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5- Le rôle des anciens dans la vie du Repérage - Colonel Thiberge
 

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Le colonel THIBERGE est le Président de la Fédération

Quelle faveur insolite a pu valoir à la Fédération Nationale des Anciens du Repérage d’organiser cette cérémonie du Cinquantenaire, tenue sous de prestigieux auspices, alors que le Repérage demeure au sein de l’Armée active une formation toujours vivante, et même appelée à voir encore élargir sa mission, comme vient d’en augurer le général Beauvallet ?

Quand disparurent, en 1919, les Sections de Repérage de 1914-18, leurs chefs, leurs "inventeurs", presque tous des réservistes, retournèrent à la vie civile et rien ne semblait devoir subsister de leur expérience technique, si personnelle et si variée. Seul, peut-être, songeait encore au Repérage Pellion, un officier d’active, qui fit rendre vie à cette spécialité et constitua en 1921 un Groupe de Repérage avec une S.R.S., une S.R.O.T. et aussi une Télémétrie, issue de l’ A.L.V.F. et douée d’une valeur géodésique.

Le Groupe de Repérage reçut à Saint-Cloud, chaque année, une dizaine de jeunes officiers, polytechniciens, normaliens, E.O.R. le plus souvent licenciés ès-sciences ; pour ces studieux la matière était passionnante, et les premiers d’entre eux partirent avec zèle, au quartier comme aux camps, à la recherche des secrets enfouis du repérage de guerre.

Le Groupe leur ouvrit une école de perfectionnement, ils se mirent tous à la fréquenter, les aînés de 1914-18 furent prompts à la repérer, à s’y mêler à leurs cadets dont ils partagèrent les études en toute modestie ; les cadets, dont j’étais, purent recueillir de leurs aînés des renseignements précieux.

Qu’apportaient donc les Repéreurs vétérans de 1914-18 ? Sûrement pas certaine forme d’un esprit "ancien combattant enclin à monopoliser le passé, à giberner sur des souvenirs de guerre, ou à supputer les chances d’un avancement. Mais une culture diverse, ouverte sur les données de la science et des techniques, une propension à les convertir en réalisations proprement utiles au Repérage, surtout une docilité loyale à accepter, en tout, la leçon des faits.

Aucun de nos anciens n’aurait infléchi une visée pour réduire un chapeau, ou retouché une décimale pour améliorer une fermeture ; aucun des cadets ne l’envisagea après eux. Nous recherchions ensemble la précision que requérait la méthode, simplement, obstinément, sans nous bercer d’illusion si un canevas sans cohérence ou des observations sans netteté ne permettaient pas de l’atteindre ; annoncions-nous d’un repérage précision 200 mètres, nous restions impavides s’il arrivait à un chef impatient de nous opposer l’exemple de tel observateur voisin qui annonçait, lui, en unilatérale, précision 1 mètre.

C’est dans cette ambiance que s’établit rapidement une collaboration féconde entre aînés et cadets, sans condescendance des uns ni désinvolture des autres, attentive à l’intelligence et à l’ardeur, mais indifférente au grade, empreinte des relations d’une franche camaraderie : tous, caractères si typiques du Repérage ; bientôt les aînés éprouvèrent cette sécurité, en esprit et en amitié, d’avoir pu transmettre à leurs cadets, au cours de rencontres multipliées, la totalité de leur héritage.

Car chacun se rendait à Saint-Cloud à sa guise, les Parisiens surtout ; le Quartier Sully recevait, chaque dimanche, tous les laborieux, le mess même s’ouvrait en semaine à qui disposait de la liberté d’un repas. Qui dira le prix de tant de liens que le Groupe a dus à tenir garnison aux portes de Paris ? Les officiers d’active, dans leurs mutations fréquentes entre le Groupe, le Service Géographique et les Directions du ministère, trouvèrent chez leurs réservistes, chez les anciens du Repérage, aussi longtemps que ce fut utile, l’élément de tradition, le gage de continuité, le facteur de progrès sur lesquels ils purent se fonder pour construire solidement l’avenir.

Qu’apportaient en retour les officiers d’active à leurs camarades réservistes ?

D’abord, ils nous faisaient un incessant rappel de notre qualité d’artilleurs au service de frères artilleurs ; ils écartaient de nous la tentation de raffiner sur la conquête d’un mètre dans la précision quand la contre-batterie n’en demande pas vingt ; ils nous inculquaient la notion de délai, car il eût été vain de donner un repérage excellent une fois évanouie la batterie nomade à saisir sur son fait ; ils nous initiaient aux mœurs des artilleurs, les nôtres pour faciliter leurs réglages son sur son, ceux d’en face pour éventer leurs ruses et les repérer par surprise.

Enfin, et surtout, ils se montraient disponibles à tout moment, ils nous accordaient un accueil confiant, ils ne prêtaient pas attention plus que nous à l’âge ou au grade, ils nous précédaient en éclaireurs sur notre voie et suscitaient toutes les occasions de confirmer notre vocation. C’est ainsi,puis-je l’avouer ? -que, dans l’été 1925, pour avoir eu vent d’expériences confiées à notre Télémétrie par le commandement qui devait arbitrer entre les matériels S.O.M. et SIOP. destinés aux S.R.C.F.H., j’émis le désir d’y assister ; je reçus aussitôt une convocation pour Mailly et une part appréciable de responsabilité, j’avais tout juste vingt-cinq ans.

Nous estimions la haute valeur de nos camarades d’active, nous pressentions leurs perspectives d’avenir, - ils devaient tous accéder aux étoiles, - et nous étions touchés de les voir s’insérer de tout cœur dans le circuit de nos amitiés ; leur présence aujourd’hui montre la fidélité de ces liens affectifs, je leur exprime à tous le merci unanime de nos camarades.

Cette convergence d’intentions se manifesta clairement quand fut créée l’Amicale des Officiers du Repérage, présidée par Albert Pérard, directeur du Bureau international des Poids et Mesures, et que le ministre de la Guerre autorisa les officiers d’active à lui apporter leur adhésion.

Parallèlement, nos sous-officiers formaient une élite nombreuse, non moins sensible à l’intérêt de la spécialité qu’à l’attrait de la garnison ; ils se groupèrent autour de Rieul Paisant en une amicale de quelque cinq cents membres, presque tous assidus à leur propre école de perfectionnement, et qui devint vite pour nous une pépinière d’officiers.

Sous-officiers et officiers de réserve se préparaient ainsi ensemble, d’urgence, à des lendemains sombres, car les vingt-trois batteries de Repérage constituées à la mobilisation de 1939 ne devaient guère comporter que des réservistes : dans ma chère 6e Batterie, - neuf officiers, quarante sous-officiers, - notre adjudant seul était de carrière.

Puis ce fut la guerre, l’occupation, la captivité ou la déportation. Nos Associations entrèrent dans silence, mais chacune de nos batteries forma son amicale propre, où s’unirent, comme au combat, hommes de troupe, sous-officiers et officiers, pour soulager des détresses ; nous pouvions, par ce moyen, conserver des contacts, échanger des nouvelles et entretenir en secret nos espérances. A la libération, ces amicales de batteries vinrent rejoindre nos amicales d’officiers et de sous-officiers au sein d’une Fédération Nationale des Anciens du Repérage, d’environ trois mille membres, que présida notre regretté Robert Desgrais.

Telle est cette Fédération, unie sans acception de grade, reflet très pur de notre esprit d’équipe, qui s’exprime par notre bulletin des "Sioux", et qui personnifie désormais notre vie de Repéreurs, vie de souvenir dans nos cérémonies annuelles des Invalides et de l’Arc de Triomphe, vie d’amitié lors de notre Sainte-Barbe, et aussi, à l’école comme aux camps, vie de travail qu’aucun de nous ne consent à quitter avant son honorariat.

Voici, en effet, que nos camarades se sont remis aussitôt à l’ouvrage ; à Paris, le général de Winter rendit notre école à l’activité : nous gardons un souvenir ému de cette séance inaugurale où nos vétérans de 1914-18 vinrent affirmer par une présence solennelle leur foi en notre avenir.

A Thionville surtout, dès 1950, le colonel Nicollet, puis le colonel Beauvallet nous appelèrent à participer à la soudure entre le Repérage français de 1939 et le Repérage américain de la campagne d’Italie et de France, comme nos devanciers avaient participé à la soudure de 1922 ; nous nous y sommes dépensés de notre mieux, léguant à notre tour le dépôt que nous avions reçu, et agissant en profondeur avec cette continuité d’autrefois, pendant que le personnel d’active subissait des rotations rapides vers l’Indochine ou l’ Algérie.

Mais Thionville est loin, la distance ne permet plus les échanges incessants d’autrefois, moins de jeunes réservistes ont adhéré à notre Fédération ; du moins, savons-nous que le Repérage reste dans les meilleures mains et que la diversité des matériels et des techniques d’emploi, loin de présenter un risque de dispersion, a suscité un renouveau d’imagination créatrice ; une doctrine s’est élaborée pour transcender la variété des appareillaoes, il s’est dégagé une philosophie du Repérage qu’a su mettre en forme le colonel Albafouille et qu’a consacrée le général Perrotat, alors inspecteur de l’Artillerie, l’un des nôtres aussi.

Quant à l’ambiance, elle reste celle de toujours, celle du labeur dans la confiance et dans l’amitié, nos camarades d’ Hettange s’en portent garants avec nous et je salue avec joie leur délégation. Sur leur demande au ministre de la Défense nationale, leur camp porte depuis 1953, le nom de notre camarade Guyon-Gellin, le premier tué de nos officiers en 1940, dont le caractère aussi précis que fougueux, le sens du devoir poussé jusqu’au don total, demeurent un exemple des vertus des Repéreurs.

Avec Guyon-Gellin, nous évoquons les nombreux camarades qui tombèrent au cours des deux guerres dans leur mission de Repéreurs au plus près de l’ennemi et nous associerons leurs familles à notre souvenir fidèle : cette fidélité n’autorisait-elle pas notre Fédération à assumer, en ce jour, la tâche d’exalter le Repérage, auquel elle s’est tant identifiée ?

Résolument attaché à sa vocation, je formule en son nom notre ultime vceu .

Puisse cette cérémonie solennelle ne pas marquer simplement une étape après ce parcours fécond des cinquante ans de notre passé de Repéreurs, mais imprimer un nouvel élan de foi à nos camarades actuellement à l’œuvre. et confirmer le crédit du commandement en l’efficacité de la mission qui fut la nôtre et qui reste la leur !


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