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3- Le Repérage entre les deux Guerres - Général Nicollet
 

Je dois vous parler de la période de 1919-1940 : pour beaucoup, c’est l’entre-deux-guerres ; pour d’autres, ce sont les années folles pour le Repérage, c’est la métamorphose.

1919 : on démobilise. On remet en ordre. On rassemble des formations non enrégimentées, qui paraissent insolites - sinon suspectes - aux administratifs...

Ainsi naît, sous le commandant Pellion, le 6° Groupe Autonome d’ Artillerie (trois soutaches à l’écusson), qui erre dans les forts du Nord de Paris, Montlignon, Montmorency, et trouve enfin, en 1923, un gîte à Saint-Cloud, au Quartier Sully, ancienne caserne des Cent- Gardes, fief actuel de la D.E.F.A. et plus connu « de notre temps » sous le vocable de « Pavillon Rose », sans doute à cause de sa tendre couleur, mais aussi par analogie et par contraste avec son célèbre voisin, le « Pavillon Bleu », qui avant d’offrir sa vie pour que naisse l’autoroute, avait abrité des milliers de mariages bourgeois, et plus encore de noces bourgeoises C’est là que, sous le sigle 6° G.A.A., se réalisa l’union S.R.S.-S.R.O.T., union tout indiquée, puisque les deux associés avaient les mêmes objectifs et possédaient des qualités complémentaires face aux embûches du relief et de la météo.

Deux compagnies (sic), une « Son » et une « Observation Terrestre », avec, pour mémoire, au fort de Domont, une compagnie de plantons du Service géographique, formèrent ce que tout le monde appellera bientôt le « Groupe de Repérage », ce groupe de repérage qui allait connaître une période révolutionnaire au cours de laquelle s’imposa le Parti du Mouvement, il est vrai que nous vivions l’ère du Charleston !

Les Sections de repérage par Observation Terrestre et par le Son étaient filles d’une guerre de siège. Organes de Secteur, elles suivirent avec peine, - ou ne suivirent pas, - lorsque les fronts s’ébranlèrent.

En 1925, il leur en restait quelque chose... A dire vrai, elles quittaient bien, et peu à peu davantage, Saint-Cloud pour Mailly, mais, là, le central de manœuvre se retrouvait immanquablement à la baraque K et, sur le plan directeur du camp, super-fixes et imprimés, se voyaient les observatoires S.R.O.T., P l, P 2, P 3, P 4, de la Croix-des-Vignes au Tilleul-de-la-Crête-de-l’Orme.

Le Repérage faisait de l’immobilisme sans le savoir !...Mais, pour qu’il apprît à se mouvoir, il lui fallait d’autres véhicules que ces carrioles à deux roues baptisées « arabas ».

Il lui fallait de quoi accélérer la topographie de ses postes. Il lui fallait de quoi raccourcir l’interminable déroulement de ses 80 à 100 km de câble de campagne.

Il lui fallait, par-dessus tout, une impulsion, c’est-à-dire un homme.

Cet homme fut, tout simplement, - le grand maître de l’Artillerie. Le général Maurin avait un gendre à Saint-Cloud, et cela l’inclina peut-être à s’occuper du 6° Groupe...

En tout cas, il s’intéressa et il agit.

A partir de 1927, il fit au 6° G.A.A. une injection annuelle de jeunes lieutenants à formation scientifique, - dont, en cinq ans, neuf polytechniciens, - et, pour les guider, il leur donna pour chef le plus lucide, le plus ironique, le plus bienveillant, le plus aimé des patrons : le regretté commandant Lhote.

Et alors commença la métamorphose attendue...

Cela se mit à remuer, lentement d’abord, ensuite de plus en plus vite. Plus d’arabas, mais des gazogènes, puis des Citroëns Kéoresses à chenilles, une par poste ! et qui pouvait sortir des routes ! - Gain de temps énorme pour faire les reconnaissances et pour dérouler le câble téléphonique !

Simultanément, la topographie grignotait des minutes et même des heures. Là, les progrès vinrent des S.R.C.F.H. (Sections de Réglage par Coups Fusants Hauts), vulgo S.O.M. Celles-ci avaient succédé aux Sections Télémétriques de la guerre, dont les observateurs regardaient le ciel en se courbant sur un bain de mercure ! Utilisées pour intersecter des points, elles permirent de remplacer en partie les multiples et longs cheminements. Mieux, désormais, les déterminations de nuit devenaient possibles en visant des loupiotes, des projecteurs, ou même des fusées.

Restait à se débarrasser du fil, et à ce propos, il me faut ouvrir une parenthèse.

Le Service Géographique de l’Armée fut un peu le parrain et la nourrice du Repérage ; ses groupes de canevas de tir firent à l’origine la topographie des sections ; ses spécialistes de l’optique veillaient sur l’observation terrestre, et c’est à lui qu’appartenaient en propre le matériel S.R.S. Nombre de ses officiers effectuèrent au Repérage leur temps de corps : ainsi, c’est du Service Géographique que venait le commandant Lhote. C’est lui encore qui maintenait à Saint-Cloud un laboratoire pour l’entretien et le perfectionnement du matériel ; c’est en liaison avec lui que travaillaient les chercheurs que furent M. Cathiard et le commandant Bourdiaux.

Restait donc à se débarrasser du fil. On vit alors se lancer dans la mêlée le laboratoire. Le « poste à poste en duplex » était obtenu, dès 1932, et un matériel permettant l’intercommunication du central et des postes S.R.O.T., était en expérimentation en 1937.

Malheureusement, le son demeura attaché à son câble ; il l’est encore, hélas ! Il a failli être libéré vers 1953 si on avait pu disposer de 40 millions de l’époque pour construire une S.R.S. expérimentale en utilisant un matériel dû aux connaissances scientifiques et aux avances de fonds d’un groupe d’officiers de réserve réunis grâce au président Thiberge et parmi lesquels il faut citer les camarades Brachet et Beaudoin.

Mais revenons à l’entre-deux-guerres.

En moins de cinq ans, de 1929 à 1933, grâce aux progrès que nous venons de signaler, les durées de déploiement étaient passées, en terrain moyen, de douze heures à quatre heures pour la S.R.O.T. et de vingt-quatre heures à dix heures pour la S.R.S.

Parallèlement, la lutte contre la montre s’était étendue au fonctionnement des sections.L’hyperbolographe du lieutenant Tayeau accélérait grandement le dépouillement des bandes enfumées de la S.R.S., tandis que l’emploi du poste directeur amenuisait la part du hasard dans le repérage aux lueurs.

On avait même lancé l’étude d’un poste mixte S.R.O.T. - S.R.S., combinaison de cellule photo-électrique et de microphone orientable.

Enfin, on mettait au point le rôle et les moyens de l’échelon « Batterie de Repérage » en souhaitant tout bas sa rapide transformation en groupe à deux batteries mixtes S.R.O.T.-S.R.S.

Une doctrine d’emploi était née. Des règlements la codifièrent. Ils furent la Loi et les Prophètes pour les vingt-trois batteries de Repérage prévues à la mobilisation et numérotées de 1 à 19, puis de 21 à 24 pour celles des intervalles de la Ligne Maginot qui eurent, en 1936, leur propre batterie-support à Metz.

Considérée comme l’élément essentiel du S.R.A. (Service des Renseignements de l’Artillerie) qui recoupait ses résultats par ceux du ballon, de l’avion, de la photo aérienne, des observatoires de groupement, sans oublier les Sections d’étude de Débris de Projectiles, la Batterie de Repérage était désormais outillée pour combattre.

Que valaient ses combattants ?

Les cadres, presque uniquement réservistes, étaient en liaison constante, technique et morale avec Saint-Cloud.

Le rayonnement, lumineux et sonore, bien sûr, -issu du « Pavillon Rose », vibrait sur toute la France. Si, chaque dimanche matin, les camarades parisiens venaient travailler à Saint-Cloud, à Pâques, aux grandes vacances, en automne, les provinciaux affluaient aux séries de six jours. Et c’était en grande partie pour instruire les réserves qu’avaient été montées des lignes téléphoniques fixes en lisière sud de la forêt de Marly, avec un P.C. proche de Roquencourt qui devançait ainsi en ces lieux une autre organisation presque aussi importante bien que moins homogène...

Car elle était homogène, l’équipe des Repéreurs ! C’était un cocktail de professeurs de sciences et d’ingénieurs, de savants et d’hommes d’affaires, avec une bonne rasade d’ architectes et un soupçon d’avocats. La volonté d’aboutir et une remarquable bonne humeur avaient brassé ce mélange, dont la saveur a séduit tous ceux qui ont pu l’apprécier.

A de pareils chefs était attachée une troupe choisie : des compétences, - et aussi quelques pistonnés, - mais tous gars fiers de leur spécialisation et animés, eux aussi, de cette soif de résultats qui classe le Repéreur entre le collectionneur et le chasseur passionné.

A cinq ou six reprises, chaque année, des « Batteries » de manœuvre (et non plus des compagnies !) comportant une part de réservistes travaillaient avec les Artilleurs et pour eux.

De Coëtquidan à La Courtine, du Valdahon à Modane, en passant par les camps de Champagne, on voyait les écussons rouges à soutache triple.

Une bonne partie de l’armée connaissait désormais le Repérage et les artilleurs qui l’avaient vu à l’œuvre croyaient en lui.

Vint la guerre. Ses formes de 1939-1940 n’offrirent aux disciples de Saint-Cloud que peu d’occasions de se mettre en valeur. Toutefois, les batteries réellement engagées se montrèrent à la hauteur de leur tâche. J’ai vu la 18°, par exemple, dans la nuit du 15 mai 1940, effectuer un changement de front de 90 degrés avant de participer à la découverte des obusiers qui écrasaient nos casemates et aux recoupements qui firent surprendre par nos feux, en pleine relève, une division ennemie, affaire qui coûta à l’adversaire, selon une revue allemande de 1942, près de 70 % de pertes.

Avec le solstice de juin se termine la phase purement française du Repérage.

Par la suite, à partir de 1943, apparaîtra une autre forme, la variété « retour d’Amérique », conçue pour du personnel rapidement initié et doté de riches moyens modernes.

Mais la cloche sonne pour le dernier tour. Ma part de la course-relais s’achève et j’ai la joie, comme au 25° R.A. à Thionville, il y a douze ans, de passer le témoin au général Beauvallet.


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