Les Artilleurs et les Traditions > Tome A - Les artilleurs > 3- Témoignages d’artilleurs au combat > Indochine (1951-1952) : Lieutenant André ROUX >
9- Après l’hôpital, le retour en métropole
 

ARRIVEE A L‘HOPITAL DE HAIPHONG

Après un long parcours aux secousses douloureuses, le convoi de blessés arrive enfin à l’hôpital Ciais. On aligne les brancards dans une vaste salle, nous sommes 15, 20, je ne sais pas. Le chirurgien examine rapidement chacun de nous. Il passe une nouvelle fois, s’arrête en face de moi, et me désigne. Je dois être très mal pour passer le premier. Avant l’anesthésie générale, il me dit : « Je vais faire l’impossible, mais vous vous réveillerez peut-être avec une seule jambe ».

Quelques heures après je me réveille avec mes deux jambes, mais je suis dans une carapace de plâtre qui me recouvre depuis les doigts du pied gauche jusqu’aux aisselles. Je n’ai libre que la jambe droite, les bras et la tête. Bassin et poitrine sont complètement pris, je vais souffrir de ce plâtre qui me force à ne pas courber la colonne vertébrale et m’empêche ainsi de dormir. Si je parviens la nuit à m’assoupir, je suis réveillé par l’infirmier pour une piqure, car la pénicilline de l’époque est à renouveler toutes les trois heures. Autre désagrément, mon plâtre doit être changé tous les 45 jours sous anesthésie générale.

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Le lieutenant ROUX à l’hôpital d’Haïphong
dans son "plâtre momie"

Hormis les visites des copains de passage, j‘ai la chance d’être à Haiphong où se trouve la base arrière de 1er REC ; ils viennent me voir régulièrement, accompagnés de champagne et d’oranges.

Déclaré intransportable, j‘ai du attendre quatre mois, jusqu’au 11 juin, le navire hôpital Oregon, avant d’être embarqué pour la France, toujours dans mon plâtre.

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L’Oregon, paquebot des Messageries maritîmes
transformé en navire hôpital.

Le voyage a duré 36 jours jusqu’à Marseille. Nous étions trois dans la cabine, aux petits soins des infirmières, mais quand même immobilisés. Les hublots étant trop hauts pour nos couchettes, nous n’avons rien vu aux escales. J’étais très loin de mon rêve de retour en France par La Marseillaise, via le Japon, Hawaï, Panama. Nous avons cependant vu le soleil une fois, lors du passage du canal de Suez, où l’absence de vagues a permis d’être hissés sur le pont. Sortis des cabines avec une peau blanche, nous y sommes revenus peau rouge.

ARRIVEE A MARSEILLE LE 16 JUILLET

La France a réussi 1’accueil de ses 500 blessés. Un général est présent, une compagnie rend les honneurs, de nombreuses associations avec drapeaux. Le train hôpital est sur le quai. Embarquement accompagnés par des civils, probablement des anciens ou des cadres de réserve.

Départ du train, voyage sans problème. A l’arrêt en Avignon, les voyous qui avaient quelquefois profité de cet arrêt pour insulter et maltraiter les blessés ont disparu.

Arrivés à Paris de nuit, nous sommes rassemblés dans un grand hall, prise en charge rapide, je me retrouve dans une ambulance qui m’amène à l’hôpital Percy, à Clamart. Une chambre individuelle m’attend. Au matin, visite sommaire du chirurgien, déplâtrage, puis baignoire. Cette aile de l’hôpital est occupée par de jeunes officiers, la plupart revenus d’Indochine avec des jambes abimées, mais convalescents. J’y resterai dix mois. L’ambiance n’y est pas triste.

Après les soins quotidiens et les difficiles séances de kiné, il nous arrive d’organiser des courses de lits à roulettes dans les couloirs, grâce à nos béquilles pour la propulsion, et malgré les cris d’horreur des infirmières.

Les visites sont nombreuses, ma fiancée qui a su attendre, la famille et bien d’autres. Parmi les anciens du GAC AOF, la visite que j‘ai le plus appréciée est celle de mon radio de là-bas, venu à bicyclette de sa Normandie. Il faut également citer un visiteur inattendu venu passer un après-midi à l’hôpital chanter pour les blesses d’Indochine : Georges Brassens.

Ce séjour de dix mois au Tonkin, dont cinq vraiment opérationnels, m’a valu cinq citations, une du GM 7, deux de la Légion, et deux de l’artillerie. La Légion d’honneur m’a été remise quand j’avais encore 26 ans à la caserne du l0ème RAA devenue celle du 3ème RIMA à Vannes. J’ai repris du service en juin 1953 avec mes deux jambes et deux béquilles.

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Bien après, à la retraite et devenu délégué général du Souvenir Français pour le Morbihan, j’ai fait ériger à Lauzach, sur 2 500 mètres carrés, un mémorial à la mémoire des 440 Morbihannais morts pour la France en Indochine. Nous l’avons inauguré le 29 juin 2001.

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Témoignage rédigé par le général (2s) ROUX - Vannes - Avril 2014


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