Histoire de l’Artillerie, subdivisions et composantes. > 2- Histoire des composantes de l’artillerie > L’artillerie du Repérage et de l’Acquisition : renseignement d’artillerie. > 0- Historique du Repérage > I- Les origines du Repérage > Organisation et historique des unités > A- 1914-1919 : Structuration d’une nouvelle Arme >
1- Intégration des unités dans le Service de renseignement de l’artillerie (SRA)
 

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Le but de ce chapitre n’est pas d’étudier en détail le Service de Renseignement d’Artillerie. Suffisamment de spécialistes ont déjà livré leur analyse à ce sujet [1] [2]. Il est toutefois impossible de ne pas revenir sur les raisons de sa création, sur son développement et sur les grandes lignes de son fonctionnement. Le SRA constitue en effet le cadre dans lequel le Repérage évolue à partir de 1915.

a. Le SRA, raison d’être des repéreurs

Au début de la guerre, les diverses sections se mettent en place à l’initiative des régiments auxquels elles sont rattachées. Chacune se développe sous la responsabilité de son commandant d’unité qui décide : de la poursuite de l’expérience et de la fixation des crédits, des délais et des hommes qu’il y détache. Si leurs travaux réussissent, les sections opèrent pour leur unité de rattachement, à laquelle elles fournissent des renseignements exploités en circuit interne. Mais ce stade de l’individualisme est vite dépassé. Le manque de liaison entre les différents observatoires empêche les recoupements qui permettent de confirmer des positions. L’isolement des sections de repérage interdit à leur unité de tutelle de se faire une idée complète du dispositif ennemi et de son évolution. Outre que le travail des repéreurs ne profite pas à tous, les autres sources de renseignements utiles à la contrebatterie arrivent aussi isolément, au compte-gouttes. L’observation aérienne, par ballons ou avions, qui se développe parallèlement aux autres techniques, fournit bien des informations, mais sans les confronter à d’autres. Devant ces lacunes, les artilleurs décident de créer un véritable organe de centralisation destiné à recueillir, vérifier, confronter et diffuser à temps tous les renseignements utiles à la préparation des tirs d’artilleries.

La nécessité d’un tel organisme apparaît déjà dans une instruction du 19/06/1913 sur un service des renseignements d’équipage. Pour l’artillerie de campagne, la recherche des objectifs incombe aux commandants d’unité, aidés par les observateurs aériens et éventuellement les reconnaissances de cavalerie. L’artillerie de siège, par contre, ne peut se contenter de ces éléments et met en place un officier de renseignement à l’état-major de chaque unité. Celui-ci se charge de rassembler et d’exploiter les informations des observatoires terrestres et aériens.

Ce système n’intègre pas encore, et pour cause, les moyens modernes du repérage et il n’est instauré qu’à l’échelon du groupe. C’est néanmoins le signe d’une prise de conscience. L’analyse des combats de l’été 1915 confirme ce besoin. Le Général FAYOLLE, commandant le 33ème Corps d’Armée en Artois et le Général PÉTAIN, qui dirige l’offensive de Champagne en septembre 1915, décèlent les limites des 2ème Bureau d’Armée et de Corps d’Armée, dans la mission de renseignement de l’artillerie. Ils comprennent qu’en cas de forte activité, il vaut mieux recentrer l’action de ces deux bureaux et confier aux artilleurs eux-mêmes la coordination et la diffusion des renseignements les concernant.

L’instruction du 20 novembre 1915, sur l’emploi de l’artillerie lourde, constitue l’acte de naissance du SRA. Dorénavant, chaque CA et chaque Armée disposent d’un SRA. Au niveau des Corps d’Armée, il centralise tous les renseignements. Ses sources sont multiples : service de l’observation aérienne, section de repérage de contrebatterie, service de météorologie, deuxième bureau des CA. Il établit donc avec certitude les positions ennemies, cartes générales d’objectifs d’artillerie et apporte une meilleure connaissance des dispositifs adverses. Enfin, il est chargé de diffuser les résultats de ses recherches. Il les adresse au commandant du Corps d’Armée qui peut les utiliser directement ou à l’Artillerie d’Armée. Surtout, il est en liaison constante avec les groupements d’Artillerie du CA et notamment les groupes d’Artillerie lourde chargés de tirs de contrebatterie. Au niveau de l’Armée, le SRA recueille les résultats fournis par les CA et les confronte avec ceux de ses propres sections de repérage, du 2ème bureau et aux travaux du Groupe de Canevas du Tir des Armées(GCTA). Il obtient ainsi des plans directeurs de tirs complets, qu’il affine jour après jour et qu’il renvoie aux échelons inférieurs (CA, GU) en complément de leurs premiers travaux. Tous ces SRA ont pour mission de déterminer le dispositif de feu ennemi en vue des tirs de contrebatterie.

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Mais les moyens mis en œuvre à cet effet ne sont pas sélectifs, car ils permettent aussi de localiser d’autres objectifs que le commandement pourrait décider de traiter par le feu : la contrebatterie n’est qu’une partie de ce que l’on commence à nommer « l’acquisition d’objectifs ». De plus, les SRA apparaissent comme un organe de liaison entre l’artillerie et les autres armes. Ils bénéficient de concours externes (renseignement aérien, compte rendu d’infanterie) et en échange, ils conservent et transmettent certaines informations inutiles aux artilleurs, mais exploitables par les autres. En tous cas, comme tout organe de renseignement, ils concourent à une meilleure connaissance de l’ennemi et aident le haut commandement à prendre des décisions adéquates.

L’instruction du 02 juin 1916 entérine les missions du SRA celui-ci doit renseigner désormais sur « l’ordre de bataille ennemi (effectifs, emplacements, réserves), les mouvements sur voies ferrées, le détail des organisations en profondeur, les travaux de mines, les objectifs de bombardement pour l’artillerie, pour les ballons et les avions, les batteries ennemies (emplacements, activités), et les installations aéronautiques ennemies » [3].

Une nouvelle instruction précise les missions et l’organisation du SRA le 20 octobre 1916. Elle réitère la double mission, d’acquisition d’objectifs pour l’artillerie, et de surveillance du champ de bataille. Elle fixe surtout les rôles respectifs des SRA d’Armée et de Corps d’Armée : « le SRA de CA doit rassembler les renseignements recueillis, en faire une première discussion...mais ne pas retarder leur communication afin qu’ils puissent être exploités par l’artillerie en temps utile. Le SRA d’Armée par contre n’a pas à remplir un rôle semblable...il ne doit avoir pour objet que de réviser les travaux exécutés par les SRA de CA, de les épurer et de réaliser l’accord entre eux » [4]. Là encore, c’est la recherche d’un juste compromis, entre la valeur du renseignement et la rapidité de sa diffusion, qui est visée.

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b. SRA et Sections de Repérage

Les sections de repérage sont bien sûr intégrées, dès le début, au SRA dont elles constituent la source principale. Mais les autorités militaires n’ont pas attendu la mise en place de cette structure pour organiser le Repérage. A la même époque, certaines unités connaissent aussi une réorganisation, une refonte de leur statut, comme les GCTA ou le Service Géographique de l’Armée (SGA) qui sont étroitement liés au SRA. Les premiers repérages réussis amènent la prise en main, par le commandement, des diverses formations. Le 21 janvier 1915, le Grand Quartier Général (GQG) confie au Colonel BOURGEOIS, commandant du SGA, la mission de suivre l’ensemble des projets de développement du matériel de Repérage. Quatre jours plus tard, ce dernier jette les bases d’une première organisation du Repérage, par la création d’unités spécialisées et la centralisation des recherches à Paris. Le 14 février suivant, le Colonel, devenu Général BOURGEOIS, confie la mise en place d’un service central du Repérage à l’ingénieur en chef hydrographe DRIENCOURT. Le Repérage entre donc dans le giron du SGA qui centralise, depuis le début de la guerre, tous les services touchant à la cartographie, la topographie, la géodésie, la fabrication d’optiques, la météorologie et, en bref, tout ce qui peut servir au renseignement des batteries lourdes. De ce fait, deux imprimeries de campagne sont installées sur voie ferrée, pour éditer journellement les plans et plans directeurs nécessaires au SRA et aux unités engagées. Les GCTA, si utiles aux repéreurs et installés à l’état-major de chaque armée, sont ainsi organisés au sein du SGA, par toute une série d’instructions de novembre 1914 à 1916. Le personnel du repérage s’y trouve d’ailleurs incorporé le 09 février 1915. Ce sont donc des sections en phase d’uniformisation qui sont versées au tout nouveau SRA le 20 novembre 1915.

Celui-ci achève leur organisation, tant sur le plan administratif que technique. Il assure aussi l’intégration définitive du Repérage au renseignement, par plusieurs textes officiels, qui définissent ses conditions d’utilisation, ses missions et accroissent ainsi son efficacité. La première doctrine d’ensemble du Repérage paraît le 21 décembre 1915 sous le titre d’« Instruction sur la constitution et le fonctionnement des SRS et SRL (Sections de Repérage aux Lueurs) » [5]. Elle stipule que les sections sont des organes d’artillerie, placées dans chaque Armée, sous les ordres du Général commandant l’Artillerie de l’Armée. Mais elles restent rattachées au SGA, en ce qui concerne la fourniture et la mise au point du matériel technique.

Ce livret de quinze pages, véritable charte des repéreurs, définit pour la première fois les missions, la composition en personnels et matériel, le fonctionnement technique et les liaisons des SRS et SRL. Moins d’un an plus tard, le 20 octobre 1916, le GQG édite 1’« Instruction sur le fonctionnement du service des renseignements et des organes d’observations terrestres de l’Artillerie » [6], dont le titre I est consacré au SRA. Les titres II et III concernent les sections de repérage par le son et les sections de repérage par observation terrestre, remplaçantes des anciennes SRL. Ils entérinent les modifications survenues durant l’année. Dès le mois de février, les repéreurs sont reversés des GCTA à l’artillerie et les sections, toujours dépendantes des armées, sont néanmoins rattachées à un dépôt d’artillerie et reçoivent un numéro. Ils distinguent leur utilisation et déploiement en période de forte activité et en période de calme relatif. Ils règlent également les procédures de liaison entre elles et leurs supérieurs. Les missions des sections évoluent progressivement, comme il sera dit plus loin. Les repéreurs travaillent donc maintenant dans un cadre très strict qui permet d’optimiser leur rendement. Jusqu’à la fin de la guerre, de nombreux manuels, notices et instructions prouvent la subordination des unités de repéreurs aux SRA.

Son incorporation dans une structure de renseignement modifie plus qu’il n’y paraît le Repérage, notamment au niveau de ses missions. A l’image du SRA, les tâches confiées aux sections de Repérage évoluent de plus en plus vers une surveillance générale du champ de bataille, dont la localisation des batteries ennemies n’est plus qu’une partie. Le matériel conçu, et plus précisément les instruments optiques des SROT, permettent une observation globale du terrain adverse. Naturellement, il est demandé aux artilleurs d’en profiter et de bien recueillir tous les renseignements possibles pour le SRA qui en assure le tri et la redistribution. C’est en quelque sorte le matériel inventé pour répondre à un besoin qui suscite de nouvelles missions pour les hommes qui le servent. C’est aussi le signe que les combattants cherchent de plus en plus à connaître les lignes arrière du dispositif adverse, pour pouvoir frapper efficacement dans la profondeur. Chacun cherche, dans la désorganisation des arrières de l’autre, la victoire impossible à acquérir sur le front. L’instruction de 1916 sur les SROT confirme cette tendance et leur confie la localisation de tous les objectifs fixes, mobiles, des travaux et des opérations ennemis. Enfin, toutes les sections doivent assurer une troisième fonction de réglage et de contrôle de tirs amis. Les SROT comparent la position des impacts de coups avec la position de l’objectif et transmettent ces observations aux pièces. Les SRS procèdent de la même manière en utilisant l’onde d’éclatement pour localiser l’explosion. Les conséquences de cette intégration sont visibles dans tous les domaines.

[1] Le Service de Renseignement d’Artillerie, Colonel (R) THIBERGE, ancien Président des Anciens du Repérage, ancien chef de la 6e BR pendant la guerre de 1939-1940, Revue Historique des Armées, n° spécial 1-2, l’Artillerie française de la Révolution à nos jours, p. 112-131, 1975.

[2] LCL CARI, op.cit.

[3] Colonel (R) THIBERGE, op. cit, p. 117

[4] Instruction sur le fonctionnement du service des renseignements et des organes d’observation terrestre de l’Artillerie - Titre I : SR4, oct. 1916, Paris, 45 pp.

[5] Instruction sur la constitution et le fonctionnement des Sections de Repérage par le Son et des Sections de Repérage aux Lueurs, déc. 1915, Paris, 17 pp.

[6] Instruction sur le fonctionnement du SR4 et des SROT, op.cit


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