a. Système et matériel de base du IIIe/25e RA au 6e GR
En observation terrestre ou repérage par le son, le Groupe de Repérage conserve le matériel américain qui a fait ses preuves. Il reçoit dans l’immédiate après-guerre de nouvelles dotations au titre du programme d’aide militaire établi entre les USA et les pays européens :
Pour les SROT, le principe de repérage par intersection de visées restant le même, le matériel reste très classique ; c’est un cumul des anciens instruments français du 6e GAA et des outils américains. Aucune grande innovation n’apparaît mais il se dégage une volonté d’informatisation et de standardisation des activités au sein du Central. Il est à noter que l’équipement SROT décrit ci-dessous se maintient jusqu’à l’abandon des sections, soit une durée de vingt ans.
Les postes d’observation sont typiques du mélange entre matériels anciens et nouveaux.
On retrouve le cercle de visée modèle 1924 et le théodolite simplifié modèle 1933, étudiés longuement dans la partie précédente. Une boussole et des paires de jumelles de campagne proviennent également de l’ancienne dotation d’avant-guerre. Les repéreurs utilisent toujours les lots de petit matériel topographique simplifiés mais facilement transportables mis au point en 1933. Deux nouveaux instruments optiques, les binoculaires SF 14 et USM 65, équipent ces postes et côtoient cet ancien équipement. Elles sont toutes deux utilisées pour l’observation et les mesures des angles horizontaux et verticaux. Elles permettent des lectures de précision, par opposition au cercle de visée 1924 qui est un appareil de recherches immédiates. L’USM 65 semble la binoculaire la plus utilisée et attire plus l’attention, d’autant qu’elle ne diffère de la SF 14 que par l’ajout de graduations et de réticules. Elle est composée de deux éléments périscopiques : l’élément de droite contient un réticule destiné à la mesure des écarts angulaires en direction et en hauteur. Les périscopes se montent sur un support muni d’un niveau circulaire pour la mise en station, d’une graduation avec micromètre pour la mesure des gisements et d’un système d’orientation. L’écart des branches ne pouvant être réduit, l’appareil ne permet pas une vision stéréoscopique accentuée. La précision de la lecture des écarts angulaires est de l’ordre de un millième. Cet instrument accuse toutefois une légère fragilité qui occasionne des jeux à long terme et diminue les possibilités. Apparemment, le GR français ne dispose pas du nouvel instrument américain M 4, une nouvelle binoculaire non périscopique, plus stable et mieux équilibrée que la M 65. Le dernier défaut de l’USM 65 tient dans un éclairage de nuit trop visible de l’extérieur.
Dans les centraux, le matériel continue sa modernisation. Le BD 70 et le GTC 1 sont deux centraux téléphoniques, munis chacun de six voyants lumineux pour les six directions de poste d’observation afin de s’assurer de la simultanéité des phénomènes. Tous deux sont enfermés dans un bâti repliable permettant un transport rapide et pratique (en opposition avec les anciens centraux français). Le GTC 1 présente plusieurs avantages par rapport au BD 70 dont il est en fait tiré. Il permet tout d’abord de garder une liaison directe avec la BR tout en exploitant les six observatoires. De plus, l’observation par pile remplaçant les batteries, le GTC 1 est plus léger d’une trentaine de kilos et donc plus maniable. Enfin, il présente une bien meilleure étanchéité grâce à ses parois métalliques qui succèdent aux parois en bois du BD 70.
C’est au niveau du matériel d’exploitation graphique que l’influence américaine est la plus visible. Le GR continue d’utiliser les instruments des GOA qui ont fait la preuve de leur complémentarité et de leur efficacité. La table à fil est une table à dessin qui sert à vérifier rapidement que les observations se rapportent à un même phénomène et à trouver les coordonnées rapprochées. Les observatoires sont indiqués par des punaises de couleur auxquelles correspond une échelle graduée en gisement marquée sur le bord de la table. Un fil élastique fixé à la punaise matérialise les directions communiquées. La table à tracer mécanique constitue l’instrument de précision par rapport à la table à fil. C’est une table circulaire d’un mètre de diamètre, graduée de dix millièmes en dix millièmes sur sa circonférence et munie d’une règle mobile reliée au bâti par un parallélogramme lui imposant une direction fixée.
Il faut enfin ajouter à ces instruments un équipement en moyens radio avec une dotation d’un poste par observatoire, ce qui constitue un net progrès et autorise un minimum de mobilité par les équipes de guetteurs.
L’ancien ensemble américain micro TB 21 - enregistreur GR 3C présente de nombreuses failles : absence d’écoute continue, multiplicité de relai, fonctionnement onéreux. Au début des années 1950, les repéreurs décident de lui substituer un nouveau matériel lui aussi d’origine américaine :
Là encore, en marge du système général, le matériel américain apporte sa contribution dans le matériel d’exploitation et de correction des données. Les Etats-Unis mettent au point des systèmes de correcteur de vent ou des abaques de correction de températures dont le caractère pratique séduit les repéreurs français.
b. Insuffisance des dernières tentatives de modernisation
Les systèmes de base utilisés par les SROT ou les SRS sont certes remis au goût du jour mais ne constituent pas une panacée. Les armes et les conditions du combat changent très vite alors que les problèmes dont souffre le repérage traditionnel ne sont toujours pas résolus. Les sections classiques n’arrivent pas à s’adapter au rythme imposé malgré quelques soubresauts et des recherches pourtant prometteuses.
Cette spécialité très présente dans le Repérage est la seule à pouvoir présenter des atouts considérables qui lui permettront de tenir son rang après la disparition des SRS et SROT. Elle sait bénéficier des innovations technologiques pour se renouveler et présenter des instruments nouveaux. Plusieurs documents les répertorient et présentent leurs caractéristiques [1] :
Des recherches de bonification des systèmes se poursuivent, notamment sous l’impulsion des officiers de réserve qui proposent leurs solutions aux repéreurs actifs. Ces derniers essaient d’abord de tirer le meilleur parti de leur matériel GR 8 en améliorant la disposition des bases de microphones. Les bases longues présentant un certain nombre d’inconvénients (longueur des liaisons, délai de mise en place, difficulté de cohérence topographique), on essaie de leur substituer des bases plus courtes, de l’ordre de quelques centaines de mètres seulement. Mais celles-ci impliquent d’autres travers : intersection des angles faibles, d’où imprécision des déterminations, influence des déformations locales de la surface de l’onde sonore qui risque de tromper tout le dispositif.
En 1951 et 1952, les repéreurs du III/25e RA mettent au point la méthode des tandems de triangle qui assure toutes les qualités des bases longues sans en avoir les inconvénients. La base courte à deux micros est remplacée par une base de trois micros disposés en triangle équilatéral de trois à quatre cents mètres de côté. L’ajout d’un troisième micro permet de pallier l’éventuelle panne d’un micro, diminue l’influence des déformations locales et augmente la précision. Cette base de trois micros donne une direction de la source sonore. Un tandem de deux bases donne une intersection loin de la source sonore, comme dans le système COTTON-WEISS. Le fonctionnement de ces bases triangulaires est permis par la précision de quelques millièmes de seconde des nouveaux micros, qui autorise à les rapprocher entre eux.
Les repéreurs tentent également de trouver le moyen de faire repérer au son d’autres bruits du champ de bataille que l’onde des canons. Mais un tel repérage se heurte à des problèmes apparemment insolubles dans l’immédiat. La similitude absolue des micros et des systèmes est exigée pour capter correctement le faciès des différents signaux. De plus, l’exploitation de bruits sonores très faibles demande de pouvoir utiliser les modifications microscopiques de l’air. L’échec de ces recherches sera accéléré par le perfectionnement du radar qui constitue lui un excellent moyen de surveillance générale.
On essaie aussi de pallier les accidents de propagation des ondes sonores dus à la surface du sol, en élevant les micros à quelques dizaine de mètres au-dessus. Mais la vulnérabilité du système trop visible et les problèmes de topographie engendrés ne permettent pas, là non plus, d’aboutir.
Autour de 1965, chacun se rend compte des limites techniques du matériel SRS. Des études sont entreprises pour obtenir une transmission automatique des informations, de nouveaux microphones plus sélectifs et des calculateurs. Mais la montée en puissance du radarage ne laisse pas le temps d’achever ces travaux.
Enfin, l’élément qui joue le plus en défaveur des SRS est leur incapacité à se passer des fils téléphoniques. Contrairement aux SROT qui ont réussi sur la fin des liaisons radio, les SRS n’ont jamais su résoudre ce problème. Des problèmes de financement n’ont pas permis l’expérimentation de nouvelle section radio en 1953-1954.
A l’image de leurs homologues, elles essaient également de s’adapter mais se trouvent très vite dépassées par rapport aux possibilités qu’apporte le Radar. La principale difficulté qui se pose à la SROT est le repérage des moyens de feu ennemis qui ne sont plus seulement des canons mais aussi des fusées dont certaines sont tirées depuis la profondeur du dispositif. Les roquettes, fusées ou missiles laissent beaucoup moins de traces exploitables que les canons : peu de fumée, phénomène lumineux trop fugitif.
Le n° 9 de la revue SIOUX [2] relate les essais d’une SROT utilisant la télévision comme moyen de surveillance en 1956 Des sortes de caméras sont disposées en divers endroits et sont reliées à un écran placé en arrière, par l’intermédiaire duquel les observateurs, à l’abri, peuvent avoir une vue d’ensemble de la zone. Ces essais de SROT par TV, malgré leur originalité, ne semblent pas avoir eu beaucoup de succès en France.
Les repéreurs du 6e GR s’emploient eux à trouver de nouveaux moyens de repérage sur les trajectoires de fusées. Du 07 au Il mai 1966, ils expérimentent divers systèmes à Grafenwohr sur un tir de huit roquettes Honest-John, dont quatre de nuit. Le premier des procédés utilisé est un cercle de visée modifié. Les résultats s’améliorent au cours de la manœuvre mais restent en deçà des besoins pour plusieurs raisons : manque d’entraînement du personnel peu habitué à des délais si courts, grande fatigue des guetteurs, nécessité de connaître un gisement d’attente pour pouvoir diriger son observation. La simplicité d’emploi de l’instrument ne compense pas sa faible valeur opérationnelle dans ces conditions particulières. Par contre, le deuxième procédé mis au point est tout à fait encourageant. Il s’agit d’un système de trois appareils sur lesquels on teste des filtres, des focales et des ouvertures différentes. D’excellents résultats sont obtenus et les rampes sont repérées à quinze kilomètres de jour et jusqu’à vingt-cinq kilomètres de nuit. La précision obtenue satisfait tous les observateurs et de nouvelles observations sont prévues afin de déterminer les meilleurs films et les meilleurs appareils possibles. Là encore, cette piste sombre dans l’oubli, probablement confrontée aux avantages du radar.
Tous ces travaux et ces rapports datant de 1965-1966 sont en fait le dernier baroud d’honneur du Repérage classique qui disparaît faute de pouvoir s’adapter à ses nouvelles missions. Le maintien du renseignement d’artillerie passe par une remise en cause de ses bases traditionnelles.
[1] La topographie militaire, Chef d’escadron Laisne (6°GR) et le Colonel Marquet
Compte-rendu du Comité d’Etude sur le Repérage, Colonel DUBOST, commandant l’artillerie de la 6e région, 15/09/1965
La topographie moderne dans l’Artillerie, Général AUBIER, Revue Historique des Armées, n°136, 1979.
La Télémétrie Laser, Cahier de l’Artillerie n° 59, 1978
Les matériels de la topographie moderne, Cahier de l’Artillerie, n° 50, 1972
[2] Télévision et SROT, Les Sioux, n°9, avril 1956