Il est épuré des enseignements tirés du rapport du Colonel Eric Lendroit (à l’époque, chef de corps du 68è RAA et à l’occasion, sous-chef d’état-major de la Brigade Serval) pour ne se consacrer qu’à la description de l’artillerie qui a participé à cette opération de grande envergure, mais, comme de plus en plus souvent hélas, avec des moyens encore très limités.
Il est encore une fois prouvé la nécessité de disposer sur le terrain d’une artillerie polyvalente à chaque échelon de combat, même si on ne lui accorde pas l’usage de tous les moyens dont elle dispose pourtant en temps normal (mais qui ne sont pas nécessairement projetés), faute de pouvoir y consacrer tous les effectifs qu’ils imposent...
Pour autant, selon l’avis du colonel Lendroit, "tout a été joué et avec succès".
Ce qui par ailleurs est reconnu et apprécié par le général Bernard Barrera, qui a commandé l’opération Serval, de janvier à mai 2013, dans sa préface du livre "L’artillerie dans les guerres de contre-insurrection".
Lors de la génération de force, la composante feux-indirects est une nouvelle fois sous-dimensionnée, en dépit des enseignements tirés en Afghanistan. Elle ne représente que 6% des effectifs de la force combattante (hors élément logistique - Batlog). Elle vient en appoint des autres appuis feux déjà présents sur le terrain (Air -ALAT) avant l’arrivée de la brigade Serval. Sa complémentarité est encore mal comprise en dépit des avertissements énoncés en haut lieu (en l’occurrence par le général Thorette alors qu’il était chef d’état-major de l’armée de terre et, depuis, par ses successeurs) :
Fort heureusement, le général commandant la brigade Serval a pris la décision de disposer à son niveau d’un Conseiller Adjoint Feux (comme il en existait autrefois, pendant la Guerre froide) en la personne du chef de corps du régiment de sa brigade, comme sous-chef d’état-major.
Mais les moyens artillerie ne sont pas concentrés à son niveau. Les fortes élongations du théâtre imposent d’adapter les moyens aux différents Groupements tactiques interarmes (GTIA). Ces moyens étant ainsi saupoudrés, il n’est pas envisagé, dans un premier temps, de leur donner les moyens techniques (notamment le système informatique de commandement ATLAS) leur permettant d’être interactifs au mieux et surtout gage d’une excellente réactivité). Ils sont attribués aux GTIA en fonction des nécessités imposées par le combat et forment à ce niveau un groupement d’artillerie (GA), dont les moyens sont engagés, puis désengagés, donc réarticulés en permanence pour basculer d’un secteur à un autre, quand ils ne sont pas eux-mêmes scindés en plus petits éléments au sein d’un GTIA éclaté... D’un GTIA, il est fréquent d’avoir à agir au profit d’un GTIA voisin.
Il paraît alors évident que le seul coordonnateur possible de cet emploi sur le théâtre est le conseiller adjoint feux, qui aura notamment à décider jusqu’à quel niveau la sécabilité des unités et de leur logistique est tolérable.
Les groupes d’artillerie sont donc constitués à partir des détachements suivants :
Bien que pas mentionnée dans l’article de référence, la même publication de Arti Mag, fait part de la présence d’un détachement du 54è RA : un Centre [2] de management de la Défense dans la 3ème dimension (CMD 3D)qui est projeté pour la première fois en opération et qui ouvre des horizons nouveaux au niveau du centre opérationnel de la brigade, sur la connaissance et la maîtrise des interventions conduites dans la troisième dimension.
Les rôles qu’ils ont assurés (et qui n’ont pas déjà été évoqués -CMD 3D) sont maintenant décrits par sous-composantes (Feux, Renseignement).
FEUX
Les groupements d’artillerie (GA)sont adaptés aux différents GTIA. Ils sont autonomes et sous l’autorité d’un CAF DL CDT (conseiller adjoint feu, détachement de liaison auprès du commandement du GTIA). Ils sont souvent engagés selon des articulations variables, tout comme les unités de mêlée ; il n’est pas rare de scinder une section d’appui mortier en deux et de devoir renforcer en feu un GTIA voisin.
Le CAESAR fait la preuve d’une remarquable mobilité tactique sur un terrain particulièrement éprouvant pour le matériel ; sa projection par avion de transport conforte sa mobilité opérative et stratégique.
Le mortier en est le digne complément alors que le VAB et la pièce sont soumis à rude épreuve. Les feux ont été extrêmement précis ; l’usage de la "valise météorologique" apporte le sondage d’une façon plus légère que son prédécesseur le SIROCCO.
Les moyens d’observation divers utilisés (mini drone DRAC, drone HARFANG, hélicoptère GAZELLE, avion de reconnaissance ATLANTIC) en complément des équipes d’observation, permettent d’effectuer différents type de tir. Les obus ACED (anti char à effet dirigé) BONUS, présents sur le théâtre, ne seront pas utilisés faute de cible pertinente.
Les effets des tirs d’artillerie, en complément des autres appuis, ont permis de casser le dispositif ennemi, pourtant installé dans un terrain montagneux et valorisé comme dans le massif de l’ADRAR. L’ennemi, désorganisé, ayant subi une forte attrition de son potentiel, est dissuadé de rechercher le contact avec nos fantassins pourtant contraint à combattre à pied. C’est bien souvent dans les jours qui suivent que les résultats sont réellement évalués.
De leur côté, les FAC (forward air controler) en nombre important pour couvrir un large théâtre, agissant au sein des DLOC (détachement léger d’observation et de coordination) ou séparément (notamment lorsqu’ils sont utilisés en appui d’éléments isolés ou sous-groupements nomades ne disposant pas d’appui indirect organique). Par ailleurs, en l’absence de CTA (contrôle tactique air), ils contribuent à la déconfliction 3D dans leur zone de déploiement.
Enfin la cellule appui - 3D mise en place auprès du PC de la brigade s’est révélée particulièrement utile. C’est l’échelon de concertation et de proposition au chef interarmes. C’est aussi le niveau de gestion et de coordination des moyens dans le temps. A effectif très limité elle est pourtant très sollicitée avec certaines opérations (ADRAR) qui durent jusqu’à trois semaines et qui nécessitent des bascules de PC et des PC de circonstance...
RENSEIGNEMENT
Cette fonction opérationnelle, devenue majeure sur les derniers théâtres d’opérations, trouve ici aussi toute sa pertinence, en dépit de l’absence du système de drones tactiques intérimaires (SDTI) du 61è RA. L’artillerie y apporte, en complément des moyens d’observation des GA, les moyens utiles à l’analyse terrain (du 28è Groupe géographique) puis à la surveillance du terrain et à l’intervention électronique (de la batterie de renseignement de brigade - BRB- du 68è RA).
La BRB dispose de moyens dans chaque composante (recueil de l’information, imagerie, radar, guerre électronique) pour se séparer en deux détachements auprès des GTIA, les autres étant conservés aux ordres pour être distribués en fonction de la nature des opérations, du terrain et des phases de manœuvre. Ce sont des détachements multi-capteurs (DETMuC). Initialement un DETMuC agira dans la région de Gao, l’autre dans le Nord du Mali. La guerre électronique aura à intervenir dans l’ADRAR (Nord), la RASIT dans la région de GAO.
Ces moyens sont :
Les missions consistent appuyer et protéger la force (unités et postes de commandement). Il s’agit de recueillir le renseignement de contact en détectant et identifiant les groupes armés djihadistes dans leur zone d’action. La synergie des moyens (en interarmes comme en interarmées), en appui d’un GTIA, en phase de reconnaissance ou de fouilles, tout comme en protection du dispositif ami est avérée payante. Bien souvent les informations acquises par le RASIT sont recoupées par celles des drones, mais aussi par l’aviation.
Puis au-delà des missions dédiées exclusivement au renseignement, les moyens sont parfois associés aux tirs indirects ; un tir de CAESAR a été observé par un DRAC dans la vallée d’In Tegant le 28 février 2013, démontrant ainsi que les séances d’entraînement effectuées en métropole étaient pertinentes.
De tels résultats n’auraient pas pu être obtenus sans la contribution de la fonction géographie militaire représentée au niveau du PC de la brigade, dans la cellule analyse du terrain (2D). Car il est vrai que les informations délivrées initialement par les cartes exigeaient une mise à jour assez colossale : les routes indiquées n’existaient plus, alors qu’à l’inverse les oueds étaient devenus des axes de pénétration. Par une coopération étroite des sections G2 (RENS - imagerie) et G3 (Emploi - 2D) du PC, la mise à jour s’effectuait au gré des déplacements et facilitait les travaux d’état-major pour l’élaboration des manœuvres futures.
Puis en permanence, elle a été un centre de productions de cartes et plans pour un territoire d’engagement grand comme la France.
Pour conclure, citons les propos du colonel Lendroit, chef de corps du 68è RAA : "Les artilleur engagés dans cette opération, en appui des unités de manœuvre, auront été de toutes les opérations réalisées. Comme tous, ils ont dû faire preuve de capacités d’adaptation permanente, de réactivité dans un environnement très particulier, extrêmement exigeant sur le plan physique...".
Le 14 février 2016, trois Lance-roquettes unitaires (LRU) sont arrivés à Tessalit, au Nord-Mali. En déployant le dernier système d’arme d’artillerie produit par l’armée de Terre, la force Barkhane renforce ses capacités d’appui feu, afin de pouvoir frapper en permanence dans la profondeur les groupes armés terroristes.
[1] Le capteur acoustique SL2A, initialement prévu comme système d’alerte du COBRA, évitant à ce dernier d’émettre en permanence, est capable de détecter un départ de coup, obus ou roquette, à une distance pouvant atteindre 10km avec une précision de l’ordre de 100 mètres. Il a été projeté en Afghanistan de 2009 à 2011 pour compléter le système de protection des FOB (forward operations base) françaises, et au Liban sud en 2011 pour compléter le dispositif de détection des COBRA.
[2] Grâce aux différents radars qui lui sont connectés - en l’occurence l’AWAKS au Mali -, il permet de gérer en temps réel l’activité aérienne pour éviter des risques de collisions fratricides ainsi que pour permettre l’application de la manœuvre décidée par le chef interarmes (fixer notamment des priorités entre les tirs d’artillerie, les vols d’avions ou d’hélicoptères, ou de drones).
[3] Le CATIZ (Capacité terrestre d’interception de zone) est la dernière génération de VAB électronique. Sa fonction principale est la détection et l’interception de tous signaux ou communications de l’ennemie.