1. L’épopée victorieuse des GOA
a. Leur environnement
Les Groupes d’Observations d’Artillerie (GOA, à ne pas confondre avec les Groupes Aériens d’Observation d’Artillerie, GAOA, qui seront étudiés dans la troisième partie) voient le jour dans un contexte bien précis. Leur histoire se calque sur l’évolution de la situation militaire en Afrique du Nord et en Europe occidentale. La présence américaine en Afrique du Nord, à l’origine de la formation et de l’équipement des GOA, puis le parcours qui les mènent au cœur de l’Allemagne méritent quelques éclaircissements.
A la fin de la campagne de France puis de la bataille d’Angleterre qui suivit, l’axe principal du conflit entre les forces anglaises, allemandes et italiennes se déplace autour du bassin méditerranéen. Le règlement définitif de la situation française et l’abandon par Hitler des projets d’invasion de l’Angleterre font que les seuls affrontements directs entre les deux camps se produisent dans les Balkans et en Afrique du Nord. La maîtrise de cette région devient un enjeu capital,tant pour les forces de l’Axe qui contrôlent ainsi des routes stratégiques et n’ont pas à s’inquiéter de menaces directes au sud, que pour les anglais et leurs alliés. Ces derniers y voient un moyen de créer un nouveau front pour fixer des troupes ennemies et surtout une base à partir de laquelle ils espèrent mener la résistance à l’envahisseur. Les Allemands prennent pied dans les Balkans en avril 1941 pour palier les faiblesses de l’Armée Italienne et soumettent la Yougoslavie, la Grèce et la Crête. Sur le continent africain, l’Afrique Équatoriale Française et le Cameroun se rallient aux Forces Françaises Libres du Général de GAULLE. Mais la plus grande partie du Maghreb reste sous domination vichyste (Maroc, Algérie et Tunisie) ou italienne (Libye). Les premiers combats sérieux ont pour origine les prétentions de l’Axe sur l’Égypte et la route de Suez. Une première offensive italienne à partir de la Libye, en septembre 1940, déclenche une contre-offensive britannique se soldant par l’occupation de la moitié du territoire libyen en février 1941. C’est à ce moment qu’intervient l’Africa Korps, division cuirassée du général ROMMEL. S’ensuivent alors une série d’offensives et de contre-offensives qui font de l’Afrique du Nord un théâtre d’opération de première importance. Les forces françaises y prennent part avec le Général LECLERC dont la colonne remonte du sud de la Libye, après le serment de Koufra, le 02 mars 1941. Les événements s’accélèrent en 1942. Au printemps, Rommel repousse les anglais aux portes d’Alexandrie. Mais la contre-offensive du Général anglais MONTGOMERY, à partir de la victoire d’El-Alamein (octobre 1942), sonne le glas de cette armée allemande. Celle-ci commence alors une longue retraite à travers le désert de Libye, jusqu’en Tunisie. C’est dans ce contexte que les américains arrivent au Maroc et en Algérie.
Le projet de CHURCHILL et ROOSEVELT répond à la demande pressante de STALINE de soulager la résistance soviétique par l’ouverture d’un nouveau front à l’Ouest. Le 8 novembre 1942, vingt cinq mille hommes débarquent à Alger, trente-neuf mille à Oran et trente-cinq mille à Casablanca sous le commandement du Général EISENHOWER.
La résistance des troupes de VICHY est vaine et l’ensemble des forces de l’empire colonial se rallie aux Anglo-Américains. L’Africa Korps de Rommel, acculé à la mer par les alliés venant d’Algérie et ceux remontant de Libye, capitule et se rend avec deux cent cinquante mille hommes le 13 mai 1943. A cette date, toute l’Afrique du Nord est libérée, l’effectif de l’Armée française se monte à cinquante mille hommes et les portes d’une reconquête de l’Europe s’ouvrent aux alliés via la Sicile et la Corse. Cest dans ce cadre d’étroite coopération entre les nouvelles forces françaises et les Américains fraîchement débarqués que se situe la genèse des GOA.
Leur mise en place en mai 1944 contribue à la préparation des Armées françaises pour la haute mission qui leur est confiée. Sous le commandement du Général de LATTRE de TASSIGNY, la 1ère Armée française débarque en Provence, le 15 août et prend Marseille et Toulon. Les GOA la rejoignent un mois plus tard puis l’accompagnent dans sa remontée de la vallée du Rhône et dans son trajet à travers les Vosges et l’Alsace, jusqu’au cœur du territoire allemand.
b. Leur création
La création de deux unités d’observation dans une armée à la veille d’un engagement majeur atteste du caractère irremplaçable du Repérage. Le commandement ne peut se passer des divers renseignements qu’il procure, malgré l’émergence et le perfectionnement d’autres sources (infiltration d’éléments aéroportés, écoutes radio, photographie aérienne à haute altitude...). Surtout, la contre-batterie reste une mission essentielle de l’artillerie devant un ennemi qui, dans sa retraite, a tendance à concentrer ses forces sur des points stratégiques. Malgré les défauts constatés en 1940, l’état-major est obligé de faire appel aux techniques de Repérage, comme tous les autres belligérants.
Or, dans cette spécialité, il faut repartir à zéro. En Afrique du Nord, rien ne subsiste de tout le travail du 6e GAA. Seules la 141e Batterie et une 50e Batterie Topo y sont envoyées en 1939 mais leur trace se perd vite. Aucun recours ne peut non plus venir de France. Depuis le 8 novembre 1942, les Allemands et les Italiens occupent la métropole où ils maintiennent une pression très forte. De toute façon, rien ne subsiste du Repérage français sur le territoire national. Plusieurs unités, après leur capture, sont internées en Allemagne. Les autres sont dissoutes et les allemands confisquent leur matériel, entreposé à Argeles-Gazost (65). L’armée française dite d’Armistice, réduite à quatre-vingt-quinze mille soldats, ne dispose pas d’artillerie (sauf des canons de 75 et plus tard des batteries de DCA) et n’a donc aucune utilité d’une unité de Repérage. Seule subsiste, en sommeil, une SRS évacuée en 1940 de Saint-Cloud par le Lieutenant LE NOUVEL et camouflée depuis à La Courtine [1]. Cette miraculée rejoindra d’ailleurs le 102e GOA à Pforzheim en 1945. Nombre de repéreurs démobilisés passent à la résistance active, tandis que d’autres forment des amicales clandestines afin de conserver le contact entre anciens du 6e GAA. Toutefois, rien ne permet de savoir si certains sont passés en Afrique du Nord et ont pu reprendre du service dans les GOA.
Les 101e et 102e GOA sont donc créés de toutes pièces sur le sol africain le 1er mai 1944. Cette décision remonte à 1943 et s’inscrit dans le cadre de la réorganisation générale de l’Armée française à partir du matériel américain.
Pour les GOA, l’influence américaine ne se cantonne pas à l’équipement mais s’étend jusqu’aux structures de l’unité. Ces groupes s’inspirent directement des groupes d’observation américains, les Fields Observation Bataillons (FOB). Le 101e GOA voit le jour le 1er mai 1944 à Oued-El-Alleug par transformation du 4e Groupe du 65e Régiment d’Artillerie d’Afrique (RAA) basé à Blida. Le 102e GOA est créé le même jour à Casablanca à partir du 4e Groupe du 66e Régiment d’Artillerie d’Afrique d’Oran.
Le journal de marche du 101e GOA débute à la formation du 4e Groupe du 65e RAA, encore appelé à cette époque AD/7. Il permet de se faire une idée assez précise sur les deux groupes et les modalités de leur transformation. Le IVe Groupe de l’AD/ 7 est constitué le 1er juillet 1943 par la note n° 1561/EMG/10 du 04 juin, modifiée le 12 juin par la Division d’Alger. Le Lieutenant-Colonel de LAFFON cède le commandement du Groupe au Chef d’escadron LAGARDERE le 24 septembre. L’unité se compose d’un état-major basé à Blida, d’une compagnie hors-rang (CHR) basée à Oued-El-Alleug et de trois batteries numérotées 10, 11 et 12 dont deux basées à Oued-El-Alleug.
Durant la fin 1943, le Groupe reçoit progressivement son matériel que des détachements vont percevoir auprès des troupes américaines au Maroc. Il est chargé de mettre en œuvre 12 canons Howitzer 155M1 et dispose d’un parc automobile moderne : quatorze GMC, onze Dodges et quatorze Jeeps. Les premiers mois de l’année 1944 sont consacrés au service en campagne et à l’instruction du personnel. Le IV/AD/7 participe à plusieurs écoles à feu durant lesquelles il teste le nouveau matériel en collaboration avec les officiers américains. Il connaît donc toutes les activités d’une unité « canon » classique. Quelques manœuvres spéciales laissent néanmoins transparaître la future orientation du Groupe. Les exercices d’observation par pétards, conjuguant moyens terrestres et moyens aériens (Piper Cub) se multiplient du mois de février jusqu’au 12 avril, date de l’annonce de la transformation en groupe d’observation.
Au 1er mai 1944, tout est donc à refaire. Les canonniers restent d’abord sceptiques, voire perplexes, devant le nouveau travail qui leur est confié et dont ils ignorent tout. Il faut toute la persuasion du Chef d’escadron LAGARDERE pour dissiper leur regret et les faire adhérer à cette mission : « Quel que soit le regret, l’amertume même que nous avons eue en voyant partir non canons, il nous faut aujourd’hui nous préparer au nouveau travail qui nous incombe... L’enthousiasme qui vous empoignait quand vous serviez vos pièces, vous le retrouverez dans vos nouvelles fonctions. Notre tâche sera pour le moins aussi grande » [2]. Il est vrai que la plupart du personnel, y compris les cadres, dans les deux groupes, ne connaît à peu près rien du Repérage. L’Armée américaine prend donc en charge la formation de ces hommes, directement ou indirectement. Directement car elle accueille quatre officiers de chaque groupe dans un stage de Repérage à l’école d’artillerie de Fort Sill aux Etats-Unis, du 06 juin au 19 juillet. Indirectement, en permettant à des cadres d’étudier le fonctionnement et les conditions d’engagement des FOB américains opérant au profit du Corps Expéditionnaire Français (CEF) en Italie. De plus, dès le 27 avril, des officiers et sous-officiers des deux groupes partent à Alger pour suivre un cours de topographie de trois semaines au Service Géographique. Dès leur retour, tous ces cadres s’empressent de mener l’instruction des hommes du rang. Ils organisent plusieurs services en campagne dans la région de Marengo bien que tout le matériel ne soit pas encore perçu.
Les soldats se familiarisent peu à peu aux sections « lueurs » ou apprennent à lire les bandes du repérage au son ramenées d’Italie ou d’Amérique. Comme pour le IVe Groupe, les américains fournissent le matériel nécessaire. Les commandants de GOA mettent au point les détails de la dotation avec le Service Central d’Approvisionnement de Matériel Américain (SCAMA), basé à Casablanca. De juin à fin juillet, plusieurs détachements viennent percevoir leur matériel à Alger (véhicules), Oran (transmissions, habillement et véhicules) et Casablanca (véhicules, armements et équipements optiques). A la fin du mois, l’organisation des unités est déjà bien avancée. Comme dans le cas du 102e GOA, la batterie d’EM est conservée, les trois batteries de tirs donnent deux batteries d’observation et la compagnie hors rang est mutée à l’état-major d’Artillerie de CA. En moins de trois mois, l’aide américaine a donc permis de reconstituer ex-nihilo les bases d’un nouveau Repérage français. Reste à savoir son comportement au combat.
c. Le GOA au combat
Après avoir reçu quelques renforts en personnel, matériel et personnel embarquent sur les transports Ezra Cornell, Bernard N. Baker et le croiseur français Gloire le 20 juillet. Ils débarquent dans le port de Naples ou à Pompéi du 22 juillet au 03 août. Le 04 août, l’ensemble du groupe se retrouve au bivouac d’Albanova à vingt-cinq kilomètres au Nord de Naples. Le groupe ne participe pas aux combats sur le front français d’Italie. Il faut rappeler qu’à partir de l’élimination des allemands de l’Afrique du Nord, les Armées alliées, par l’intermédiaire d’un débarquement en Sicile (07/1943), ont pris pied en Italie, en proie à de graves problèmes internes. L’intervention de l’Allemagne a permis de tenir quelques mois sur le Garigliano (épisode de résistance allemande du Mont-Cassin). Suite aux assauts des troupes alliées dont le CEF commandé par le Général JUIN, le front recule et se fixe sur le PO. Le 101e GOA, non engagé à ce moment-là, en profite pour parfaire son instruction et compléter sa dotation. Des manœuvres entraînent les repéreurs à localiser les tirs ennemis figurés par des pétards ou des explosions de mines :
les premiers pas sur le territoire national (13 septembre - 20 octobre).
Le 30 août et le 02 septembre, l’ensemble de la 1e Batterie, moins la section SRS, embarque à Naples pour la France. Après quelques manœuvre, le reste du groupe prend le même chemin le 1er octobre. Il débarque à Marseille, sur la plage de l’Estaque ou à Toulon, du 4 octobre au 16 octobre, date à laquelle le groupe part vers le Nord.
En quatre jours, il remonte toute la vallée du Rhône et se dirige vers les Vosges en faisant étape à Montélimar, Ambérieu, Lons-Le-Saulnier et Rupt-sur-Moselle. Le 20 octobre, il retrouve les éléments précurseurs de la 1e batterie à Luxeuil. Ce détachement, le premier à poser le pied sur le sol français, a déjà fonctionné comme « section lueurs », du 13 au 24 septembre, au niveau de la frontière suisse. Puis, jusqu’au 19 octobre, il s’intègre dans des observatoires de commandement. Durant cette courte campagne de France, ce simple détachement a déjà repéré dix batteries et un mouvement de troupes important.
la bataille des Vosges (20 octobre - 20 novembre)
Le 20 octobre, l’unité entière aux ordres du CE LAGARDERE reçoit la mission de se déployer sur le front des Vosges au profit de l’artillerie du 2e CA. Deux SROT et une SRS aidées par la section topographique de la batterie d’EM fonctionnent dans des conditions particulièrement difficiles, un observateur SRS est d’ailleurs mortellement blessé par une attaque d’artillerie sur son poste. Les bases d’observation se modifient peu à peu avec l’avance des troupes, liée à l’attaque de la 3e DIA, le 03 novembre,
la bataille de Belfort (20 novembre - 07 décembre)
Le 19 novembre, le 1e CA attaque en direction de Belfort. Le 2e CA est chargé d’appuyer sur sa droite l’action du 1e CA par une attaque sur la trouée de Belfort. Le 101e GOA quitte la région de Rupt-sur-Moselle à l’exception de la 1e Batterie qui reste sur sa base au Thillot. Jusqu’au mois de décembre, le groupe adopte un mode de progression par échelonnement. Les batteries se scindent en deux et avancent successivement au rythme des combats. Le 1er décembre la 1e Batterie avance également suite à une attaque de l’infanterie et rejoint le groupe.
la bataille d’Alsace (08 décembre - 17 avril 1945)
Le 101e GOA, toujours sous les ordres du 2e CA français, quitte la région de Belfort pour s’installer dans la zone d’une division américaine. Celle-ci se déploie autour de Ribeauville, au Nord-Ouest de Colmar. La 1e Batterie opère entre Chatenois et Bergheim avec un observatoire sur le Haut-Koenigsbourg. La 2e Batterie fixe sa SROT lueur et sa base son de Guemar à Riquewihr. Jusqu’au 20 janvier, le secteur est sur la défensive et essuie plusieurs attaques d’artillerie ennemies. Le 26 décembre, après l’attaque sur Sirgolsheim, le front se compose d’un secteur tenu par la 3e DI américaine avec les villes de Selestat, Guemar et Ostheim, aux mains des Français, et Ammerschwir. A droite, la 3e DI tient le Léman et le Ballon de Guebwiller tandis que la 2e DB française se situe de Sélestat à Friesenheim.
A partir du 20 janvier, le secteur redevient actif. Du 28 janvier au 13 février, le 101e passe aux ordres du 21e CA américain et travaille tant bien que mal au milieu des duels d’artillerie. Le front progresse favorablement et la 5e DB délivre Colmar le 02 février. Le 10 février, la 1e Batterie conserve sa SROT au Haut-Koenigsbourg et déplace sa SRS vers Grussenheim. La 2e Batterie s’installe à quelques kilomètres du Rhin avec sa SROT à Widensolen et sa SRS à Neuf-Brisach. La ligne de front est dorénavant sur le Rhin et 2 divisions allemandes sont encerclées à Guebwiller et Munster. Le XXIe C.A.U.S. quitte l’Armée française le 13 février et le 101e GOA retourne auprès du 2e CA pour la deuxième phase des opérations.
Les 16 et 17 février, ses deux batteries remontent le Rhin et s’installent autour de Strasbourg tandis que le PC relève le 1e FOB à Mulhouse. Du 05 mars au 17 avril, c’est une succession d’allers-retours entre Mulhouse, Colmar et Strasbourg, durant lesquels les batteries sont séparées ou se scindent elles-mêmes ;
la campagne d’Allemagne (17 avril - 07 mai 1945)
Le 17 avril, le groupe replie son dispositif, se rassemble et fait mouvement vers l’Allemagne. Il traverse le Rhin au pont de Benheim, au nord de Strasbourg, face à la ville allemande de Baden-Baden. L’ampleur de la déroute allemande ne donne pas l’occasion au groupe de déployer ses batteries. Il se contente de suivre la progression des armées alliées par Haustadt, Freundstadt, Tuttlingen jusqu’à Ravensburg où il apprend la reddition de la Wehrmacht.
d. Le 102e GOA au combat
Si cette unité intervient plus tardivement que son homologue, elle n’en fournit pas moins un travail excellent au cours de son engagement en Alsace puis en Allemagne où son rôle sera bien plus effectif que celui du 101e GOA .
une longue marche d’approche (01 mai - 8 décembre 1944)
Le IV/65èRAA d’Oran, basé en fait à Casablanca, devient le 102e GOA le 1er mai 1944 sous les ordres du Chef d’escadron RIGAUD.
Vingt jours plus tard, il traverse le Maroc et se fixe à Blida. La perception de l’équipement technique et l’instruction du personnel qui en dépend, posent beaucoup plus de problèmes que pour le 101e GOA. Lorsque le 102 e GOA part à destination de la zone d’attente d’Oran, le 04 septembre, il ne dispose d’aucune SRS et son équipement de SROT est des plus limités. Il embarque néanmoins pour la France en deux temps à partir du 25 septembre, soit quelques jours après le 101e GOA. Le matériel est d’abord chargé à Oran sur des LCT puis le personnel s’embarque à Mers-El-Kebir, le 06 octobre, sur le paquebot polonais Le Bathory. Comme son prédécesseur, le 102e débarque sur la plage de L’Estaque, le 09 octobre. Durant un mois, il cantonne à Aubagne où il se rassemble et attend les ordres, tandis que l’instruction se poursuit.
Le 08 novembre, il entame une remontée du Rhône par Livron, Ambérieu et Amboise qui le conduit à Raddon (70). Toujours en attente du matériel de repérage au son, l’ensemble du personnel débute une autre longue période de formation. Les SROT manœuvrent tandis que les SRS s’entraînent avec les moyens du bord. Elles essaient de déterminer le gisement des départs, imités par la frappe sur de vieux bidons. Elles apprennent aussi à exploiter des bandes d’enregistrement, confiées par un FOB en opération près de Saint-Dié. Enfin, les topographes s’exercent à effectuer des cheminements de base fictifs.
Légende : 8 Décembre 1944
A gauche, le Chef d’Escadron Rigaud, commandant le 102e GOA, entouré d’Alsaciennes en costume folklorique.
A droite, défilé du 102e GOA à Dambach-la-Ville. Les repéreurs sont les premiers soldats français que voient les habitants.
la campagne d’Alsace (08 décembre 1944 - 25 mars 1945)
Après un mois d’instruction, toujours incomplet, le 102e GOA entre dans la bataille en Alsace. Sa zone d’action jouxte celle de son homologue. Tandis que le 101e GOA se déploie au sud-ouest de Sélestat, jusqu’à Colmar, le 102e GOA prend position au nord de Sélestat T, entre à Dambach-La-Ville, libérée par les américains, installe sa 1e Batterie à Nothalten et sa 2e à Scherviller, tout près du 101e. A partir de ses équipes topographiques, momentanément inutilisées, la Batterie d’Etat-Major dresse des observatoires dans des hameaux plus à l’est : Boofzheim, Ebersheim et Semersheim. Jusqu’au début février, les alliés sont sur la défensive. Les bombardements ennemis touchent des villages du dispositif comme Ebersheim, Semersheim, Rossfeld ou Epfig. Le groupe se replie peu à peu vers le nord et son PC s’installe à Andlau le 12 janvier.
L’attaque allemande culmine le 17 janvier avec les bombardements de Sélestat et de tous les villages situés au nord jusqu’à Erstein. Durant cette période, le GOA repère bien des batteries adverses dans les alentours d’Ebersheim et Mussig mais la brume persistante gêne considérablement les SROT, seules présentes. A partir du 20 janvier, la situation s’améliore. D’une part, les alliés reprennent l’offensive vers le sud, et d’autre part, la 2e Batterie reçoit une SRS le 25 janvier. Déployée à Epfig, elle localise trois batteries en trois jours, du 28 au 30 janvier.
Une nouvelle phase s’amorce à partir du 04 février : une semaine avant le déplacement du 101e GOA au Sud-Est, le 102e se redéploie entièrement. Sa mission est d’observer la rive droite du Rhin de Schernau jusqu’au nord de Strasbourg. Une des sections s’installe au nord de cette ville, le long d’une voie ferrée parallèle au Rhin. La I e puis la 2 e Batterie installent leurs bases le long du canal Rhin-Rhône où elles contribuent à la contre-batterie des dernières pièces allemandes visant Sélestat ou Strasbourg jusqu’à mi-février. La campagne d’Alsace du 102e GOA se termine fin mars à Strasbourg où sont regroupées les deux batteries depuis le 08 mars.
la campagne d’Allemagne (26 mars - 07 mai 1945)
Elle est beaucoup plus significative pour le 102e GOA que pour le 101e. Le 27 mars, le groupe s’installe à Oberlauterbach et déploie ses batteries à Worth et dans le Palatinat. Puis il bifurque vers l’Est, franchit le Rhin à Spire et se dirige vers Stuttgart. Du 1l au 15 avril, la bataille fait rage et les deux batteries, qui possèdent chacune une section « son » depuis la fin mars, repèrent une trentaine de pièces ennemies. La réduction de la poche de Pforzheim sonne le glas de la résistance allemande.
Dès lors, aucun événement ne nécessite les services d’un groupe d’observation et le 102e GOA se cantonne à des activités de nettoyage des dernières poches de résistance. De nombreux soldats allemands, en déroute, sont capturés le 07 mai ; le 102e GOA fête la victoire à Jugingen.
e. Un bilan exemplaire
Les résultats obtenus par les GOA sont plus que satisfaisants, voire même inespérés à regard de ceux du Repérage de 1940. En huit mois d’engagement effectif, les deux groupes, soit quatre batteries, localisent plus de huit cents batteries ennemies. Peu de BR de la campagne de France peuvent s’enorgueillir d’un tel succès, d’autant que chaque repérage des GOA donne immédiatement lieu à une contre-batterie par l’artillerie lourde. A deux reprises, le JMO du 101e GOA détaille les activités du groupe.
Le 31 décembre 1944, soit trois mois à peine après l’engagement complet du groupe, il dresse un tableau des résultats techniques obtenus depuis le début :
1e Batterie | section lueurs : | soixante-deux repérages dont vingt-neuf sur la base du Haut-Koenigsbourg (depuis le 08 décembre) |
section son : | trente repérages, tous effectués à Bergheim (depuis le 08 décembre) | |
2e Batterie | section lueurs : | dix-neuf |
section son : | cinquante-cinq dont trente-huit à Ribeauville (depuis le 08 décembre) |
Ces cent soixante-huit localisations ne représentent qu’une faible partie du nombre total des opérations effectuées par le groupe. En effet, une pièce d’artillerie ennemie fait souvent l’objet de plusieurs déterminations qui se complètent et se précisent.
Le 12 février 1945, une lettre émanant du 21e C.A.U.S. (Général HARRIS) précise les services rendus par le 101e GOA durant les quinze jours qu’il vient de passer sous commandement américain :
Ces tableaux fournissent trois indications. D’une part, ils prouvent la capacité du groupe à effectuer un travail très dense sur une période assez courte et donc à s’adapter aux fluctuations du champ de bataille, avec des périodes calmes puis de très forte activité. D’autre part, ils confirment les plus grandes possibilités des SRS par rapport aux SROT. Dans l’ensemble, 70% de repérages proviennent des SRS. Les résultats trompeurs du 21 décembre, qui donnent l’illusion d’un équilibre entre les deux sources (quatre-vingt trois repérages aux lueurs pour quatre-vingt cinq au son), sont dûs à la faiblesse ponctuelle de la SRS de la 1e Batterie. La SRS de la 2e Batterie assure bien 74% des repérages. Les chiffres du 12 février abondent aussi dans ce sens : dans l’ensemble, 66% des déterminations relèvent d’une SRS, suprématie qui s’accroît pour les emplacements confirmés (76%). Enfin, ces tableaux ne sont pas tous assez précis pour rendre compte de la totalité du travail effectué par les GOA. Outre leurs activités de repérage pures, ils assurent plusieurs missions : réglage de tirs de l’artillerie alliée, surveillance du champ de bataille, non quantifiable et diffusion de leurs bulletins météo à d’autres unités que la SRS, telles l’Artillerie lourde, l’Aviation...
Les huit tués et vingt blessés des GOA au combat attestent de l’ardeur des personnels à remplir ces missions. En plus de deux cent quatre-vingt-et-une citations personnelles, l’exemplarité de ces unités leur vaut plusieurs lettres de félicitations, dont pour le 101e GOA, celles du Général CHALLOT, commandant l’artillerie de la 1ère Armée française, du Général HARRIS, commandant l’Artillerie du 21e CAUS et du Major Général MILBURN, commandant le 21e CAUS.
Les conséquences de cette réussite sont doubles. Au niveau français, elles redonnent confiance en une arme que tous pensaient dépassée. Un 103e GOA est d’ailleurs créé le 1er février 1945 à Vincennes. Il forme l’Élément d’Observation de CA (EOCA) du 3e CA du Général LECLERC. A partir du 22 février, il participe au nettoyage des poches de l’Atlantique, notamment à Royan. Il est dissous le 1er novembre 1945. Le 104e GOA formé à Paris le 15 mars pour le 4e CA n’est en fait qu’une création fictive, abandonnée dès le 15 juin. Les résultats spectaculaires engagent le haut commandement militaire à maintenir définitivement des moyens de repérage et de renseignement dans l’artillerie, même s’il ne sait pas encore dans quelle proportion ni sous quelle forme. En septembre 1945, le 101e GOA fait mouvement sur Oberstein puis il est officiellement dissous le 1er février 1946. C’est donc à partir du 102e GOA que va se reconstituer le Repérage français. Pour ce qui est de l’organisation, de l’emploi et du matériel, l’expérience des GOA instaure durablement la présence américaine dans le repérage français, comme d’ailleurs dans toutes les autres armes. Même si le 6e GAA représente un passé déjà très riche auquel chacun essaie de se rattacher, il faut bien admettre que le nouveau repérage français a considérablement évolué sous l’impulsion américaine. Il est donc grand temps d’analyser la véritable influence américaine.
[1] Les Sioux, n° 25 p.3
[2] Journal des Marches et des Opérations du IVe/AD7, Discours du Capitaine LAGARDERE, 20 avril 1944