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Il s’agit d’un tir indirect, sans vue directe sur l’objectif depuis la pièce.
Ce mode de tir est pratiqué depuis la première guerre mondiale, où il fallait pouvoir intervenir sur des objectifs dissimilés derrière les crêtes et dans toute la profondeur du théâtre, jusqu’aux capacités permises par les matériels et les munitions.
Il est alors nécessaire de déployer des moyens d’observation en avant des pièces, dans une zone où ils auront la vue directe sur les objectifs à traiter. Il faut aussi déployer au niveau des pièces des moyens qui permettent d’établir une corrélation topographique entre les objectifs détectés, l’observatoire et la position de tir. Puis suivront les moyens d’appréhender les perturbations balistiques, puis aérologiques qui permettront de raccourcir le temps consacré aux réglages, voire de s’en affranchir, grâce à une technologie qui va apporter à l’artillerie une réactivité inégalée...
A l’origine, ce sont des petites équipes qui se déploient en avant de leur batterie d’appartenance. Pendant la 1ère Guerre mondiale, au tout début du tir indirect, elles communiquent avec les pièces par gestes et signaux (fusées), puis avec le téléphone de campagne, car une ligne est tirée depuis la batterie, jusqu’ à l’emploi plus souple de la toute nouvelle radiotéléphonie.
Au cours de la 1ère GM, des observatoires d’ensemble sont expérimentés avec de nouvelles méthodes de localisation d’objectifs. Il s’agit d’observer au plus loin pour localiser notamment les batteries adverses et les prendre à partie avec notre artillerie lourde. Une Arme est créée à cette intention que l’on appelle le "Repérage". Combiné avec l’emploi des ballons d’observation puis de l’aviation d’observation, et corrélé entre eux par les outils développés par les géographes militaires (plans directeurs, canevas de tir, procédés topographiques)), le repérage est un des pourvoyeurs du "renseignement d’artillerie".
Ce genre de travail est pratiqué jusqu’à la Campagne de France en 1940.
Par la suite, pendant la phase de reconquête avec du matériel américain, ce sont des équipes d’observation (EO), très mobiles, où l’on trouve un officier observateur, un sous-officier adjoint, un transmetteur et un conducteur du véhicule de transport. Ce véhicule d’abord banalisé, se transformera en véhicule spécialisé disposant d’un spectre élargi de moyens pour observer, demander et mettre des tirs en place (VOA).
Les EO manœuvrent en zone d’insécurité, donc avec le maximum de précautions, et sont souvent intégrées dans un dispositif de sûreté interarmes. On dit qu’elles sont "détachées" auprès des unités de l’avant. Mieux encore, elles seront parfois infiltrées dans le dispositif adverse, pour déclencher des actions sur des objectifs à haute valeur ajoutée (EOP).
Parfois elles doivent occuper un observatoire d’ensemble ; elles sont alors "conservées aux ordres" de l’artillerie. C’est ce qui se fera à l’arrivée de radars de surveillance terrestre, à partir desquels il sera aussi possible de régler un tir (SDS, RATAC). Ajoutons à ces moyens, les radars de contrebatterie (Q4-Q10, Cymbeline, Cobra), qui remplaceront avantageusement les équipes d’observation par le son (SRS) du temps du Repérage.
L’officier observateur peut être embarqué dans un aéronef (avion, puis hélicoptère) et remplir sa mission dans des conditions un peu plus acrobatiques qu’à terre. Puis avec la modernité, des caméras seront embarqués dans des drones (avions sans pilote) pour retransmettre en temps réel à une station sol où un observateur peut faire une demande de tir. (nous y reviendrons, quand nous parlerons de l’artillerie d’acquisition).
Les EO observent le terrain, renseignent sur les dispositifs amis et ennemis, préparent, demandent et exécutent des tirs. Elles doivent être en mesure de diriger les tirs de toutes les unités d’artillerie disponibles sur la zone, et qui leur sont assignées par l’autorité de commandement de l’artillerie, en allant du plus petit (niveau section ou batterie) au plus haut (du niveau groupe ou régiment voire au-delà). Elles apprennent aussi à guider un appui aérien ou naval.
Une pièce est rarement seule sur le terrain (sauf cas particulier où la pièce est dite "nomade"). Elle appartient à une entité de base qui peut être une batterie ou une section).
A l’origine, une batterie est sous les ordres d’un capitaine qui dirige le tir depuis ses pièces, sur un objectif qu’il voit de sa position (parfois il utilise une échelle, ou grimpe dans un arbre ou sur un toit pour voir au plus loin). Une pièce règle et les autres "suivent" les corrections apportées au cours du réglage et déclenchent le tir à la fin du réglage. C’est une procédure longue, mais incontournable, sauf à l’apparition de moyens plus performants qui interviendra avec la pratique du tir hors vue.
Quand on se met à tirer sur des objectifs non vus des pièces, il faut réaliser une géométrie qui établisse une cohérence dans le positionnement des trois éléments que sont : la pièce, l’observateur et l’objectif. Donc à l’aide de mesures d’angles et de distances, on saura toujours résoudre les paramètres complets de ce triangle. Or ce genre de travail rappelle celui fait par les géographes pour équiper topographiquement le terrain (points géodésiques) et réaliser les cartes d’état-major.
Donc on va se doter de matériels semblables (un peu moins performants pour une précision moindre demandée) et surtout on va s’appuyer sur les points connus du terrain pour situer convenablement le triangle défini plus haut, sur la carte, voire sur un quadrillage reporté sur une table à une échelle idoine mais conforme [1] au carroyage des cartes.
Ainsi, pour chaque objectif, on pourra déterminer ses éléments topographiques (gisement et distance), à partir de la pièce de référence (celle qui règle). L’observateur faisant le même travail de son côté, il sera alors possible de travailler dans un référentiel commun.
Pour avoir une batterie de tir prête au plus vite, il n’est pas inutile de faire précéder son arrivée sur une position par une équipe spécialisée dans la reconnaissance et l’équipement topographique des positions. On l’appelle l’ERT (équipe de reconnaissance et de topographie). Elle aide à gagner des délais sur la mise en batterie, en fléchant l’itinéraire d’accès sur la position, en repérant les emplacements de chaque pièce pour les guider à leur arrivée.
Elle donne, à son arrivée, à la batterie une direction de repérage pour orienter les pièces, les coordonnées sur la carte (x, y ,z) [2] de la pièce directrice, un plan d’implantation des autres pièces par rapport à celle-ci (gisement - distance). Si elle dispose de suffisamment de délais, elle fait un croquis de la position, où sont placés tous les autres éléments constitutifs de la batterie et une ébauche de plan de défense rapprochée de l’ensemble.
Les outils spécifiques de cette équipe sont des théodolites pour mesurer des angles et les orienter sur le nord de la carte, des moyens de mesure de distance (chaîne d’arpenteur, stadia, télémètres etc.). A l’aide de calculs, les topographes savent transformer des coordonnées cartésiennes (x, y et z) en coordonnées polaires (gisement distance) et inversement.
Cette équipe est chargée d’assister le commandant de la batterie dans la conduite du tir. Elle transforme les coordonnées polaires des objectifs en ordres de tir pour les pièces. Elle met au point les mécanismes qui permettront de battre l’objectif sur toute sa surface, telle qu’elle est précisée dans la demande de tir.
Les coordonnées polaires permettent d’établir les éléments à afficher aux pièces sur le système de pointage : le gisement de tir, puis l’angle de hausse du tube pour que la munition tirée arrive à la distance de l’objectif. Pour réaliser ce travail, il faut entrer dans une table de tir particulière à chaque type de lanceur et pour chaque type de munitions En méthode graphique les réglettes utilisées sont aussi adaptées à chaque matériel et à chaque munitions. Une fois obtenus les éléments de tir pour la pièce directrice, on sait déterminer ceux des autres pièces à partir du plan d’implantation de la batterie dont on a parlé plus haut [3].
Avec la technologie nouvelle, ce sont des calculateurs puis des ordinateurs qui font cette transformation. Ces spécificités étant intégrées par fabrication, il faut alors prendre en compte les éléments perturbateurs qui sont dus aux imperfections balistiques (usure des pièces, tare des munitions et des poudres) et aux conditions météorologiques du moment qui agissent sur l’aérodynamique des munitions. La technologie moderne apporte progressivement des solutions pour mieux appréhender ces perturbations et leur prise en compte avant le tir. Ainsi la chance d’avoir le premier coup au plus près de l’objectif est de plus en plus probable, ce qui facilite grandement les opérations de réglage et qui conduit même à s’en affranchir [4]
sans trop entrer dans le détail, il faut savoir que sur terre rien n’est parfait, donc ni nos canons, ni nos munitions !
Les canons ont chacun leur taux d’usure, dû à leur régime de tir et à leur fabrication. C’est en épluchant les résultats de plusieurs tirs qu’on arrive à l’appréhender. Par économie de munitions, il est recommandé de regrouper dans la même unité, les pièces au taux d’usure semblable.
En revanche les perturbations afférentes aux munitions sont plus faciles à prendre en compte. Chaque lot de munitions est livré avec ses caractéristiques élaborées par l’industriel, qui correspondent aux écarts par rapport aux indications données par les tables de tir. On trouvera l’écart du poids de l’obus et la valeur de la vitesse initiale, directement liée à la qualité de la poudre. On prendra aussi comme référence la température de la poudre au moment du tir qui a une action directe sur la vitesse de combustion. Mais ces données ne sauraient suffire pour garantir la meilleure précision du tir.
On a alors imaginé de mesurer la réelle valeur de la vitesse de la munition à la sortie du canon, à l’aide de mini radars Doppler. Ceux-ci émettent deux faisceaux qui coupent l’axe du tir. Le temps mis pour la traversée de l’intervalle connu entre les deux faisceaux indique, par un simple calcul, la vitesse initiale de l’obus à la sortie du canon.
Il a fallu attendre la miniaturisation de ces systèmes pour envisager d’en doter chaque canon. Au départ, il y avait un système par régiment (MEDOVIC), puis un par batterie (MIRADOP) et enfin sur chaque pièce à l’époque où le nombre de canons a considérablement diminué et qu’il est possible d’engager chaque pièce d’une façon autonome. Ces données intégrées au départ, au niveau des batteries (au sein de l’équipe EPT décrite plus haut), le sont maintenant directement au niveau du calculateur de la pièce.
Mieux encore, il existe une fusée (SPACIDO) qui reçoit des ordres directement à la sortie du tube afin de corriger la trajectoire de l’obus en fonction du résultat de la mesure de la vitesse initiale. C’est le début du règne des munitions dites "intelligentes" qui se jettent, en bout de trajectoire, sur l’objectif.
Ainsi l’obus reste compétitif par rapport à des armes plus sophistiquées que peuvent être aujourd’hui les roquettes et les missiles.
Mais l’aventure de l’obus ne s’arrête pas là, car une fois sorti du tube il rentre dans l’atmosphère et se trouve confronté aux éléments aérologiques, qui sont variables selon le lieu et le moment. L’obus a sa pénétration perturbée par la densité de l’air, la température de l’air et la pression. Par ailleurs l’obus est sensible au vent.
Le tir indirect à longue portée a pour conséquence la montée de l’obus à haute altitude.
Il est donc nécessaire de mesurer tous ces facteurs. Il faut alors doter le unités de tir de moyens particuliers et de personnel instruits et entrainés à leur mise en oeuvre.
Au départ on dispose de stations optiques pour observer l’ascension d’un ballon gonflé au gaz. Des relevés sont faits par intervalles de temps mesurés au chronomètre. Les relevés sont alors reportés sur des abaques pour en extraire des données météorologiques utiles au tir. A l’aide d’une crécelle, on mesure au sol les données relatives aux caractéristiques de l’air au point de lâcher du ballon.
Ces opérations doivent être répétées assez souvent pour prendre en compte les changements en cours de journée.
Puis on met au point un radar qui suit l’évolution du ballon dans son ascension, de jour comme de nuit. Au ballon, on ajoute une nacelle qui va permettre d’effectuer des relevés à différentes altitudes sur les caractéristiques de l’air. Des senseurs y sont installés et leurs observations sont envoyées par télétransmissions.
Tous les éléments sont recueillis par le calculateur de la station qui imprime les résultats dans bulletin de sondage un format conventionnel (car les informations recueillies peuvent intéresser plusieurs unités), que l’on appelle bulletin de sondage..
Longtemps ces résultats seront exploités à l’aide d’abaques par l’EPT. C’est une tâche longue et pénible qui nécessite la stabilité de la batterie pendant un certain temps. Mais la manœuvre devenant de plus en plus mobile, il faut alors automatiser ce travail. Avec l’avancée en électronique, la tâche sera confiée à des calculateurs, puis ordinateurs. Pour éviter un transfert aléatoire des données, celui-ci se fera par radio entre les PC de tir et la station de sondage. Puis les avancées dans le domaine des transmissions de données permettront de s’affranchir de stations à tous les niveaux, en exploitant les données transmises directement par les services météorologiques.
Cette nécessité s’est montrée évidente au départ : dans les systèmes sol-air (notamment le système Hawk) pour établir les liaisons entre l’armée de l’air et l’artillerie afin d’avoir une situation aérienne en temps réel et pour pouvoir coordonner les actions dans l’espace aérien ; dans l’artillerie nucléaire pour relier les lanceurs au plus haut niveau décisionnel (le Président de la République) pour une parfaite maîtrise du tir et la coordination des moyens d’action.
Dans l’artillerie sol-sol, la modernité s’imposera progressivement, en commençant à mettre en place des calculettes à tous les endroits où des calculs s’imposent (topographie, élaboration des ordres et mécanismes de tir), des ordinateurs pour gérer les liaisons entre tous les acteurs de la chaîne tir, pour les besoins du renseignement, du tir et de la manœuvre, puis plus tard la logistique. On est parti de systèmes centralisés au niveau du régiment pour ensuite donner une souplesse d’emploi jusqu’au niveau batterie puis section, pour aller jusqu’aux éléments terminaux (observatoires et pièces) avec les progrès de la mini-informatique et des réseaux. De plus la présence répartie de ces systèmes autorisent et facilitent l’automatisation de tâches pénibles ou précises.
L’accès au tir dans la profondeur, avec des exigences de plus en plus forte de précision, de rapidité d’exécution, va exiger de l’artillerie une évolution technique sans équivalent dans bien d’autres armes. La technique relie tous les acteurs du tir, de plus plus haut ua plus petit échelon dans une chaîne de cohérence ou chaque maillon joue un rôle important.
C’est la raison pour laquelle qu’à l’occasion d’une projection opérationnelle, il ne faut pas rompre cette cohérence car alors on prend le risque de ne pas apporter aux combattants de l’avant tout ce que la modernité autorise : rapidité d’action, précision ; facteurs de succès du combat, sauvegarde de notre potentiel d’action et assurance vie de nos combattants.
[1] la conformité sera obtenue quant les angles seront orientés à partir du Nord de la carte et que les coordonnées seront établis dans le même référentiel de projection.
[2] x et y positionne un point sur un plan, donc sur une carte ou une planchette à graphiquer, le z est l’altitude du point.
[3] on fait un calcul de parallaxe à l’aide d’un instrument : le "parallaxeur" qui est aussi élaboré pour un matériel déterminée et une munition associée.
[4] on sait maintenant faire un tir d’emblée sur des objectifs à très grande distance, approchant actuellement les 40 km pour des obus de 155mm, pesant plus de 40kg.