Histoire de l’Artillerie, subdivisions et composantes. > 2- Histoire des composantes de l’artillerie > L’artillerie du Repérage et de l’Acquisition : renseignement d’artillerie. > 0- Historique du Repérage > II- Le Repérage de 1940 à nos jours > 3- L’accès historique à la troisième dimension - Les drones >
2- Les vecteurs, utilisés dans la troisième dimension, pour intervenir plus loin.
 

La troisième dimension a toujours été considérée à la fois comme un site d’observation privilégié et comme un espace à utiliser le plus efficacement possible (...). Il nous suffit d’imaginer un Capitaine d’Artillerie du siècle dernier, hissé sur sa monture (...) pour s’en convaincre. On retrouve de la sorte le fameux adage cher à l’infanterie : « Qui tient les hauts tient les bas ».

La maîtrise du ciel (...) a rapidement été exploitée à des fins militaires.

  • Douze ans seulement après leur création, les ballons des Frères MONTGOLFIER sont employés dans les guerres révolutionnaires, notamment à la bataille de Fleurus, en 1794, au cours de laquelle un officier, le capitaine COUTELLE, installé à bord de l’Entreprenant, ballon-captif (attaché au sol par un cordage), surveille le terrain et transmet ses observations.
  • En 1849, les Autrichiens bombardent Venise à l’aide de montgolfières. L’observation des mouvements terrestres s’effectue à l’aide d’une longue-vue « Galilée » puis l’observateur-aérostier dresse des croquis des positions adverses et rédige un rapport qu’il expédie ensuite au moyen de sacs lestés.

L’idée d’utiliser la photographie pour l’observation aérienne est attribuée au célèbre photographe français NADAR.

  • Dès 1858, il dépose le brevet d’invention du projet d’observation aérienne photographique. Un cliché de la Place de l’Étoile, datant de 1868, pris par NADAR lui-même est, semble-t-il, la plus ancienne photographie aérienne connue.
  • Ce même NADAR, devenu capitaine, commande l’aérostat des Buttes Montmartre et renseigne les autorités militaires sur les activités prussiennes, lors du siège de Paris, en 1870. Ses expériences restent marginales un certain temps et n’intéressent les militaires que quelques années plus tard, lors de la guerre des Boxers en 1900, au cours de laquelle des clichés du palais impérial sont pris par une section d’aérostiers français.
  • Quelques clichés sont encore conservés par le Génie Militaire et montrent que la technique est désormais au point. Pourtant, aucune mention d’utilisation sur ballon d’appareil photographique pendant la première Guerre Mondiale n’a été retrouvée (...).

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Devenu engin de surveillance, le ballon est employé sur tous les champs de bataille, à des altitudes inconcevables pour l’époque, de 0 à 1500 mètres, là où les conditions météorologiques le permettent, car :

  • au-dessus d’un vent de 10 mètres/seconde, le ballon n’est pas utilisable,
  • au-dessus de 30 mètres/seconde, la saucisse subit le même sort.

Pendant la Première Guerre Mondiale, l’avion pourrait alors supplanter le ballon, mais ce dernier reste employé par l’Armée de Terre Française jusqu’en 1940. L’artillerie, pour des raisons simples et évidentes (acquisition d’objectifs, réglages des tirs), a fréquemment recours au ballon, treuillé par des chevaux puis par des camions. De la même façon que les artifices utilisés avant le ballon sont toujours utiles en son absence : un procédé encore employé pour l’observation consiste à retourner un caisson et à y accrocher un mât d’une dizaine de mètres ; un autre consiste à utiliser une échelle de vingt mètres, où s’installe le capitaine responsable du réglage des tirs.

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Caisson observatoire
© Musée de l’Artillerie de Draguignan

Aux objections qui consistent à dire que le ballon ne va pas chercher le renseignement dans la profondeur, et qu’il se contente de surveiller la zone de contact, il est possible de répondre que le besoin de renseignements aériens est apparu, et a été satisfait, par la combinaison d’une évolution technique (l’apparition de l’avion) et de l’élaboration d’une nouvelle doctrine militaire pendant la première guerre mondiale . après avoir usé leurs forces sur un front de faible profondeur et stabilisé la ligne des contacts, les belligérants entreprennent d’agir sur les arrières pour désorganiser l’avant. Les canons à longue et très longue portées assurent cette tâche.

Le rôle de l’artillerie se trouve alors amplifié. Même si l’observation aérienne est encore limitée, dans le temps (autonomie du vecteur) et dans l’espace(vulnérabilité, portée du capteur et de l’appareil), la Première Guerre Mondiale l’a néanmoins profondément transformée.

Une des toutes dernières utilisations du ballon, comme moyen d’observation, a lieu dans la Trouée de Charmes où des dirigeables, les saucisses CAQUOT célébrées par APOLLINAIRE [1] dans son poème "Il y a" [2], fournissent un appui renseignement aux troupes françaises. Le déclin de cet engin est toutefois rapide car l’aviation adverse en détruit dix par jour, obligeant la chasse française à assurer la protection des « yeux » de l’artillerie.

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L’artillerie emploie également des cerfs-volants du type Parseval [3] pour observer. Servis par la 30ème Compagnie d’ Aérostiers du Capitaine SACONNEY, ils sont utilisés du 27 septembre 1914 au 10 septembre 1915. Plus simples, plus discrets que les ballons, mais aussi plus fragiles, ils subissent le même sort .

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Cerf volant Saconnay
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Saucisse Caquot

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La première Guerre Mondiale est surtout marquée par l’avènement de l’aviation qui en est encore à ses balbutiements [4]. En effet, la mise à l’épreuve du feu généralise son emploi et catalyse les recherches. En 1909, le Général ROQUES, directeur du génie, ordonne l’achat de cinq aéroplanes. Neuf ans après, la France, avec quatre mille avions, est la première puissance aérienne du monde. Dans un premier temps, la guerre des tranchées assigne à l’aviation des missions tactiques puis, lorsque la guerre de mouvement l’emporte, l’aviation reçoit un rôle d’exploration lointaine dans le cadre de missions plus stratégiques.

Cette dualité est déjà présente avant la guerre et trouve son origine dans la querelle qui oppose sur ce sujet le génie et l’artillerie.

  • L’artillerie préconise d’utiliser l’aviation au même titre que le dirigeable, pour le repérage et le réglage des tirs dans la zone de contact. Elle lui reconnaît également un rôle primordial dans le domaine de l’appui-feu (chasse, bombardement).
  • Le génie, pour sa part, considère l’aviation comme un moyen de recueillir des informations d’ordre stratégique, sur les arrières de l’ennemi. Elle passerait alors prioritairement au service des États-majors.

Si le génie reçoit du Ministre de la Guerre la responsabilité de l’aéronautique, c’est un artilleur, le Général BERNARD, qui devient le premier chef de l’aviation en 1914.

Les conséquences ne se font pas attendre : cent vingt-six escadrilles d’observation sont créées, le renseignement et l’observation aérienne prennent rapidement une place prépondérante. Le colonel ESTIENNE, chef de corps du 22e RAD se procure, à la mobilisation, deux avions a ailes repliables. Les avions de ce visionnaire, qui inventera plus tard le char d’assaut, sont employés dès le 06 septembre 1914, lorsqu’ils décèlent et transmettent par message lesté la préparation d’une offensive adverse près de Montceaux-Les-Provins. Pendant toute la guerre, l’aviation est de fait sous la dépendance de l’artillerie. L’observateur aérien reste avant tout un artilleur.

Dans la guerre de position, l’observation joue un grand rôle : le feu a pour but d’écraser l’adversaire, ce qui entraîne une consommation énorme en munitions. Mais celle-ci est souvent réduite grâce aux indications précises des « repéreurs » aériens.

Lorsqu’en 1917 la guerre de mouvement reprend, l’aviation joue alors, plus qu’un rôle de repérage [5]), un véritable rôle de reconnaissance et de recherche du renseignement. Car s’agit d’obtenir à la fois la surprise, la puissance et la continuité des tirs dans la profondeur. Les observateurs aériens compensent la perte d’efficacité des observateurs au sol et autres équipes spécialisées (SRS et SROT)pour suivre la manœuvre rapide des batteries. Ce qui ne les empêche pas pour autant de renseigner sur les mouvements de l’adversaire et de transmettre ordres et contre-ordres aux troupes assaillantes.

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Manuel d’instruction sur le renseignement et l’observation (1915)

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Le Service de Renseignement de l’Artillerie (SRA) est créé le 20 novembre 1915 et dépendant de celui-ci, les Sections d’Artillerie Lourde (SAL). Ce sont des escadrilles, au nombre de vingt-trois en 1914 et de cent vingt-six en 1918, affectées aux cinq armées et gérées par les régiments. Leur rôle, bien qu’elles soient surtout spécialisées dans le réglage des tirs, va au-delà de la simple acquisition d’objectifs et englobe la recherche du renseignement. Mais les appareils polyvalents, dont elles sont dotées, ne sont pas encore conçus spécialement pour l’observation ou pour la reconnaissance. Certains même sont déclassés par rapport à la puissance de la chasse allemande, qui emploie des Fokker munis de mitrailleuses synchronisées.

C’est le cas des MFII (Maurice FARMAN) qui sont utilisés comme bombardiers de nuit ou appareils d’observation. Les Bréguet 14/A2 les Caudron C14 ou les MF/40 assurent avec la plus grande régularité leur mission d’observation.

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L’amélioration des services rendus par l’aviation se fera avec les évolutions techniques des capteurs et des moyens de transmission.

Du ballon aux premiers temps de l’aviation, l’ œil humain est le premier des « capteurs » d’information, avant d’être prolongé par les premières lunettes télescopiques modèle 1896 et modèle 1920. Par la suite, il y a peu d’évolution jusqu’à l’apparition de l’appareil photographique.

Le problème de la transmission de l’information est plus rapidement résolu. Jusqu’en mars 1915, l’observateur devait attendre d’être revenu à sa base pour rendre compte. En mars 1915, les premières liaisons par voies radiophoniques (TSF) , entre le sol et l’aviation, sont établies, améliorant considérablement la transmission du renseignement et, par la même, le taux de réussite des missions [6]. Bien que les moyens antérieurs de transmission restent en service jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les transmissions « par TSF » sont plus rapides, plus utilisées et, jusqu’en 1940, plus sûres. Le délai entre l’acquisition et la transmission du renseignement peut être variable mais, en tout état de cause, l’ âge du renseignement influe sur le résultat d’une mission de bombardement, surtout pendant la guerre de mouvement au cours de laquelle la mobilité s’est accrue du fait de la mécanisation du matériel.

Les systèmes de projecteurs, l’utilisation du code MORSE ou tout simplement les messages lestés, permettant d’établir la communication entre l’observateur aérien et les artilleurs, n’ont joué qu’un rôle beaucoup plus marginal.

M.C. DUBREIL, du service historique de l’armée de l’air, relate l’expérience réussie de quelques artilleurs qui imaginent d’utiliser la photographie à bord des appareils d’observation [7]. La prise de vue oblique permet ainsi, avec l’aide du Groupe de Canevas de Tir d’Armée (ou GCTA, cf. chapitre II), d’établir des cartes d’état-major à grande échelle, rendant par là même un service inestimable aux commandants d’unité. L’un de ces artilleurs, le Capitaine WEILLER propose d’utiliser la photographie aérienne pour repérer et renseigner. Il crée en 1917 deux escadrilles de Bréguet 14 (le groupement WELLER) qui, équipées d’appareils photographiques à longue focale, sont chargées de photographier les arrières du front sur une profondeur de cent kilomètres. Ces escadrilles fournissent des renseignements aux GQG sur l’organisation du dispositif adverse dans la profondeur. L’aviation, celle d’observation en particulier, est alors l’arme la plus redoutée par les unités terrestres, si bien qu’au lendemain de la guerre, des mesures protection et de camouflage sont imaginées et rapidement adoptées. En 1919, l’Inspection de l’Artillerie préconise plusieurs parades pour se soustraire à la vue des observateurs aériens.

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L’évolution de l’observation aérienne s’accélère considérablement pendant la Première Guerre Mondiale, que ce soit au niveau de la doctrine, de la technique de recueil des renseignements ou des performances des vecteurs. Tout en débridant les imaginations, la Grande Guerre permet d’expérimenter aussitôt et en vraie grandeur les nouveautés qui se concrétisent, grâce à un fantastique effort de guerre (cinq cents appareils et mille moteurs construits par mois en 1916). Ce conflit, première guerre moderne de l’histoire, permet à l’aviation, qui va rester sous la tutelle de l’artillerie pendant encore quelques années, de conquérir, grâce à l’observation aérienne, une place considérable dans la conduite des opérations, tout en contribuant avec efficacité à la victoire finale.

Bien qu’ayant été entreprise avec sérieux, l’organisation de l’observation aérienne française présente des lacunes. En 1928, un décret instaure une force aérienne de coopération (FAC) ou « aviation de coopération », gérée par les commandants des armées terrestres et par conséquent à la disposition de l’Armée de Terre. La création de l’Armée de l’Air en 1933, nécessitant un personnel nombreux, prive l’aviation de coopération d’une grande partie de ses moyens. Armée de terre et Armée de l’air sont en compétition pour tirer parti d’un effort de guerre au demeurant très modeste. En 1937 est créé un échelon inférieur dans l’organisation de la FAC, les Groupes Aériens Régionaux (GAR) qui deviennent, en 1939, les « groupes aériens d’observation » (GAO), au nombre de quarante-sept, et les « groupes de reconnaissance »(GR), au nombre de quatorze, qui sont fractionnés en escadrilles, réparties dans les corps d’armée et les régiments. Les équipages comprennent un aviateur-pilote et un artilleur-observateur. L’éparpillement des forces aériennes, comme lors du premier épisode de la bataille aérienne de Verdun, entraîne toutefois une dispersion des efforts préjudiciable à l’efficacité face à une artillerie allemande qui intervient groupée.

Les tensions entre l’artillerie et l’armée de l’air vouent à l’échec le projet du Général CONDE, inspecteur de l’artillerie qui, constatant que l’augmentation de la portée des canons exige une intensification de l’observation aérienne, envisage la création d’une aviation entièrement au service de l’artillerie. L’autogire (ancêtre de l’hélicoptère) semble être le matériel le plus adéquat pour effectuer les opérations d’observation, de repérage d’objectif et de réglage des tirs. Cette aviation permettrait en outre d’éviter le cloisonnement entre les différentes composantes de l’aviation. Or pour mener à bien cette entreprise, l’aide de l’armée de l’air est nécessaire pour la formation du personnel, l’achat et l’entretien du matériel. Le 28 mars 1939, le Conseil Supérieur de l’Air repousse sa demande, entraînant l’abandon du projet et privant l’artillerie d’une observation aérienne entièrement à sa disposition.

A l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, l’artillerie française voit ainsi lui échapper les moyens (spécifiquement adaptés à son emploi) qu’elle avait mis en place.

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La Deuxième Guerre mondiale (jusqu’à l’Armistice du 22 juin 1940) est une des pages les plus noires de la jeune aviation française. Retenant les leçons de Verdun où, pour la première fois, la maîtrise du ciel détermine en partie le succès des opérations terrestres, la Luftwaffe exerce une domination sans partage du ciel européen, au moins jusqu’à la bataille d’Angleterre. Pour expliquer l’échec français en 1940, certains avancent l’absence de préparation de l’armée de l’air et de la France en général, d’autres le non-renouvellement, voire la stagnation du matériel français : les Breguet 27 et autres Mureaux 117, « âgés » de plus de dix ans et ne dépassant guère 200 km/h, sont une proie facile pour la DCA allemande [8]. Une autre critique dénonce l’immobilisme de la doctrine française d’utilisation de l’arme aérienne. Ces différents facteurs se sont, semble-t-il, conjugués pour aboutir à l’infériorité manifeste de l’armée de l’air et par conséquent des troupes terrestres (dont l’artillerie) qui, privées de renseignements, répondent au coup par coup (et sans anticipation possible) aux attaques ennemies.

Toutefois, quelques jours avant le 10 mai, plusieurs appareils de reconnaissance français repèrent et signalent la présence de colonnes de chars ennemis dans les Ardennes. L’aviation française n’est donc pas aveugle mais le commandement ne tient pas toujours compte de ces renseignements, allant même parfois jusqu’à nier l’évidence. Claude D’ABZAC EPEZY présente l’organisation de l’aviation française comme « un compromis boiteux » entre d’une part les thèses favorables à la subordination de l’avion aux forces terrestres, en particulier à « la mère » de l’aviation d’observation - l’artillerie, qui est l’opinion des partisans d’un rôle de l’observation d’artillerie restreint à la frange des contacts, et d’autre part les principes des adeptes de l’emploi de l’aviation dans la reconnaissance profonde. Le résultat de ce compromis est qu’en 1939, sur cent dix-sept groupes, soixante-et-un se consacrent à la reconnaissance et à l’observation, soit quatre cent dix appareils pour un total de mille quatre cents.

Dès le début des combats, les commandements, au vu des premiers résultats (trois à quatre kilomètres de pénétration, des pertes considérables), limitent les sorties d’observation et utilisent le matériel de reconnaissance à d’autres fins. Les forces terrestres, privées de cette source d’information, sont victimes de l’orientation qu’elles ont fait prendre à l’aviation. Le cours d’Artillerie [9] à l’usage des aviateurs permet de mesurer les conséquences de la priorité exclusive accordée à l’aviation d’observation au détriment de la maîtrise du ciel. Le ballon est présenté comme étant d’une aussi grande utilité que l’avion pour la surveillance générale de la zone d’action, la recherche d’objectifs et le réglage des tirs. Partant du postulat « qu’actuellement la plupart des tirs d’Artillerie ne se conçoivent pas sans utilisation de l’observation aérienne », le manuel assigne clairement à l’aviation de renseignement la mission de recherche et de surveillance d’objectifs justiciables des feux. Le danger n’est pas dans la magnification du rôle de l’aviation d’observation mais dans la désaffection de l’aviation de chasse et de bombardement. Au terme des hostilités, 30% des équipages et des avions ont été abattus [10]. L’absence de maîtrise de l’espace aérien est bien la cause première de la défaite ainsi que la vétusté de la flotte. Bien que ne possédant pas initialement cette maîtrise du ciel, les Anglais réussissent néanmoins à s’imposer à l’ennemi grâce à des avions très modernes, les Spitfire, qui compensent leur infériorité numérique par leur rapidité.

Les dissensions citées précédemment, entre l’artillerie et l’armée de l’air françaises, ne doivent pas cacher la supériorité allemande dans le domaine des matériels et des techniques de repérage aérien. De mai à juin 1940, la 18ème Batterie de Repérage est témoin d’un étrange ballet aérien [11]. Les Allemands utilisent des « forteresses » blindées au-dessus et en arrière des positions françaises de première ligne. Volant à basse altitude, elles localisent les emplacements occupés et délimitent la zone d’objectif à l’aide de fusées fumigènes. L’Allemagne vient d’inventer un palliatif aux défaillances des sections d’observations terrestres. C’est l’Allemagne qui met les premiers radars militaires en service et qui fait l’expérience des célèbres « bombes volantes » (V1-V2) que l’on peut considérer comme les ancêtres des missiles, des fusées et des drones actuels. Reprenant sans doute à leur compte les expérimentations et les recherches menées Outre-Rhin, les alliés développent, après la guerre, le principe du vecteur non piloté, principalement pour des missions d’attaque et de bombardement mais également pour des opérations d’observation et de reconnaissance. L’aviation d’observation au service de l’artillerie, aura encore quelques heures de gloire mais déjà, à l’aube des années 50, les spécialistes du renseignement d’un côté et les artilleurs de l’autre, s’intéressent de plus en plus aux vecteurs non pilotés.

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Bénéficiant de l’aide des États-Unis et devant se modeler sur les unités américaines, l’Armée d’Afrique réorganise son artillerie en la dotant d’une aviation d’artillerie autonome. Deux appareils légers sont affectés à tous les échelons à partir du groupe. Les Piper Cub, entretenus et pilotés par des aviateurs, ont pour mission le repérage d’objectifs et le réglage des tirs. Pendant la campagne d’Italie, en 1943, quinze Sections d’Aviation d’Observation d’Artillerie (SAOA), composées chacune de deux appareils Piper L4, sont mises en service. Un centre de formation d’observation est alors créé à Lourmel, le 23 mai 1944. Il est transféré à Mandelieu en décembre puis en Allemagne, à Mayence, en octobre 1945.

A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les SAOA sont réorganisées en groupements (pelotons) pour des raisons d’entretien et de gestion. Les Groupes d’Aviation d’Observation d’Artillerie (GAOA) sont créés et sont disséminés en 1945 en Allemagne, en Afrique du Nord et en Métropole. Dépendant de l’armée de l’air (pour la formation des personnels et l’entretien), les GAOA sont complémentaires des systèmes d’observation terrestre et permettent de recouper leurs informations, grâce à la rapidité et à la souplesse des liaisons. L’avion présente de nombreux avantages d’emploi, choix des zones survolées et prises de vues obliques et verticales. Ces groupes sont dotés d’appareils plus légers mais plus performants que leurs prédécesseurs tel le Maurane-Saulnier (surnommé « le criquet »), qui développe 140 CV pour cinq heures d’autonomie, contre 65 CV et 02h40 d’autonomie pour le Piper L-4.

Aux côtés de cette « aviation d’artillerie », l’Armée de l’air met sur pied ses propres groupes de reconnaissance. Equipés d’avions puissants, rapides et munis parfois de caméras photographiques (le R8F-Bearcat américain), ces groupes s’infiltrent profondément en territoire ennemi pour y remplir des missions stratégiques. En 1951, les premières escadrilles de reconnaissance de l’armée de l’air sont opérationnelles et combattent en Indochine et en Algérie. Travaillant rarement au profit de l’artillerie, elles peuvent néanmoins accomplir des missions d’acquisition d’objectifs et de réglage des tirs.

L’aviation de reconnaissance de l’armée de l’air fournit à l’artillerie des prises de vues verticales obtenues par ses avions rapides. Le matériel embarqué par l’aviation légère permet des prises de vues obliques et des couvertures verticales à très grande échelle pour la recherche de cibles. L’ensemble photographique se compose d’un appareil susceptible de prendre sur une même pellicule une photographie horizontale et une photographie oblique synchronisées, afin de restituer l’une par rapport à l’autre les prises de vues. Ces dernières doivent de plus être stabilisées par un gyroscope ou, à défaut, par les instruments de bord de l’avion pour accroître la netteté. Le matériel est d’origine américaine : l’Altiphot de R. LABRELY, limité à cent prises de vues, la caméra Aircraft K24, limitée à cent prises de vues également et le SFOM type 33 avec une capacité de deux cents prises de vues et trois objectifs interchangeables. Tous ces appareils sont actionnés manuellement par les pilotes et les observateurs. La vidéo n’est pas employée. Le personnel d’observation suit une formation rigoureuse en désignation des objectifs, en transmission des éléments captés et en identification des cibles, etc... (la localisation s’effectue à l’aide de coordonnées hectométriques).

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En 1952, les GAOA sont mis sous le commandement de l’Aviation Légère d’Observation d’Artillerie (ALOA) intégrée à l’Armée de Terre. Bien que les missions de l’ALOA soient, dans un premier temps, effectuées au profit de l’artillerie, cette dernière perd progressivement la maîtrise de ses avions.

L’Armée de l’Air n’apporte plus sa contribution à l’ALOA et les guerres coloniales font évoluer l’aviation d’observation de l’artillerie en une aviation autonome. En Indochine, le développement des techniques de camouflage, les actions de guérillas menées par l’ennemi, réduisent beaucoup le rôle de l’observation. A ces éléments s’ajoutent des conditions climatiques et un relief accidenté qui empêchent parfois le décollage des appareils. Enfin, cette aviation sans cesse remodelée, manque de matériels et d’effectifs et n’effectue que de rares sorties, malgré l’absence de danger immédiat (la chasse ennemie).

Le théâtre algérien présente d’autres pièges dans lesquels l’artillerie, bien que mieux équipée, se laisse prendre. L’organisation de l’ennemi en petits groupes d’infiltration d’une dizaine d’hommes, les actions terroristes ponctuelles, une collaboration interarmes parfois défaillante [12] empêchent l’artillerie de jouer pleinement son rôle. Celui-ci se réduit à pilonner les secteurs désignés par le commandement ou bien à empêcher toute infiltration des barrages. L’ALOA est reléguée à une place secondaire et des escadrilles d’avions, spécialisées dans la lutte anti guérillas, font leur apparition et la supplantent.

P. FAUCON analyse les résultats de l’aviation d’observation et de reconnaissance pendant ces guerres [13] : l’importance des informations, fournies par un matériel de plus en plus sophistiqué, facilite les décisions du commandement mais la faiblesse des effectifs, ainsi que l’attribution à cette aviation spécialisée de missions de natures totalement différentes l’empêchent d’assurer la continuité et la permanence, gage d’une véritable efficacité. En Indochine en effet, la priorité est donnée aux liaisons, aux communications et aux évacuations sanitaires.

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Le développement de l’hélicoptère et l’apparition d’appareils de type Shawnee (dit Banane) favorisent parallèlement cette dérive. L’hélicoptère présente un avantage par rapport à l’avion d’observation : avec un armement adéquat, il peut porter des coups efficaces à la guérilla (Alouette et Iroquois US Bell G.). Consciente du rôle d’avenir de cette arme, l’observation aérienne se dote de groupes d’hélicoptères mais ceux-ci sont incorporés à l’ALAT dès sa formation et deviennent des groupes mixtes (avions et hélicoptères). L’ALOA est débaptisée en 1954 pour prendre le terme d’ALAT (par euphonie du latin alatus : ailé). Ce nouveau nom, officialisé en 1966, marque l’abandon par l’artillerie de son aviation d’observation. L’Aviation Légère de l’Armée de Terre est aujourd’hui une unité puissante dont les missions sont interarmes. Elle travaille de moins en moins au profit de l’artillerie pour se consacrer surtout aux missions de renseignement, de combat antichar et de transport. Ainsi, pour la deuxième fois dans son histoire du XXème siècle, l’artillerie perd son vecteur d’observation, l’hélicoptère, qu’elle avait mis en place à son profit.

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Au terme d’une longue évolution, l’artillerie est dépossédée de ses systèmes d’observation dans la profondeur par des vecteurs pilotés. Ayant conscience des insuffisances de l’aviation légère (vulnérabilité, soumission aux conditions physiques et météorologiques, discontinuité relative dans la recherche du renseignement) et admettant qu’une aviation même légère ne peut pas être consacrée uniquement au réglage des tirs et à l’acquisition d’objectifs, l’artillerie s’oriente alors (avec bonheur) vers d’autres systèmes d’acquisition utilisant des vecteurs aériens non pilotés.

L’Histoire se répétant, les années 1990 pourraient voir l’artillerie à nouveau dépossédée de ce vecteur que constitue l’aéronef sans pilote. L’explosion du marché des drones (près de huit cents projets existent actuellement) et le développement de drones d’attaque semblent de fait en illustrer les prémices.

En initiant le développement de moyens d’observation aériens, l’artillerie les a perdus dès que ces moyens ont été en mesure d’emporter une charge utile offensive (armes diverses, missiles, etc...) et de démontrer une capacité à renseigner les états-majors.

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Tableau récapitulatif de la subordination de l’aviation d’observation de l’artillerie

Pour de plus amples informations sur l’histoire de l’hélicoptère, il vous est recommandé de visualiser cette vidéo, réalisé Éric PECHENARD.

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[1] Guillaume Apollinaire écrit ce poème au début de la guerre alors qu’il sert au 38è régiment d’artillerie. En août 1915, assoiffé d’action, il passe dans l’infanterie et commande la 6è compagnie du 96è RI. Blessé le 17 mars 1916, il meurt à la veille de l’armistice.

[2] Extrait du poème "Il y a" :
Il y a un vaisseau qui emporte ma bien-aimée
Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venue on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille sapins brisés par les éclats d’obus autour de moi
Il y un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants....

[3] Le Repérage aujourd’hui ; les cerfs-volants militaires, Colonel YDE, les Sioux, n° 159, fév. 1996

[4] le premier combat aérien, dans les Balkans, n’eut lieu qu’en 1912

[5] le camouflage bien utilisé complique le repérage

[6] Le 7ème Régiment d’Artillerie de Campagne (évolution de son emploi 1914-1918), Capitaine WEIGEL, Mémoire de maîtrise.

[7] Renseignement et Armée de l’Air, Armées d’ Aujourd’hui, n° 211, juin 1996.

[8] L’échec d’une doctrine, C.d’ABZAC EPEZY, Armées d’ Aujourd’hui, n° 211, juin 1996

[9] Cours d’Artillerie, Armée de l’Air, Ecole de l’Air, Ministère de l’Air, 1940, 184 pages.

[10] L’échec d’une doctrine, C.d’ABZAC EPEZY, op.cit.

[11] Les Sioux N°66

[12] Et la Reco naquit : l’aviation de renseignement en Indochine et en Algérie, Armées d’ Aujourd’hui, n° 211, juin 1996

[13] Renseignement et Armée de l’Air, Armées d’ Aujourd’hui, n° 211, juin 1996


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