l’artilleur menace le ciel lui-même et peut tirer sous un angle de 60 degrés.

Au fond de cette énorme machine, déposons un lourd projectile, un obus d’une tonne par exemple. Que va-t-il se passer ? Au départ, la masse lancée dans les airs peut avoir une très grande vitesse ; malgré la résistance de la couche atmosphérique, grâce à une forte charge de poudre, elle atteindra de fortes altitudes, plusieurs kilomètres. Arrivé en haut de sa course, sans doute l’obus verra sa vitesse sensiblement diminuée, mais sous l’influence de la pesanteur il regagnera en tombant ce qu’il a perdu dans son ascension, et lorsqu’il touchera le but, les effets de la chute seront terrifiants. Non content d’écraser l’obstacle sous son poids mille fois décuplé, il transformera par son éclatement le puits qu’il aura creusé en un véritable entonnoir.

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Chemin parcouru par le projectile d’un mortier. - Le tir est dit vertical.

Le gros obusier est véritablement l’outil de la guerre actuelle ; ce sont les allemands qui nous l’ont appris, mais la leçon a été bien comprise et ils n’ont pas à se plaindre si aujourd’hui, c’est le cas de la dire, elle leur « retombe sur le nez ».

Abbé Th. MOREUX,
Directeur de l’observatoire de Bourges

[1] Autres contributions au Petit Journal :

  • le gâchis à Athènes,
  • que va faire Constantin ?
  • La poussée des Alliés vers Monastir ;
  • la démonstration roumaine sur le Danube ;
  • le butin des Anglais en Picardie : communiqués officiels : au cours de notre progression à l’est de Morval, nous avons capturé neuf canons, contre-attaque repoussée au nord de Frégicourt, au sud de la Somme, artillerie ennemie toujours très active, une gare militaire prise sous notre feu en Woëvre ;
  • communiqué de l’emprunt : grande affluence de souscripteurs lors de la première journée de l’emprunt à Paris ;
  • la médaille de la Reine Elisabeth ;
  • les félicitations de la France à la Serbie...

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