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A- La Campagne de 1940 : un rendez-vous manqué.
 

LA CAMPAGNE DE 1940 : UN RENDEZ-VOUS MANQUE

1. Les Batteries de Repérage au combat

a. Leur création

A la mobilisation, le 6e GAA adopte une nouvelle structure préalablement définie et forme plusieurs Batteries de Repérage (BR) opérationnelles.

Leur personnel se compose d’un noyau actif assez restreint, environ 10% et de très nombreux réservistes, tant chez les hommes du rang que chez les officiers. Ces unités sont créées en deux temps :

  • Le 24 août 1939, la 4e Batterie de Forteresse, stationnée à Montigny-Les-Metz depuis 1938 et formant corps sous les ordres du Capitaine COURTIN, donne naissance aux 21e, 22e, 23e et 24e BR qui sont constituées le jour même et rejoignent leurs emplacements en vingt-quatre heures.
  • A partir du 3 septembre 1939, Saint-Cloud devient un Centre de Mobilisation de l’Artillerie (CMA G1) et met sur pied une vingtaine de batteries :
    • le 03/09 : les BR 1 et 2
    • le 07/09 : les BR 3 à 8
    • le 09/09 : les BR 9 à 12
    • le 16/09 : les BR 13 à 15
    • le 17/09 : les BR 16 à 19

Plus tard sont constituées les 93e et 99e batteries destinées à l’instruction puis le 04 avril 1940 la 141e BR et la 50e batterie Topo envoyées en Afrique du Nord.

Le 16 décembre 1939, une note du GQG instaure un groupement des batteries de Repérage qui fait partie de la première subdivision de la Réserve Générale de l’Artillerie (RGA) stationnée à Meaux. Le Chef d’Escadron RUMEAU, ancien Commandant du 6e GAA commandant ce groupement fait fonction de Chef de Corps pour les vingt-trois batteries intégrées (les dix-neuf BR de Saint-Cloud et les quatre BR de Metz). Il deviendra par la suite Directeur Général de l’Institut Géographique National, ex Service Géographique.

b. Leur affectation dans la drôle de guerre

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Sur les vingt-cinq batteries métropolitaines, vingt-et-une rejoignent le front au sein de différents corps d’Armées :

  • les BR 21 à 24 sont affectées aux régions fortifiées et appuient les unités de forteresse de la ligne MAGINOT,
  • les BR 1 à 5 et 7 à 18 s’installent tout au long des frontières nord et Nord-Est.
  • Les 6e et 19e BR restent en réserve, à la disposition directe du GQG et stationnent donc à Meaux. Les 93e et 99e batteries d’instruction cantonnent à Mailly où elles assurent la formation des nouveaux personnels, comme le centre de Saint-Cloud durant la première guerre. Les unités envoyées en Afrique du Nord vivent apparemment de façon autonome, tout en étant rattachées aux unités les plus proches.

Ces dispositions générales correspondent au début des hostilités et varient au cours des mois, suivant l’activité du front, les décisions du commandement mais aussi les modifications dans l’organisation du Repérage. Il faut donc préciser la répartition géographique et organique des unités et en étudier l’évolution. (Etablir un suivi exhaustif des activités de chaque batterie s’avère assez fastidieux, d’autant plus que les documents consultés ne concernent pas toutes les unités).

Au niveau de leur répartition organique, une série d’« instantanés » de situation met toutefois en évidence les principaux changements intervenus jusqu’en juin 1940.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce tableau :

  • plus de la moitié des Batteries de Repérage sont mises à disposition de trois armées, les IIIe, IVe et Ve qui en possèdent quatre ou cinq. Toutes les autres armées se contentent d’une ou deux batteries que complètent parfois la 6e ou la 19e BR sur ordre du GQG,
  • les batteries conservent dans la majorité des cas la même autorité de tutelle durant toute la campagne. Le mouvement des troupes ne bouleverse pas l’organisation de départ, du moins jusqu’au 10 mai 1940. A cette date, seules les 12e et 17e BR permutent pour délester la Ie Armée d’une unité au profit de la Ile Armée. Le mois suivant l’offensive allemande, les 2e, 3e, 6e et 23 e BR quittent leur affectation d’origine et viennent renforcer les Ie, IIe et VIe Armées. De la mobilisation au repli de juin 1940, dix-sept batteries sur les vingt-trois engagées restent donc à la disposition du même commandement. Le cas le plus symptomatique est celui de la IVe Armée qui conserve jusqu’à l’armistice les quatre mêmes unités (4e, 14e, 16e et 22e BR).

Toutefois, cette stabilité n’est qu’apparente. Dans les faits, des modifications, même temporaires, interviennent de plus en plus souvent au cours de la campagne. Lors du repli vers le sud ou des ultimes combats de la poche de Dunkerque, les batteries se mettent aux ordres des armées les plus proches et les multiples changements d’affectation ne sont plus significatifs que d’une totale désorganisation. De plus, dépendre d’une seule armée n’est pas un gage de stabilité pour les BR qui peuvent être confiées à ses différents corps d’armées successivement. Il arrive même qu’une batterie accompagne son CA dans sa nouvelle affectation et change d’armée avec lui.

Le Journal des Marches et Opérations (JMO) de la 15e BR rend compte de ces péripéties [1] ;utilisée conjointement sur les fronts des IIe et IIIe armées, elle est mise à disposition de la IXe Armée dès le 28 octobre 1939. Cette dernière l’affecte à son 4e CA puis le 15 janvier suivant au 41e CAF (Corps d’Armée de Forteresse) ; le 27 mai, la IXe Armée cède la 15e BR à la nouvelle Armée qui la confie le jour suivant au 23e CA. Or le 6 juin, ce même corps passe à la IVe Armée et entraîne avec lui sa batterie de repérage qui aurait pourtant dû rester, selon les directives officielles, au sein de la VIe Armée. La stabilité constatée sur le papier n’est donc que relative et c’est là une des premières causes des difficultés du Repérage pendant la guerre.

Au niveau de la répartition géographique, une étude de la situation au 10 mai révèle les principes généraux adoptés. La liste des emplacements des « centraux » établie par le Colonel MONNET, donnée ici sous la forme d’un tableau (cf ci-dessous), permet de dresser une carte de situation précise.

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La disposition des unités de repérage sur le front reflète bien la tactique générale de l’état-major français. La majorité des BR appartiennent aux IIIe, IVe et Ve Armées qui sont installées dans le secteur fortifié à la frontière allemande. En comptant la 8e BR de la VIIIe Armée, elle aussi en Alsace, ce sont au total quatorze BR qui surveillent les trois cent quarante kilomètres en avant de la ligne MAGINOT, soit en moyenne une batterie tous les vingt-cinq kilomètres. La IIIe Armée installe ses cinq BR quasiment en ligne face aux frontières luxembourgeoises et allemandes, en les espaçant d’à peine vingt kilomètres. Cette concentration d’unités sur le front Nord-Est contraste sérieusement avec la dispersion sur le front nord. La densité des BR est en effet moindre le long de la frontière belge. Les Ie, IIe, VIIe et IXe Armées qui couvrent cette zone, ne disposent que de deux, voire une seule batterie chacune. Les sept BR concernées doivent assurer en moyenne la surveillance d’une secteur de quarante cinq kilomètres de long, soit le double de ceux attribués aux batteries d’Alsace-Lorraine. Même les 6e et 19e BR en réserve du GQG sont beaucoup plus souvent confiées au front Nord-Est qu’au front Nord (6e batterie en Alsace du Nord jusqu’à l’hiver, 39e et 19e batterie aux alentours de Colmar en septembre 39).

De plus, la carte souligne une discontinuité dans l’occupation du terrain. Les BR 12, 18 et 15 sont groupées dans les Ardennes, entre l’Aisne et la Meuse. Les BR 10, 11 et 3 constituent un deuxième groupement au sud de Valenciennes. Entre ces deux pôles reste libre un espace d’une cinquantaine de kilomètres qui sépare d’ailleurs les deux batteries de la IXe Armée. Il faut à nouveau franchir la même distance pour trouver la 9e BR de la VIIe Armée qui est isolée au nord-ouest de Lille. La disposition des unités de repérage est donc conforme aux choix de l’EM qui choisit de se retrancher derrière la ligne MAGINOT au détriment de la protection de la frontière belge qu’il croit moins directement menacée.

L’activité des Batteries de Repérage pendant la Drôle de Guerre s’apparente à celle de toutes les autres unités. A la nervosité et à l’effervescence du départ et de l’installation sur le front, succède une longue période d’attente durant laquelle les accrochages (Tromborn, Creutzwald la Croix, la Warndt), bien que violents, restent localisés et somme toute assez rares. L’incertitude devant l’avenir et le sentiment d’incompréhension de la part de la population civile atteignent le moral des soldats qui bien qu’inactifs, doivent supporter les dures réalités de la vie en campagne et notamment la rudesse de l’hiver 1939-1940. Les particularités d’une BR lui assignent toutefois de nombreuses tâches susceptibles de tirer les repéreurs de leur désœuvrement.

Ceux-ci profitent d’abord de ces moments calmes pour parfaire leur installation. Ils prennent le temps de choisir les emplacements les meilleurs et aménagent au mieux leur cadre de vie, grâce aux matériels fournis par l’Armée mais aussi par la générosité des populations autochtones. Un soin particulier est également porté au camouflage et à la protection des postes et des centraux. Enfin, le matériel nécessite un entretien constant tout comme les liaisons qui souffrent des conditions climatiques.

A tous ces travaux, s’ajoute la participation à divers exercices destinés à entretenir les compétences du personnel ou à résoudre les premiers problèmes constatés. Les premiers jours de mars 1940, la SRS de la 15e B.R participe à une école à feu près de Warnecourt [2] Les BR installées près de la ligne MAGIN0T trouvent une parade au brouillage provoqué par la densité des réseaux électriques dans ce secteur. Elles obtiennent l’autorisation d’installer les postes dans les intervalles ou en avant des fortifications. Le commandant de l’Artillerie de la IIIe Armée entraîne ses batteries de repérage à échanger leur position afin de faire face à un remplacement au pied levé en cas de coup dur : la le et la 21e BR réussissent cette manœuvre en six jours durant le mois de mars. De fait, durant ces quelques mois, les BR engagées sur le front ont bien rempli leur mission. Mis à part les quelques combats sérieux livrés par les Allemands pour fixer les troupes françaises au début de la campagne, les duels d’artillerie de grande ampleur sont rares. Néanmoins, les repéreurs travaillent et identifient la majeure partie des batteries ennemies malgré leur faible activité, comme le confirmeront les photographies aériennes. Les SRA des IIIe, Ve ou VIIIe Armées arrivent ainsi à établir des cartes très complètes du dispositif adverse. Même lorsque ce dernier ne se manifeste par des tirs, les repéreurs assurent toujours leur mission de surveillance générale du champ de bataille et rapportent souvent des renseignement précieux ; la 9e BR découvre la construction d’ouvrages de défenses (préalables à l’attaque allemande de mai en Belgique) en surveillant les tunnels d’une ligne de chemin de fer tandis qu’une autre batterie repère un réseau d’espionnage allemand qui à la mauvaise idée de communiquer par des lueurs.

c. Les BR de la Blitzkrieg à l’Armistice

A l’image de toute l’armée française, les BR subissent de plein fouet l’attaque allemande du mois de mai dont l’ampleur et la rapidité les prennent de court. La guerre éclair rend inutiles les quelques repérages encore possible et les anciennes unités du 6e GAA n’ont d’autres choix que d’organiser leur retraite et de prendre part à contrecoeur à l’exode de quelques sept millions de civils. Mais toutes ne connaissent pas le même sort car leur affectation et leur mission évoluent en fonction des opérations.

Le 10 mai 1940, toutes les unités sont mises en état d’alerte suite à la reprise des combats par les Allemands. Ceux-ci rentrent victorieux de la campagne de Pologne et envahissent les Pays-Bas et la Belgique. Le gros des troupes françaises engagées sur le front Nord-Ouest, aidé par quelques divisions britanniques fait alors mouvement en direction de la Belgique pour stopper cette offensive. Dans le même temps, des combats éclatent dans les secteurs fortifiés du NE, comme à Bitche qui subit un intense bombardement le 12 mai sous les yeux de la 7e BR.

Le 13 mai, les Allemands prennent en défaut la stratégie défensive française et amorcent une manœuvre décisive. Selon le plan VON MANSTEIN (inspiré du plan SCHLIEFFEN de la première guerre mondiale), ils concentrent les Panzerdivisionnen du Général GUDERIAN dans les Ardennes, considérées infranchissables par l’état-major français et donc moins protégées. En quelques heures, les blindés allemands suivis par des troupes motorisées rompent le front, s’engouffrent dans la « Trouée de Sedan », prennent la ville puis opèrent un gigantesque mouvement tournant en direction du Pas-de-Calais. Ce « coup de faux » leur permet d’atteindre Abbeville dès le 20 mai et donc d’encercler les troupes franco-britanniques aventurées en Belgique. Les JMO des 12e et 18e BR, les plus proches de Sedan ayant été perdus, leur action face à ce déferlement n’est pas connu. Mais le JMO de la 15e BR, assez proche de cette zone mentionne la surprise et le sentiment d’impuissance face à la rapide avancée des blindés et la panique qui a suivi. Aucun travail de repérage utilisable ne peut être fourni, les postes et centraux sont vite hors de combat, l’installation de nouvelles bases est impossible lors d’un repli aussi rapide et de toute façon, les rares renseignements obtenus se perdent dans la désorganisation des SRA L’étau se resserre peu à peu autour des troupes françaises du nord qui se replient dans la « poche de Dunkerque ». Les Belges capitulent le 28 mai au moment même où commence le rembarquement des soldats vers l’Angleterre. La quasi totalité du corps expéditionnaire britannique et quelques cent trente mille Français bénéficient de cette évacuation mouvementée mais la résistance de la ville s’effondre le 04 juin. Le reste de la garnison se rend alors sur ordre à l’ennemi et il en sera de même pour certaines unités du Groupement du Général CONDÉ dont font partie les BR n° 4, 5, 17, 21, 22, 24 ou ce qu’il en reste.

Le parcours de la 9e BR illustre la destinée des troupes piégées à Dunkerque : le 11 mai, la batterie quitte le Nord-Ouest de Lille pour la Belgique puis la Hollande où elle établit ses bases sur l’Escaut. Devant la poussée allemande, elle se replie par Bruges, Ostende, Niewport jusqu’à Dunkerque. Du 27 mai au 1er juin, elle installe trois bases dans les villes, exploitées difficilement sous les tirs d’infanterie, les bombardements d’artillerie et les mitraillages aériens. Prévu pour un embarquement dans la nuit du 03 au 04 juin, le personnel de la 9e BR sera finalement capturé le lendemain, en même temps que la moitié de la 11e BR.

Lors de la manœuvre des Ardennes, des éléments stationnés en Alsace ou dans les Vosges sont acheminés vers le Nord pour tenter d’opérer la jonction entre les deux armées, ou du moins de consolider la ligne de défense. Apparemment, aucune des BR des IIIe, IVe, Ve ou VIIIe Armées ne suit ce mouvement. Seule la 6e BR est envoyée en Belgique en mai 1940 par le GQG .

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Médailles de Gembloux et de Dunkerque
décernées au 6e RA en tant qu’héritier du 6e GAA. La 11e batterie était détachée par le IIIe CA à la 2e DINA qui a combattu à Gembloux.

Mais les batteries de l’Est ne restent pas inactives pour autant. Dès la reddition de Dunkerque, les Allemands lancent de nouvelles offensives en direction du Sud. L’armée française cède inexorablement du terrain et les BR, débordées, accompagnent les Armées dans la retraite aux allures de débâcle. Du 05 au 22 juin, la Wehrmacht a envahi plus de la moitié du territoire national et un armistice est alors signé : deux millions de soldats français sont prisonniers et l’armée nationale est réduite à cent mille hommes. La plupart des BR réussissent leur repli vers le Sud et stationnent dans le Sud-Ouest. Pour certaines, cette dernière mission aura été périlleuse ; la 7 e BR, par exemple, ne doit son salut qu’à un itinéraire oscillant entre les deux axes Sud-Ouest et Sud-Est de progression ennemie. Mais d’autres ont moins de chances plusieurs unités des IIIe, IVe et Ve Armées sont capturées sur la Meuse, la Moselle ou lors d’un mouvement tournant sur les Vosges. En effet, il ne faut pas oublier que les restes des armées du Nord-Est ont constitué le Groupement CONDÉ, chargé de retarder l’ennemi pour permettre le dégagement de deux axes de repli vers le Sud ; les BR suivent les unités concernées d’où le sort des BR du Nord-Est, à l’exception de la 23e. Ce tableau récapitulatif donne la situation des BR 1er août 1940.

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Durant le mois de juillet, les BR repliées transfèrent leur matériel optique et électrique, notamment au laboratoire du repérage d’Argeles-Gazost (65). Certains arrivent cependant à récupérer et à cacher quelques instruments afin qu’ils ne puissent servir à l’ennemi. Dès la mi-juillet, la démobilisation commence et profite aux plus âgés puis aux cultivateurs. Le 1er août 1940 la dissolution des unités de repérage frappe toutes les batteries, mises à part la 50e Topo et la 141e d’Afrique du Nord.

27 juin 1940 : Pélerinage à Lourdes de la 14e Batterie

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27 juin 1940
Pélerinage à Lourdes de la 14e Batterie

[1] Journal des Marches et Opérations de la If Batterie de Repérage - p. 15

[2] JMO de la 15e BR


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