Une étude [1] sur les tests de normalité de Lhoste, nous fait découvrir un artilleur de grand talent qui a joué un rôle important tant dans l’Artillerie coloniale, que dans les études conduites sur la régionalisation, et surtout dans la normalisation.
Ernest Lhoste est né en 1880. Il est reçu à l’Ecole Polytechnique avec la promotion 1901, puis à l’Ecole d’artillerie de Fontainebleau. Il sort dans l’Artillerie coloniale alors rattachée au Ministère de la Guerre mais qui dépend directement des Gouverneurs généraux et du Ministère des Colonies créé en 1894.
Après un bref séjour à Brest, Lhoste est affecté en Indochine, où l’Artillerie n’a plus qu’un rôle de réserve. Lhoste s’intéresse de près à l’administration coloniale et soutient en 1907 une thèse de droit consacrée à la réforme douanière dans les colonies. Cet intérêt pour la réglementation coloniale lui aurait été communiqué par son ministre de tutelle, Etienne Clémentel [2], ou par Raphaël Milliès-Lacroix [3] un ancien ministre des Colonies. Le jeune lieutenant Lhoste n’est pas un cas singulier, il est à l’image des officiers polytechniciens de son corps qui mettent au service de l’économie militaire et civile, et sous tous ses aspects, leur intelligence et leur habileté à manier les chiffres et les opérations qui les enchaînent.
Après un premier séjour en Cochinchine, le lieutenant Lhoste est un moment en poste à Rochefort puis rejoint le Tonkin où il est nommé capitaine en 1913.
En 1914, le capitaine Lhoste commande une batterie, puis est vite détaché dans les services techniques du Ministère de la Guerre, et tout d’abord au centre d’organisation de l’Artillerie Lourde à Tracteurs. Car, dès le début de la guerre il apparaît que les Allemands ont une meilleure artillerie lourde que les Français. Il est alors procédé dans le courant de l’année 1915 à une complète réorganisation de l’Artillerie Lourde Française et notamment de ses moyens de déplacement. Des tracteurs mécaniques tous terrains sont commandés en grand nombre aux usines Renault qui les produiront en série dès le début de l’année 1917, en appliquant les nouveaux procédés de standardisation et de taylorisation, alors introduits pour la première fois en France. Cette mécanisation entreprise devait conduire naturellement à la conception et la mise en fabrication des chars de combat à l’initiative du général Estienne.
Le capitaine Lhoste est affecté ensuite au Service Technique de l’Artillerie, place Saint-Thomas d’Aquin, où il termine la guerre. Lhoste quitte la rationalisation commerciale et industrielle pour aborder la science des bouches à feu, l’une des plus anciennes et des plus développées qui soient. Il ne s’agit plus de gestion, d’administration, d’organisation mais de questions théoriques fondamentales et traditionnelles de balistique intérieure et extérieure : comment corriger les tables de tir, régler les tirs, répartir les pièces pour optimiser leur efficacité, etc. Le capitaine Lhoste se trouve au contact des grands balisticiens militaires des artilleries françaises terrestres et navales et des universitaires purs mobilisés au service de la Défense Nationale, qui travaillent à la « Direction des Inventions » [4]. Dans ce nouveau cadre, il se spécialise en balistique extérieure, et notamment dans la variabilité de la densité de l’air qui affecte sensiblement les trajectoires des projectiles. Il entreprend une série d’études de statistique mathématique, portant sur l’estimation bayésienne des paramètres d’une loi normale. Les travaux de Lhoste repris et publiés seulement en 1923 sont maintenant considérés comme tout à fait novateurs. C’est probablement dans cette même période que Lhoste a l’idée de son procédé « rationnel » de vérification de la loi de Gauss, publié plus tardivement encore.
Au sortir de la guerre, le capitaine Lhoste est attaché à l’Ecole Polytechnique en qualité d’« inspecteur des études ». Il profite de cette situation privilégiée pour passer sa licence ès sciences à la Sorbonne. Il y suivit, avec les élèves, les premières conférences de calcul des probabilités faites par Paul Lévy [5] à l’Ecole polytechnique en 1919. Le capitaine aurait été à son insu à l’origine d’une des grandes théories développées par Lévy au cours des quinze années suivantes.
Promu chef d’escadron en 1924, Lhoste est attaché de nouveau au Service Technique de l’Artillerie. C’est à ce moment-là qu’il fait publier ses articles statistiques, mais il travaille principalement au Conseil Supérieur de la Défense Nationale [6]. Lhoste est chargé plus particulièrement de la mobilisation. C’est là sans doute qu’il prend conscience des nécessités de la normalisation industrielle en temps de paix et du retard pris par la France dans ce domaine. Il rejoint les rangs de ceux qui, au lendemain de la guerre, militent pour une modernisation durable de l’industrie française. Il croise ainsi de nouveau la route de Clémentel, ministre du commerce à partir de 1915, qui tente de mettre en œuvre un programme de rationalisation économique articulé autour de quelques grandes idées : d’abord la nécessité de ce qui ne s’appelle pas encore la « Régionalisation », c’est-à-dire le regroupement des départements en « régions économiques », et puis l’introduction systématique du taylorisme et de la « standardisation » qui deviendra bientôt la « normalisation ».
En septembre 1926, Lhoste est placé en disponibilité et détaché au Ministère du Commerce où il assure successivement (ou simultanément) deux fonctions très importantes dans le dispositif Clémentel :
Lhoste s’est toujours efforcé de privilégier la solution de la raison partout où il s’est trouvé en position de le faire : réglementations douanières coloniales, estimations bayésiennes, organisation de l’Artillerie lourde, définition des régions économiques, et enfin normalisation [8] industrielle à l’AFNOR. En 1938, il est nommé directeur général de l’AFNOR. Il occupera cette fonction jusqu’à sa mort prématurée en 1948.
[1] faite par N. Hadjaddji Seddik-Ameur et publiée par la revue Mathématiques et Sciences Humaines (n°62 - 2003)
[2] Etienne Clémentel (1864-1936), un parlementaire radical-socialiste, député puis sénateur du Puy-de-Dôme, plusieurs fois ministre sous la IIIème République.
[3] Raphaël Milliès-Lacroix, sénateur des Landes né en 1850, ministre des Colonies d’octobre 1906 à juillet 1909 qui a entrepris de réformer les tarifications douanières dans les Colonies
[4] « Direction des Inventions », 23 bis rue de l’Université, juste derrière la place Saint-Thomas d’Aquin
[5] Pendant la grande guerre, Lévy avait également été mobilisé dans l’Artillerie, mais dans le tir contre avion, à la Commission de Gâvre, où il dut manipuler souvent la loi de Gauss.
[6] Cet organisme créé en 1906 a pour fonction depuis 1921 de préparer les mesures de mobilisation humaine, économique et administrative pour le temps de guerre.
[7] Commission créée en 1919 et présidée par Clémentel c’est l’organe directeur de la nouvelle normalisation française.
[8] La normalisation est une idée ancienne et nouvelle dans la France des années trente. Dès la seconde moitié du 18e siècle, la réforme Gribeauval est fondée en partie sur les nécessités d’une normalisation des pièces d’artillerie.