La formule consacrée est de dire que la Campagne de France n’a pas donné au Repérage l’occasion de se mettre en valeur. La volonté et le courage des hommes se sont heurtés au déferlement le plus terrible qu’ait connu le territoire national. La défaite générale est sans appel et le Repérage, à l’image de l’Armée tout entière, dévoile de nombreuses failles. La faiblesse des résultats obtenus ne résulte pas que de la durée très limitée du conflit.
a. Le Repérage : une arme inadaptée
La guerre sanctionne très sévèrement l’évolution du Repérage depuis 1918. Les modifications destinées à le rendre plus souple et plus maniable, en tout cas dans le domaine de la motorisation, facteur principal de la mobilité, se révèlent tout à fait insuffisantes face aux nouvelles données tactiques adverses. Une nouvelle fois, comme en 1918, les repéreurs se retrouvent asphyxiés par la guerre de mouvement.
une organisation interne défaillante
Les réflexions de l’entre-deux guerres et la mise au point d’une doctrine d’emploi ne portent pas leurs fruits. Cette mauvaise exploitation des renseignements rend caducs tous les efforts des observateurs sur le terrain.
Le principal problème tient dans l’encadrement administratif des batteries. Une étude précédente (cf. II.B2.b. Au niveau du SRA) montre que les BR appartiennent à la RGA qui les confie aux SRA d’Armée. Ce dernier répartit les unités suivant son choix entre les SRA des différents CA. Mais le SRA d’Armée garde toute autorité sur ses batteries et peut en reprendre le contrôle à tout moment. Or cette règle élaborée en temps de paix ne résiste pas aux réalités du temps de guerre. La majorité des Armées abandonnent leurs unités de repérage et les rétrocèdent aux CA subordonnés. Seule la VIIIe Armée exploite directement la 8e BR. Les IIe et IIIe Armées, ponctuellement, reprennent aussi en main leurs batteries. Les autres Armées n’assurent plus leur fonction de répartition, de direction, de centralisation vis-à-vis des BR.
L’accélération des combats aggrave encore la situation. Non seulement les SRA d’Armée ne donnent plus d’instructions, mais ils n’informent même plus les commandants d’unité de leurs lieux de stationnement. Lors de la retraite, les capitaines responsables des BR passent un temps précieux à essayer de retrouver l’état-major d’artillerie de leur armée dans la plus grande confusion. Ce n’est que la constance et l’initiative de ces officiers qui permet un repli efficace, en bon ordre. Les exemples abondent dans ce sens : en juin 1940, le SRA de la VIIe Armée confie la 6e BR, demandée au GQG, à un corps d’Armée ; quelques jours plus tard, il ne sait déjà plus où joindre cette batterie alors qu’il est censé diriger et coordonner son activité. Le 14 juin, le Capitaine HAEGEL, commandant la 7e BR, est obligé de dépêcher deux de ses lieutenants, dans des directions différentes, afin de retrouver l’État-major de la VIe Armée à laquelle ils viennent d’être affectés.
Les conséquences sont d’autant plus graves que les SRA de CA, dans la plupart des cas, ne savent pas utiliser à bon escient les BR dont ils ont maintenant la charge. Un rapport du 20 mars 1942, cité par le Colonel MONNET, le signale : « La plupart des SRA de CA étaient peu actifs, voire peu compétents dans l’utilisation judicieuse des BR ». Le rôle originel des CA (subordonnés) consiste seulement à accompagner les batteries dans leur marche d’approche, à assurer leur bonne installation, à recueillir et exploiter sommairement les renseignements et surtout à les transmettre rapidement au niveau supérieur. Mais ils ne sont en aucun cas préparés à la mission des SRA d’Armée qui doivent coordonner le travail de l’ensemble des moyens de renseignement de l’artillerie. N’ayant qu’une vue partielle du théâtre des opérations, ils ne connaissent pas les besoins sur le front et placent les batteries aléatoirement. Enfin, ils ne connaissent pas les possibilités et les limites d’utilisation des BR ce qui entraîne de nombreuses erreurs dans leur déploiement. Bref, les SRA de CA n’arrivent pas à remplir les fonctions que les SRA d’Armée leur ont délégué dans les faits.
En effet, les états-majors ne donnent pas toujours de suite à ces travaux, au grand désarroi des repéreurs. L’anecdote suivante, tirée du JMO de la 7e Batterie [1] est révélatrice des limites des compétences des SRA de CA dans l’exploitation des informations. Elle se situe en avril 1940, dans le secteur de Bitche, alors que la 7e BR opère sous les ordres du 8e CA.
« Un jour, tous les postes SRS et plusieurs postes SROT repèrent une batterie en train de tirer ; repérage parfait à quelques mètres près. La batterie est très près des lignes françaises, un pas en avant des avant-postes allemands. Nous alertons aussitôt l’artillerie du CA pour une contre-batterie immédiate. Scepticisme goguenard de nos interlocuteurs : nous nous sommes trompés, nous rêvons, on a jamais vu d’artillerie aussi en avant... Au bout d’une demi-heure de palabres, la contre-batterie nous est accordée du bout des lèvres, certainement inefficace d’ailleurs, la batterie allemande s’étant sûrement éloignée. Or, quelques jours après, nous recevions par l’intermédiaire de ce même état-major, une note fort intéressante du GQG sur "les enseignements de la Campagne de Pologne ", entre autres, il y était expressément dit qu’un de ces enseignements était l’utilisation d’artillerie de campagne, en batteries volantes à la hauteur des premières lignes d’infanterie et parfois même en avant... ».
En somme, le Repérage a souffert des défauts de la structure dans laquelle il est intégré. L’attribution des BR aux Armées et la multiplication des liaisons rendues nécessaires entre les différents organes de renseignement s’avèrent beaucoup trop lourdes à gérer. Chacun essaie de contourner cette organisation trop complexe, élaborée en temps de paix. Mais la transgression de certaines règles, même dans un souci d’efficacité, finit de désorganiser le système, d’autant plus que tout le monde n’adopte pas la même attitude. Certains semblent même faire du zèle au niveau du respect des procédures, ce qui aboutit à des situation aberrantes. Ainsi, lors du passage de la 15e BR de la VIe à la IVe Armée, en juin 1940, le GCTA6 qui devait apporter son concours à la topographie de la SRS refuse d’un coup toute son aide, malgré l’urgence des travaux. Ce n’est que quarante-huit heures plus tard que le Général commandant l’Artillerie de la IVe Armée décide de confier cette mission au personnel du GCTA4 qui doit reprendre l’étude commencée au pied levé. Comme c’est souvent le cas, une volonté de souplesse mal contrôlée et trop tardive aboutit à un confusion réelle, accentuée ici par le caractère spécial de la Blitzkrieg.
une méthode inadaptée à la guerre de mouvement
Peu de batailles portent aussi bien le qualificatif de guerre de mouvement que la campagne de FRANCE. L’engagement de matériel moderne et surtout l’emploi tactique qui en est fait permet aux armées allemandes d’effectuer des percées localisées et dévastatrices qui désorganisent les lignes de front. Des unités mécanisées légères et très mobiles profitent de ces "trouées" pour pénétrer très en avant dans le territoire et amorcer des mouvements tournants qui piègent l’ennemi entre deux feux. Cette stratégie prend à contre-pied les prévisions françaises, basées sur un affrontement figé le long d’une solide ligne de défense. Comme l’ensemble des troupes, les unités de repérage sont surprises par le caractère foudroyant de l’attaque allemande et n’arriveront jamais à s’adapter. Ce constat d’échec prouve l’insuffisance des efforts consentis depuis la Grande Guerre dans le domaine de la mobilité. Les liaisons constituent le principal obstacle au déplacement des Batteries de Repérage : un poste radio par batterie ! Les recherches menées juste avant-guerre ne réussissent pas à affranchir les sections de câbles téléphoniques.
Ces réseaux de transmissions sont pourtant indispensables au fonctionnement interne des sections et aux liaisons entre unités. Les repéreurs doivent déployer des dizaines de kilomètres de câbles, avec une dérouleuse fixée sur un véhicule ou manuellement dans les zones difficiles d’accès. Mais le temps et le personnel nécessaires à ces installations paraissent encore négligeables par rapport aux efforts fournis pour l’entretien de ces lignes. En hiver, l’humidité ou le gel les empêchent souvent de fonctionner. La solidité de leur fixation et leur état d’usure doivent être contrôlées en permanence. Et lors de bombardements, les câbles sont souvent touchés au moment où ils sont le plus utiles. Les équipes téléphoniques chargées des réparations travaillent alors sous le feu des bombardements et des mitraillages aériens, le long d’un front mouvant qui menace de les emprisonner à tout moment ; la même semaine, la 9e BR à Dunkerque a redéployé son réseau filaire trois fois sous les bombardements. Seules les BR des secteurs fortifiés bénéficient d’un réseau interne moins exposé, au moins au départ de la campagne. Chaque déplacement impose la mise en place d’un nouveau réseau, même sommaire. Mais la réduction des délais ne permet pas de suivre le rythme des opérations.
Une erreur trop fréquemment commise au niveau du déploiement des unités accentue cet handicap. En effet, les SRA attribuent souvent aux BR une zone de surveillance beaucoup trop étendue. Cette tactique censée palier l’insuffisance quantitative des BR multiplie la longueur des réseaux téléphoniques et rend la batterie encore plus lourde à manœuvrer. L’installation de la 19e BR s’effectue sur une zone de vingt kilomètres sur dix-huit et nécessite la pose de cent soixante-dix kilomètres de câbles en quatre jours. Les 2e, 23e et 24e BR tiennent aussi un front d’une vingtaine de kilomètres. La VIe Armée établit un record aberrant en la matière, en confiant à sa batterie un front de trente kilomètres sur l’Aisne. Pourtant, en avril 1940, le Groupement des Batteries de Repérage s’inquiète de cette situation et conseille aux Armées de réduire le front des BR dans un souci de mobilité et d’efficacité. Les commandants d’unité se plaignent souvent des distances trop importantes entre les bases et le Central qui obligent à maintenir dans chaque poste deux équipes qui se relaient toutes les vingt-quatre heures, aucune des deux n’ayant le temps de rentrer au Central. Ainsi, l’instauration du déploiement par échelon n’a pas résolu les problèmes de mobilité des BR. La réduction des délais d’installation obtenue depuis la Guerre paraît bien mince face aux progrès de l’ennemi.
un matériel obsolète
Là encore, les repéreurs paient leur manque d’inventivité. Les succès de la première guerre ne les ont pas amenés à renouveler leur matériel : la majeure partie des instruments en dotation en 1939, malgré quelques modernisations, répondent aux mêmes principes que ceux utilisés en 1918. Or les SROT ne se contentent plus de matériel optique moyen mais réclament des lunettes de visée et des télémètres de 1,60 m, plus maniables que ceux de 2,20 m de base. Elles demandent aussi des lunettes de reconnaissance de type DCA et surtout une amélioration de l’éclairage des micromètres et des cercles de visée. Au niveau des SRS, seul l’hyperbolographe fait figure d’élément moderne ; sa complexité et son encombrement le rendent pourtant totalement inadapté aux déplacements. Le matériel de repérage au son proprement dit est le TM 18, vieux de plus de vingt ans. Le rapport PICHOT lui reproche la complexité des tableaux nécessaires aux centraux, la rusticité des microphones et surtout la sensibilité des oscillographes.
Au-delà d’un problème de matériel, apparaissent de véritables problèmes de méthode, de système dans leur globalité. Ceux-ci montrent des limites qu’une amélioration des matériels ne suffirait pas, de toute façon, à résoudre. Le repérage au son, notamment, éprouve les pires difficultés lors de bombardements intenses ou de duels d’Artillerie : les bandes de l’oscillographe sont surchargées et deviennent indéchiffrables. De plus, les systèmes SRS ne semblent plus aussi incontournables ou catégoriques qu’avant : aux abords de Thionville, les Allemands ont réussi le camouflage sonore d’une batterie de très gros calibre qui tirait sur la ville. Les techniciens de la 13e BR n’ont pu la localiser que grâce à un retard des liaisons téléphoniques ennemies. Cependant, la 21e BR, par un repérage heureux à trois heures du matin, avait enregistré un coup unique de ce canon : il n’en a pas été tenu compte en haut lieu mais l’emplacement sur un épi de voie ferrée à vingt-cinq kilomètres était bien celui de la pièce. Une remise en cause technique en profondeur s’impose donc dès la fin des hostilités.
Tous ces problèmes sont accentués par les faiblesses générales de l’Armée Française.
b. Le Repérage : une arme soumise aux carences de l’Armée :
Les repéreurs exercent leur mission dans des conditions particulièrement délicates et souffrent encore plus que d’autres de la mauvaise préparation au combat de l’appareil militaire français. Les problèmes sont de plusieurs ordres
mangue de clairvoyance tactique des états-majors
La disposition des BR sur le front a déjà été analysée précédemment. Il est clair qu’elle relève d’une conception purement défensive et attentiste. La décision de se déployer le long des frontières, sans pénétrer dans le territoire ennemi, à l’automne 1939, est la première cause des difficultés futures. Les quelques accrochages qu’entretiennent les allemands au cours de la drôle de guerre n’ont d’autre but que de fixer les forces alliées et d’avoir ainsi les mains libres pour régler la question polonaise. Une fois la Pologne envahie, l’Allemagne bénéfice encore de l’inaction alliée qui lui laisse le temps d’amasser des troupes et de les concentrer en des points précis. Or la concentration des moyens en artillerie augmente sensiblement la difficulté de leur repérage. Une autre réflexion mérite d’être notée. Si les BR n’ont pas suffisamment axé leur technique vers la rapidité d’action, c’est qu’elles ne disposent peut-être pas de tous les éléments pouvant leur permettre de l’atteindre. En effet, les états-majors ont négligé les modifications intervenues chez l’ennemi et précisément dans son artillerie. Ils n’ont pas prévu l’importance que prennent les chars d’assaut depuis la campagne de Pologne. Les divisions cuirassées (Panzer) assurent désormais une partie non négligeable de la mission d’artillerie, mais en transformant son caractère (rapidité, mobilité, facilité de mise en oeuvre). Les Français ont toujours considéré l’utilisation du char comme un soutien direct pour l’infanterie et non comme un moyen de feu puissant en vue d’une attaque massive, malgré les mises en garde et les propositions du Colonel de GAULLE. Cette vision erronée n’incite pas les BR à s’adapter dans des proportions convenables et les met devant le fait accompli en mai 1940.
Le manque de BR dans l’Artillerie résulte aussi d’une imprévoyance des états-majors, pas seulement d’un problème global de crédits. A la veille du conflit, des instructions paraissent sur le renseignement et passent en revue les différentes sources disponibles.
Il apparaît que le rôle de l’aviation est particulièrement mis en avant par rapport aux autres moyens, notamment les BR, considérées comme monopole de l’Artillerie (alors que leurs informations sont redistribuées à toutes les autres armes par l’intermédiaire du SRA). Les progrès de l’aviation militaire depuis les balbutiements de la Grande Guerre monopolisent l’attention.
L’aviation semble toute à fait prête à assurer des missions de renseignement : elle conjugue rapidité, transmission instantanée et surtout long rayon d’action, permettant une observation en profondeur dans le territoire ennemi. Enfin, elle bénéficie, dans ce domaine particulier, de l’expérience de la Grande Guerre qui a vu naître l’aviation d’observation d’artillerie. Le commandement parie donc beaucoup sur les promesses de cette nouvelle structure au détriment des autres moyens. Mais c’est oublier la tournure que prennent les événements dès septembre 1939. La maîtrise de l’espace aérien revient très rapidement à la Luftwaffe, dotée d’une flotte plus nombreuse et surtout plus moderne. La chasse française, débordée, ne peut plus ni mener des missions de renseignement, ni assurer la protection des appareils spécifiques d’observation. L’information ne provient plus que d’unités terrestres et l’insuffisance de BR se fait alors sentir. En 1939, leur nombre n’excède pas vingt-trois, chacune ayant une section SROT et une section SRS. Par comparaison, l’artillerie disposait en 1918 de cinquante-deux compagnies SROT et quarante-huit SRS qui, regroupées, auraient pu donner une cinquantaine de batteries. Mais la structure et les capacités des anciennes compagnies et des BR sont différentes et il est hasardeux de les comparer. Pourtant, même au niveau des effectifs, l’insuffisance est criante : une BR comprenant en moyenne deux cent cinquante hommes, officiers compris, la totalité du personnel du Repérage s’élève à cinq mille cinq cents hommes dont le quart ne participe pas directement à des tâches de renseignement effectives (service général, chauffeurs, dépanneurs). Par rapport aux trois mille repéreurs de fin 1918, force est de constater que l’augmentation des effectifs n’a pas été un souci prioritaire de l’état-major.
difficultés d’équipement
C’est la caractéristique majeure d’une Armée préparée trop hâtivement au combat. La stabilisation du front, mise à profit par les alliés, ne permet pas de combler tous les déficits. La pénurie de matériel donne lieu à des scènes pittoresques au moment du départ en campagne mais la situation reste précaire jusqu’à la fin. Le repérage en souffre d’autant plus que ses points sensibles sont touchés.
Les dotations en matériel de transmission font le plus cruellement défaut. Les batteries ne possèdent qu’un poste radio modèle ER 17, réservé à la liaison avec le commandement. Mais ce sont les câbles téléphoniques qui font le plus défaut. Chaque BR est dotée de cent dix kilomètres de lignes seulement au départ, alors que certaines bases en réclament quasiment le double, ce qui oblige les capitaines à démarcher sans cesse les services de transmissions ou les états-majors. Certaines scènes ne sont pas sans rappeler le temps où les pionniers du Repérage devaient supplier un commandement sceptique pour quelques mètres de câbles !. Le JMO de la 15e BR illustre ces difficultés : le 12 novembre 1939, la base lui étant attribuée nécessite cent quatre-vingt-dix kilomètres de fils téléphoniques. Une demande de quatre-vingt-dix kilomètres est donc faite au service des transmissions du CA. Elle est à nouveau appuyée le 27 novembre auprès du Général Commandant l’Artillerie du CA. Ce n’est que le 15 décembre, soit un mois plus tard, que la batterie reçoit vingt kilomètres supplémentaires !. Entre-temps, elle a dû suspendre son installation, puis la reprendre en réduisant sa longueur.
Le manque de ligne oblige parfois les guetteurs des SROT à recourir au topage à la voix (abandonné depuis 1916 !) pour un poste sur deux. La qualité du matériel fourni ne répond pas toujours au besoin. Les transmissions sont installées avec du câble léger et sans poulie, sur des lignes aériennes très vulnérables. Enfin, l’abandon de la totalité du réseau en cas d’évacuation de la base n’arrange pas les choses.
Les limites du parc automobile se ressentent aussi très vivement car elles accentuent l’immobilisme des unités. Pourtant les moyens de transport s’étoffent dans l’entre-deux guerres. En 1932, les BR disposent de plusieurs modèles :
En 1936 ou 1937, une batterie en manœuvre en Alsace-Lorraine dispose de 4x4 ou 4x6 roues tout terrain à titre d’expérimentation. Mais la mobilisation réserve tous ces moyens à quelques régiments d’artillerie ou de reconnaissance de cavalerie. Les BR se retrouvent démunies et doivent se contenter de matériels de réquisition obtenus au dernier moment. La plupart des véhicules présentent un état d’usure avancée et ne sont ni camouflés, ni adaptés à une utilisation tout terrain. La plupart des unités, comme la 7e BR, trouvent une camionnette pour chaque poste, une traction pour l’état-major et quelques motos pour les liaisons. Mais le manque de camions de transport du personnel et du matériel provoque, lors de la retraite, de nombreux abandon de matériels et de vêtements. A ce parc auto défaillant, s’ajoute un problème de ravitaillement en essence qui s’accentue durant l’exode (pénurie, destruction volontaire).
L’insuffisance en matériel de génie freine aussi les repéreurs dans la construction de leurs abris. Chaque base demande la construction d’un central vaste et fortifié, ainsi que la création d’abris résistants et discrets pour les guetteurs des postes proches des lignes ennemies. L’obtention de matériel est extrêmement lente. La demande de la 15e BR d’octobre 1939 n’est exhaussée qu’en mars 1940 alors que l’hiver est déjà passé. De plus, une réponse rapide aurait permis durant tous ces mois l’enterrement et donc la protection du réseau de transmissions. Comme pour le câble et les véhicules, les commandants d’unité doivent encore et encore supplier pour le moindre outil.
La pénurie se ressent jusque dans l’armement des combattants. Les repéreurs de plusieurs batteries ne touchent leur casque que la veille de leur départ. Les quelques FM et revolvers 1873 sont réservés aux officiers et au personnel des postes et des équipes téléphoniques les plus exposés. Face aux attaques rapprochées, les centraux disposent seulement d’une ou deux mitrailleuses en piteux état, censées assurer la DCA.
problème de personnel
La guerre ne remet pas en cause la formation des repéreurs, parfaitement aptes à remplir leur mission. Paradoxalement, la qualité des hommes va desservir le Repérage. Plusieurs autres unités réclament leurs compétences irremplaçables et les BR perdent progressivement leurs éléments les plus précieux. Les demandes de mises en « affectations spéciales » débutent au mois d’octobre 1939.
Selon le JMO de la 7e BR, elles touchent des topographes, des météorologistes ou d’autres spécialistes qui ne sont pas toujours remplacés. Ces ponctions affaiblissent considérablement le contingent de personnel des BR. En avril 1940, la 7e BR est déficitaire de deux officiers, six sous-officiers et trente-trois hommes du rang, tandis que la 15e BR déplore la perte de 35% de ses effectifs depuis les premiers départs de janvier. Ces réductions retardent les travaux entrepris et bouleversent l’organisation des activités. Les postes, les centraux, les équipes téléphoniques et topographiques sont remaniés en permanence. Les commandants d’unité parviennent à récupérer des travailleurs auprès de leur supérieur pour les travaux ordinaires mais les postes de spécialistes pour les tâches techniques de repérage ne sont pas pourvus : le personnel du Repérage n’est pas interchangeable comme celui d’autres unités.
Le 1er août 1940, le Repérage français a vécu. L’échec de cette spécialité d’origine française se confond avec celui de son armée. Contrairement à la première guerre mondiale, la campagne de France n’a pas confirmé l’utilité du Repérage, loin s’en faut. Les commentaires des repéreurs eux-mêmes, traduisent leur perplexité.
"Sur les trois bases que la batterie a occupées, les mêmes difficultés d’installation des postes, des centraux et des transmissions font que, dès le début de l’action ennemie, nous ne pouvons plus rendre de service à l’artillerie et au commandement. Faut-il admettre pour cela que, dans la future armée française, le Repérage n’aura plus sa place ?" [2]
Cette interrogation, quoiqu’un peu exagérée, paraît légitime. Si les BR peuvent toujours assurer un minimum d’observation et de surveillance, il est vrai que leur rendement du point de vue repérage est quasiment nul. Une utilisation inadaptée et la rapidité des opérations réduisent les repéreurs à l’impuissance totale. Les pertes subies renforcent ce sentiment d’amertume. Rares sont les batteries qui sortent indemnes de la bataille. Le nombre de tués, blessés ou disparus est comparable à celui constaté dans l’ensemble des troupes, soit 3% du personnel en moyenne et prouve que l’engagement des hommes fut à la hauteur des dangers de la mission. Il faut néanmoins se garder de toute vision entièrement négative. Les Batteries confirment leur talent dans une situation figée face aux grosses pièces d’artillerie. Elles se montrent ponctuellement capables d’exploits tout à fait atypiques. Selon le Général NICOLLET, citant une revue allemande de 1942, la 18e BR opère un changement de front de 90° dans la nuit du 15 mai et fait surprendre par notre contre-batterie une division ennemie en cours de relève, lui occasionnant 70% de pertes. Les états-majors prennent conscience des erreurs commises et proposent, tardivement certes, les premières solutions. Le Lieutenant-colonel BARDIAUX, commandant le Groupement des Batteries de Repérage, dresse un état des lieux du Repérage et en conclut enfin que les BR devraient être des éléments organiques du CA ; deux batteries de quatre SROT et six SRS (sans compter topo et service) seraient les bases d’un groupe de Repérage. Enfin, il ne fait pas oublier que 95% des tirs d’artillerie durant la campagne de 1940 ont pour origine les renseignements des BR. Des perspectives s’offrent donc encore au Repérage, à condition qu’il s’adapte au nouvel environnement de la guerre. L’apport américain à travers les GOA le remet sur les rails et montre qu’il n’est nullement besoin d’une révolution technique pour obtenir des résultats.