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1- Le franchissement du Rhin
 

Extrait de l’"Historique de l’artillerie de la 2° Division d’Infanterie Marocaine - 1942-1945"

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Le franchissement du Rhin

Mais le repos ne sera pas long. L’Armée française se prépare à franchir le Rhin de vive force. L’opération sera conduite par la 2ème D.I.M. Comme au Majo, comme sur le Doubs, c’est elle qui aura l’honneur d’ouvrir la voie.

Dès le 26 mars, des reconnaissances sont effectuées par le Colonel Lassus, les Officiers de son État-Major et les Commandants de groupe. Le P.C. de l’A.D. s’établit à Bellheim le 30, tandis que les groupes se mettent en position.

La traversée du fleuve doit avoir lieu le 3 avril au voisinage de Gemersheim. Deux points de franchissement sont prévus : au Sud-Est de Mechtersheim pour le 151ème R.I., régiment de formation récente qui a remplacé le 8ème R.T.M. à la Division ; au Sud de Mechtersheim pour le 4ème R.T.M., chargé de l’effort principal. Toute l’artillerie de la 5ème D.B. et trois groupes de l’A.D./3 sont mis pour l’opération à la disposition de la 2ème D.I.M. L’appui direct du 151ème R.I. comprendra trois groupes de 105, dont le III/63, et un groupe de 155. L’appui direct du 4ème R.T.M. comprendra quatre groupes de 105, dont les I/63, II/63, et un groupe de 155, le IV/63. Le III/65 et le III/66 formeront le Groupement d’action d’ensemble.

La date de l’opération est avancée du 3 au 1er avril, puis au 31 mars. La 2ème D.I.M. achève en toute hâte la relève de la 36ème Division U.S.

Le franchissement de vive force d’un fleuve a toujours été considéré comme une opération difficile. Il est ici particulièrement délicat. Non seulement la Division ne dispose pas des moyens puissants mis en œuvre ailleurs par les Américains, mais, la date de l’opération ayant été avancée, les reconnaissances des petites unités ne pourront avoir lieu. Dans ces conditions précaires, la tentative de la 2ème D.I.M. peut paraître téméraire. Mais des raisons supérieures la commandent, il faut passer coûte que coûte.

(JPG)
63°RAA en 1945
Passage du Rhin

Le dispositif ennemi est mal connu et la mise sur pied d’un plan de feux d’artillerie n’est pas chose aisée. Il est décidé que l’attaque sera précédée d’une préparation d’un quart d’heure sur les casemates et organisations de la berge. Une contrebatterie sur des positions suspectées, améliorée à mesure que les renseignements arriveront, ainsi que des interdictions sur les voies d’arrivées des renforts, sont demandés à l’A.L.C.A.

C’est à 5 heures que doit avoir lieu le passage des premiers éléments. Par suite des retards divers, il ne commencera que beaucoup plus tard.

Au Sud, deux embarcadères ont été aménagés pour le 4ème R.T.M. sur le bras mort qui, décrivant une vaste boucle, enserre une île de quelques kilomètres carrés, l’Insel Gründ. L’extrémité Est de l’île est prolongée par une digue qui sépare le bras mort du cours principal du fleuve et ne les laisse communiquer que par un étroit goulet. Le III/4ème R.T.M. doit passer en tête. Le Capitaine de la Malène, Officier de liaison du II/63, a rejoint le Bataillon avec son équipe au milieu de la nuit. Une deuxième équipe de liaison du II/63 , celle de l’Adjudant-Chef Brokers, est mise à disposition. Elle accompagne deux sections d’infanterie qui sont dirigées vers l’embarcadère 1 pour constituer la première vague, mais ne tarderons pas à se perdre. Deux autres sections, dirigées vers l’embarcadère 11 s’égarent de la même façon dans les bois.

À 4h45 la préparation d’artillerie se déclenche, l’ennemi répond par quelques coups de 150. Mais d’autres contretemps, dus au manque de reconnaissances et au temps limité accordé à la préparation matérielle, retardent encore le départ de la première vague. Ce n’est qu’à 7h15 que douze bateaux, contenant 140 hommes, se présentent devant le goulet. Il fait grand jour et chacun attend avec anxiété la réaction ennemie. Elle ne tarde pas. Les mitrailleuses de la berge opposées ouvrent sur les embarcations un feu nourri, tandis que les coups de 150 arrivent de plus en plus nombreux dans la région des embarcadères. Néanmoins, vers 9 heures, estimant que 2/3 de son effectif soit 300 hommes environ, ont traversé le fleuve, le Chef de Bataillon décide de passer à son tour. Le capitaine de la Malène l’accompagne. Quelle n’est pas leur surprise, en longeant la digue, de constater qu’une bonne partie du bataillon a débarqué non sur la rive Est, mais dans l’île, et tiraillent du sommet de la digue. Malgré les mitrailleuses ennemies qui les prennent à partie, le Chef de Bataillon et le Capitaine de la Malène accostent sur la rive Est. Une centaine d’hommes y tiennent une petite tête de pont de deux cent mètres sur cinquante.

Parmi eux se trouvent l’Adjudant-Chef Brokers et soo équipe.

À 9h15, le Capitaine de la Malène prend contact par radio avec son groupe, à 10 heures il lui demande d’intervenir sur deux maisons d’où tirent les fantassins allemands. Le Chef de Bataillon, occupé à rameuter les hommes débarqués dans l’île, reçoit à 11 h 15 un ordre de son Chef de Corps.

Il apprend ainsi qu’au Nord, la tentative du 151ème R.I a échouée et que le passage du II/4ème R.T.M. est reporté au lendemain. Il aura donc à tenir jusqu’au matin avec ses seules forces qui, pour le moment, atteignent l’effectif de trois compagnies. Mais la tête de pont est étroite, il faut attaquer ou se laisser rejeter à l’eau. Le Chef de Bataillon estime qu’en s’emparant des deux maisons et du blockhaus situé au Sud, il pourra résister.

Une préparation d’artillerie est indispensable. Par radio, les observateurs du II/63 proposent à leur groupe un plan de feux. Au milieu de la transmission, ils réclament un tir d’arrêt : une compagnie allemande contre-attaque au Nord. Elle est repoussée après un combat au corps à corps avec nos tirailleurs, tandis que les Piper-Cubs font déclencher des tirs sur les automoteurs et des batteries en action.

Enfin, à 13 heures, après une préparation d’artillerie de 800 coups, les éléments de la rive Est attaquent et s’emparent du Blockhaus et des deux maisons.

La position peut désormais être défendue.

Au Nord, c’est au II/151ème R.I. que revient la mission de créer une tête de pont. Dans un autre bras mort du Rhin, des embarcadères ont été aménagés. Mais le caractère improvisé de l’opération et le manque de préparation qui en résulte entraînent, là encore, des retards considérables. La préparation d’artillerie de 4h45 n’est suivie d’aucun effet de franchissement. Lorsqu’enfin une embarcation se risque à sortir du bras mort pour juger des réactions ennemies, il fait jour. Elle est violemment prise à partie par les mitrailleuses et se replie après avoir riposté.

La tentative est remise à l’après midi. En attendant, le Lieutenant de la Croix, Officier de liaison du III/63, qui a rejoint le bataillon la veille avec son équipe, procède à l’identification des casemates repérées le matin par leur tir. Ces défenses sont neutralisées à 14h30 par une courte préparation d’artillerie. Huit embarcations passent alors dans le bras principal du Rhin et foncent au maximum pour gagner au plus court la berge opposée. La première tombe en panne au milieu du fleuve, la deuxième entre en collision avec elle et toutes deux, mitraillées de deux blockhaus ennemis, sont coulées sous les yeux des observateurs impuissants. La troisième arrive à la berge et décharge son personnel, mais le chauffeur, blessé au cours de la traversée de retour, regagne la rive à la nage. La quatrième contient le Lieutenant Rodriguez, commandant la compagnie, le Lieutenant de la Croix et son équipe de liaison. Des quatre dernières embarcations, une seule atteint encore la berge, les chauffeurs des trois autres étant tués ou blessés. Une poignée d’homme a réussi à traverser le fleuve et tous ne sont pas indemnes. Dans l’équipe de liaison du III/63, le Lieutenant de la Croix est grièvement blessé, le radio Mattéoli a été tué, le planton Amlaoui est blessé. Seul, le Maréchal des Logis Belval n’a pas été atteint. Après avoir réussi, au prix de mille difficultés, à installer son poste radio, il envoie son premier message, annonçant que la tête de pont est faite, mais qu’un renfort est nécessaire. Puis il accourt vers les blessés dont plusieurs sont dans un état grave, en particulier de Lieutenant de la Croix qui semble avoir la colonne vertébrale brisée et souffre beaucoup. Pendant ce temps, un message du Lieutenant Rodriguez est transmis en arabe par Amlaoui qui, malgré sa blessure au pied, rejoint le Lieutenant de la Croix dans l’embarcation dès que le Maréchal des Logis Belval a repris son poste à la radio. Magnifique exemple de solidarité et de cohésion d’une équipe où chacun ne pense qu’à assurer le succès de l’opération et à alléger les souffrances de ses compagnons ! Un peu plus tard, Belval annonce : « Il n’y a presque rien devant nous, nous avons deux prisonniers. Si vous nous envoyez du renfort, nous pouvons passer ».

Cet optimisme, de la part de ceux qui sont dans une situation aussi critique, émeut le Colonel commandant le 151ème R.I. qui promet d’envoyer tout ce qu’il pourra. La voix de Belval se fait encore entendre, grave et attristée cette fois, pour annoncer que le Lieutenant de la Croix est très mal et désire qu’on emporte son corps en France après sa mort.

Sur la rive Ouest, chacun sent combien il est urgent de secourir les blessés et de grossir le petit groupe des combattants. Un peu avant la nuit, une première embarcation, amenant des renforts, est mitraillée, mais sans mal ; elle repart aussitôt. À la tombée de la nuit, une deuxième, puis une troisième accostent avec de nouveaux contingents. La dernière prend en remorque l’embarcation contenant les morts et les blessés. C’est dans son pays, au milieu de ses camarades, que viendra mourir le Lieutenant de la Croix et comme il l’a si ardemment souhaité, c’est la terre de France qui recevra sa glorieuse dépouille. Cependant, dans la petite tête de pont battue par l’artillerie ennemie, chacun s’est organisé un abri sommaire. Le Maréchal des Logis Belval essaie de régler une batterie sur un blockhaus qui tire encore, mais, pris par la nuit, il ne peut mener à bien son réglage.

Ainsi, au prix d’efforts inouïs d’une vigilance sans répit, malgré les pertes sévères, de maigres effectifs tiennent maintenant le premier coin du sol ennemi. Ils ont ouvert à la première Armée Française la voie de l’invasion de l’Allemagne.

Cette nuit d’attente et d’insomnie, les observateurs d’artillerie la passent au milieu de leurs camarades fantassins sous le feu des mortiers et des canons allemands. Le lendemain, ils contribuent pour une bonne part aux premiers succès.

Rheinsheim, Philippsburg, Neudorf, Russheim sont pris. L’opération a réussi.

Pour l’appuyer, l’A.D. a tiré, dans la seule journée du 31 mars, 7.500 coups de 105 et 2.500 coups de 155.

Ne pouvant encore traverser le Rhin en raison de l’insuffisance des moyens, les groupes de l’A.D./2 se portent le plus près possible du fleuve. Les détachements avancés d’observation demandent et règlent les tirs. L’équipe du II/63 se trouve à plusieurs reprises presque encerclée, à moins de 100 mètres des voltigeurs ennemis et regagne Graben à grand peine avec le dernier groupe de combat. Mais les tirs qu’elle fait déclencher de ce village sur les lisières des bois ôtent à l’ennemi toute possibilité de contre-attaque.

Le franchissement du Rhin par l’artillerie pose un nouveau problème. Les portières du Génie sont utilisées pour les véhicules légers. Le pont en construction à Spire n’est pas terminé le 2 avril. Une partie de l’État-Major de l’A.D. passe par le pont américain de Ludwigshafen. Le lendemain, toute l’artillerie franchit le fleuve, partie au pont de Ludwigshafen, partie au pont de Spire dont le Génie vient de terminer la construction.

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