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Une artillerie adaptée pour une armée polyvalente
 

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Par le Colonel BRUSSEAUX, directeur général des études et de la prospective de l’artillerie [1].

Cet article,comme ceux traitant des "retours d’expérience" (RETEX) publiés ensemble dans la revue ARTI, a été reproduit dans le Bulletin historique n° 36 d’octobre 2005 de l’Artillerie avec l’autorisation du général commandant l’ École d’ artillerie. Il a toute sa place dans ce site pour marquer le stade de réflexion atteint dans une période de forte réorganisation des armées.

Les premières "assises de l’avenir » qui se sont tenues en janvier 2004 ont donné lieu au lancement de la réflexion sur l’élaboration progressive des capacités opérationnelles dont l’armée de Terre a et aura besoin pour conduire les nouvelles formes d’engagements qui ont vu jour au lendemain de la Guerre froide.

L’évolution du contexte stratégique a donné naissance à un spectre de mission élargi dans lequel l’armée de Terre reste la force armée capable de produire des effets dans la durée, au contact, dans un environnement géographique et humain de plus en plus complexe et diversifié, voire en imbrication avec les acteurs de la crise ou du conflit armé.

L’adversaire des forces terrestres est aujourd’hui diffus et utilise des modes d’action nouveaux afin de contourner notre supériorité opérationnelle et technologique qu’il a su prendre en compte avec réalisme, pouvant inverser ainsi un rapport de force initial qui nous était favorable. Ces modes d’actions sont en premier lieu les actes terroristes (sur et hors du territoire national) mais se caractérisent aussi, sur le théâtre, par le retranchement de l’adversaire dans les zones urbaines, à l’intérieur desquelles les populations lui servent tantôt de bouclier, tantôt de soutien. On observe ainsi un glissement des formes classiques du combat vers l’asymétrie qui risque de rendre des forces lourdes, monovalente et peu réactives totalement inopérantes. Pourtant, il reste néanmoins nécessaire de pouvoir disposer de capacités à produire des effets coercitifs suffisants, immédiats mais parfaitement maîtrisés afin, soit de prévenir toute escalade de la violence, soit d’éviter un glissement vers l’asymétrie. Il s’agit donc pour les forces terrestres de conserver des capacités à produire des effets quasi similaires à ceux des forces lourdes actuelles tout en offrant une polyvalence d’emploi et une capacité de réaction accrue afin de faire face à un plus grand spectre de situations opérationnelles.

L’armée de Terre s’oriente ainsi vers la constitution de forces numérisée ("réseau centré") de fortes puissances et polyvalentes où la notion du "qui peut le plus peut le moins" a tendance à s’estomper tant dans le dimensionnement que dans l’élaboration des doctrines.

L’artillerie, dans toutes ses composantes, (appui indirect, défense sol-air) doit s’inscrire d’ores et déjà dans cette polyvalence en terme d’équipements et d’emploi. Cette polyvalence doit lui permettre, le moment venu, de produire, dans tout type de crise et sur des théâtres divers et variés, l’effet recherché en appui (appui indirect) et en défense (défense sol-air) de la force , au contact (profondeur tactique) et dans la profondeur (profondeur opérative voire stratégique) Tout en ne perdant pas de vue le caractère multinational, interarmées et interarmes des engagements, il s’agit de demeurer en mesure de déployer tantôt des moyens lourds et bien protégés avec l’emploi de feux massifs dans la profondeur et la troisième dimension, tantôt des éléments extrêmement légers et mobiles capables d’appuyer et de protéger une force de réaction dans le cadre de l’envoi d’un échelon d’urgence.

Mais entre ces deux extrêmes, il s’agit de disposer de moyens capables de délivrer des feux suffisamment puissants, précis, adaptés à la menace et à la nature de l’objectif et possédant une mobilité stratégique, opérative et tactique suffisante afin de produire l’effet voulu là où il est attendu dans des délais compatibles avec le rythme de l’action [2]. Il n’est pas dit que ces capacités soient l’apanage d’un type d’unité ou d’un autre, entendons par là : brigade blindée, mécanisée ou légère. Il conviendra ainsi au sein de l’artillerie, à relativement court terme de définir le niveau de polyvalence "capacitaire" requis - pour l’appui indirect, la capacité du mortier de 120mm reste considérée comme la capacité commune de base au même titre que le MISTRAL pour la défense sol-air.

Par ailleurs, les effets doivent aujourd’hui s’entendre au sens large. Il ne s’agit pas seulement d’être en mesure de produire des effets par le feu mais d’être en mesure de conduire de véritables opérations sur l’environnement immédiat de la force terrestre ; actions qui vont de l’action humanitaire en passant par la communication opérationnelle, actions qui peuvent, entre autres, avoir pour effet de faire basculer la population du côté de la force afin qu’elle n’entrave pas sa liberté d’action. Ne sommes nous pas encore dans le domaine des appuis (donc du métier de l’artilleur) ? La chaîne à mettre en œuvre ne s’apparente-t-elle pas à celle que maîtrise l’artilleur, qu’il soit sol-sol ou sol-air, à savoir renseignement d’objectif [3], acquisition d’objectif [4] et traitement.

Ainsi par nature, l’artillerie développe un ensemble dual de capacités humaines et techniques telles que le renseignement, l’observation, l’analyse lui permettant de proposer le choix du moyen de traitement adapté à l’effet (feux ou autres). Cet ensemble humain et technique méritera d’ailleurs d’être revalorisé tant sur le plan qualitatif que quantitatif.

D’autre part, compte tenu de la diversité d’emploi et des besoins des forces terrestres, il apparaît aujourd’hui concevable que seul le segment avant (pour la composante sol-sol) ou la partie surveillance de l’espace aérien (pour la composante sol-air) soient mis en œuvre.

Il convient à ce stade, de lever une ambiguïté à l’origine de différentes interprétations : il ne s’agit pas de bâtir une "artillerie moyenne" qui serait un mauvais compromis par défaut entre le "lourd" et le "léger" dont la production d’effets serait reléguée au second plan, mais, au contraire, l’objectif est de forger une artillerie polyvalente, à la "poignée de l’éventail", adaptée aux effets à obtenir et au besoin en appui et en protection des forces terrestres qui reste faut-il le rappeler, sa raison d’être.

Dans son allocution de clôture du colloque "l’armée de Terre du XXIème siècle" le 6 avril 2004,Ie chef d’état-major de l’armée de terre disait " ...nos soldats doivent pouvoir s’adapter en permanence et être capables de servir plusieurs types de matériels et agir sous diverses configurations d’organisation (.. ) Ils doivent multiplier leurs polyvalences pour répondre aux besoins".

Pour une unité d’artillerie, il s’agit d’être capable :

-  de servir des moyens lourds comme I’AUF1, le LRM, le HAWK, le ROLAND ’
-  de servir des moyens légers comme le mortier de 120mm, le MISTRAL ;
-  de servir dans des formations adaptées aux missions de sécurité comme c’est déjà le cas aujourd’hui des unités de type LOT (Light Observation Team, équipe légère d’observation - ndlr) unités qui pourraient se voir à l’avenir équipées de capteurs du type RAPSODIE, COBRA, VAB-OBS, mini drones,...).

L’artillerie a aujourd’hui en main les atouts humains et matériels pour réussir cette "rupture" qui la rendra particulièrement apte à appuyer et protéger des forces terrestres polyvalentes.

En matière d’équipement, d’organisation et de doctrine, trois mots-clés doivent guider notre action et nous conduire à la réalisation de l’objectif :
-  interopérabilité,
-  complémentarité,
-  souplesse-flexibilité.

La position de pointe que l’artillerie occupe aujourd’hui au sein de la numérisation de l’espace de bataille (NEB) avec les systèmes ATLAS et MARTHA 1 (MARTHA 2 dans le futur), les choix courageux et réalistes opérés aux cours des derniers mois tels l’abandon de l’AUF2 [5] au profit du CAESAR [6] et l’abandon du ROLAND au profit du MARS [7], la mise en service prochaine de nouvelles munitions (155mm, roquettes), les choix que l’artillerie sera peut-être amenée à faire Pour revaloriser son segment avant sont certainement des signes tangibles de cette volonté d’aller de l’avant.

[1] La DEP succède à l’ex Centre d’Etudes tactiques de l’Artillerie (CETEA)

[2] Le couple CAESAR nouvelle munitions de 155mm (BONUS, OGRE, KRASNOPOL,...) devrait répondre en partie à ce besoin.

[3] Le renseignement d’objectif consiste à rechercher les indications qui permettent de caractériser et de localiser un objectif ou un ensemble d’objectifs, d’en connaître la vulnérabilité et l’importance relative. Il détermine les objectifs susceptibles de faire l’objet de tirs ou d’opérations ponctuelles. La validité de ce renseignement est variable et demande souvent confirmation et précision.

[4] L’acquisition des objectifs regroupe l’ensemble des opérations qui consistent à détecter, localiser et identifier un objectif avec la précision suffisante pour permettre son traitement par une arme donnée. Il conviendra toutefois de faire en sorte que la centralisation probable et compréhensible d’un certain nombre de capteurs (drones en particulier) ne vienne pas tarir les besoins de l’artilleur en terme d’acquisition d’objectif.

[5] l’intégration trop poussée de ce système a conduit à son abandon

[6] Camion Equipé d’un Système d’ARtillerie

[7] Mistral Armoured Système, système Mistral blindé


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